Michèle Lalonde, Songe de la fiancée détruite, Montréal, Orphée, 1958, 46 pages.
« Achevé d’écrire au printemps
de l’année 1957, Songe de la fiancée
détruite fut créée au mois de mai de l’année suivante, sur le réseau
français de Radio-Canada, selon une réalisation de Jean-Guy Pilon. Une
partition originale spécialement conçue pour le poème par madame Ginette
Martinot, aux ondes Martenot faisait également partie de cette
présentation. » En préface, Lalonde insiste sur le fait que la musique
doit être plus qu’un simple accompagnement, elle doit
s’intégrer au poème.
Plusieurs didascalies indiquent quand elle doit
intervenir.
En préface, Lalonde reconnait que
l’incommunicabilité des êtres, thème très présent dans les années 50 au Québec
et en France, était l’idée qui a déclenché ce poème : « Les
territoires intérieurs sont irréductibles, les êtres se
touchent, se palpent, se ressemblent, se possèdent, mais à peine se
connaissent. » Les humains sont profondément seuls, chaque individu est
ancré dans son monde intérieur, tous les moyens de communication sont déficients et l’amour, qui peut faire illusion un instant, n’est que
chimères, miroirs aux alouettes.
Le poème, conçu
pour être « joué » en public, exige la participation de six
récitants : en plus de
la Fiancée, du Vendeur d’alouettes et de l’Éclusier, il y a trois Voix qui interviennent séparément.
L’incommunicabilité, dont il est
question en préface, est vue sous l’angle amoureux. On comprend que la rencontre amoureuse n’est viable
qu’en rêve, qu’elle se gâte dès qu’elle se heurte au principe de réalité.
Dès sa première intervention, la
Fiancée se présente comme « une ville morte » que le « sommeil
isole et préserve ». L’amour lui est révélé en songe : « Ah je
savais que j’étais une fiancée, et que l’amour lourdement s’enfonçait en moi
comme un cœur qui a commencé de battre… » Un fiancé apparaît sur fond
d’horizon, et elle s’avance difficilement vers lui. Alors intervient le Vendeur
d’alouettes, celui qui « échange des vieilles prunelles pour des alouettes
neuves» : « Ne savez-vous pas qu’il est interdit de garder avec soi,
même le plus petit soupçon de regard, le plus minuscule fragment de vision
précise, au seuil de ce paysage de sommeil ? » Qu’est-ce à dire sinon
que tout recours au réel doit être abandonné. L’amour sera en quelque sorte une
construction purement imaginaire. Les amoureux vont plonger toujours plus avant
dans la « chaude moiteur du songe » : « Et nous avancions
toujours, sillonnant la nuit convulsive de nos présences parallèles. […] O bien
aimé ! il devait donc me rester cette dernière et unique fois où je te
puisse regarder et toucher avant la dislocation du songe ? » Mais le
songe finit par s’évanouir et le fiancé est emporté avec lui. « Et soudain
il y eut une grande déchirure […] et soudain, tu n’étais plus là ». L’Éclusier,
le gardien des rêves, lui explique ce qui attend le Fiancé qu’elle continue de
chercher : « … il y a une barque crayeuse et blanchâtre, qu’il
détachera et conduira avec l’allégresse d’un nautonier qui découvre un nouveau
chenal. … le chenal de son rêve à lui, et de cette mer hermétique et exclusive
à laquelle chacun accède par les écluses de sa mémoire et de son
sommeil ». Il lui explique que le Fiancé ne sortira jamais de ce rêve,
qu’il errera « de bourbiers en marais, de marais en saulaies, de saulaies
en savanes », condamné à la « solitude infrangible où l’emmèneront
migrer les oiseaux divagants ». La fin du poème rejoint le début :
« A cet instant où l’amour se défait et se dénoue comme une chevelure trop
lourde, pesant sur la nuque, et où l’espoir à son tour cède et crève comme une
tige qui a trop longtemps retenu la sève, n’ayant point de fruit à nourrir, je
ressemble à ces villes aztèques détruites et désertées que le vent seul visite
et effrite doucement… »
Tout cela est très abstrait et assez loin de Speak
White, l’un des plus grands poèmes des années 60. À ce que je sache, il
n’existe pas d’enregistrement de la prestation donnée sur Radio-Canada en 1958. La récitation de ce poème, sur fond d’ondes Martenot, a sans doute dérouté bien des auditeurs.
Geôles, de la même auteure, est un recueil beaucoup plus intéressant.