28 septembre 2018

L'homme et le jour

Jean-Guy Pilon, L'homme et le jour, Montréal, Éditions de l'Hexagone, 1957, 53 p.

Le recueil compte deux parties. La première ne porte pas de titre alors que la seconde, intitulée Visages de la terre, contient neuf poèmes en prose.

On est porté à lire cette poésie au regard du contexte historique de la fin des années 50, même si elle est abstraite, métaphorique, donc sans lien explicite avec le territoire et même l’histoire. Pilon évoque une situation conflictuelle, sclérosante, des gens brimés à la recherche d’eux-mêmes, impuissants, aliénés : « C’était un pays de luttes inutiles / Et de ruines magnifiques / Un pays rongé par la vermine ». Ce peuple n’arrive pas à canaliser sa révolte dans une action qui le sortirait de son marasme. « Cherche avec moi / Les forêts de haut feu / Les pierres de vengeance / Les jardins de pourriture // Cherche avec moi / Le moment d’y ensevelir / La mauvaise conscience ». À défaut d’agir, on se contente d’espérer  dans un climat d’attente débilitant : « Nous sommes au point mort / De la désertion tragique / Nous attendons la parole de délivrance / Sans aider la porte à tourner sur ses gonds ». La fin de cette première partie est assez ambiguë : après ce qui semble être un combat perdu, l’auteur replonge dans ses désillusions: « Seuls / Avec l’unique sanglot / Le dernier de la gorge / Qui sut dire les premiers mots d’amour / Il nous faudra joindre les mains / Et fermer les yeux / Car nous serons rejetés / De ce doux mais terrifiant jardin / que notre obstination / Aura voué à la mort ».

Dans la seconde partie, Visages de la terre, l’espoir trouve le chemin de l’agir. Pilon exploite deux motifs qui vont identifier les poètes de l’Hexagone et leurs épigones : l’âge de la parole et surtout la femme-pays. « Visages de la terre, quand j’aurai dit vos noms, les fleuves n’auront pas cessé de polir les rocs oubliés. » Alors que dans la première partie, Pilon évoquait une certaine lâcheté devant la tâche à accomplir, il espère maintenant une démarche faite d’authenticité et de dignité : « Je souhaite à vos fronts si hauts de ne point connaitre le méprisable refuge du masque ». Ce voyage ne saurait s’accomplir sans l’accompagnement de la femme : « Femme à la présence d’oiseau, je devine le jardin fermé sous ton refus sans mot et le violent mépris avec lequel tu brises les parfums. Je sais que tu m’as devancé aux carrefours futurs et que ta robe est une voile sur ton corps de mouette.  / Je garderai dans mes mains jusqu’à l’épuisement de toute lumière, la chaleur du pain et le globe pudique de ton visage de fruit mûr. » Le recueil se termine par un message d’espoir typiquement hexagonien, marche vers l’amour, marche vers le pays : « N'arrête pas malgré le réverbère sous la neige, malgré les frontières de la fidélité, malgré la chaleur indispensable de ton lit. » Et : « Multiples visages d’une même passion qui prend son haleine dans la violence des sèves et l’éclat renouvelé des astres, je rapproche de vos poitrines et de la ville les bras alourdis de la foudre vaincue. »

Ce recueil représente bien ce moment de passage entre la « grande noirceur » et les années soixante. On y voit un homme, confus et isolé, qui cherche sa voie et sa voix pour exprimer le malaise qu’il ressent, qu’il peine à nommer.


Jean-Guy Pilon sur Laurentiana
L'homme et le jour 

21 septembre 2018

La fiancée du matin


Jean-Guy Pilon, La fiancée du matin, Montréal, Éditions Amicitia, 1953, 60 p.

On indique sur la page titre que cette édition serait la deuxième, mais je crois qu’il s’agit d’une erreur : je n’ai trouvé aucune référence à une édition antérieure. Peut-être s’agit-il d’un deuxième tirage…

En 1953, Pilon n’a que 23 ans et est étudiant de deuxième année en droit. C’est son premier recueil et il semble l’avoir désavoué puisqu’il ne l’a pas intégré à Comme eau retenue, la compilation de ses œuvres publiée à L’Hexagone en 1970.

Le recueil compte trois parties. Chacune est placée sous la tutelle d’un poète connu et précédée de quelques vers en exergue de ce dernier.

La fiancée du matin, la première partie qui a donné son nom au recueil, est dédiée à Rina Lasnier. Dans une entrevue, Pilon a révélé que cette dernière l’avait accompagné dans son travail poétique pendant deux ans. La fiancée du matin est un long poème sentimental, d’une quinzaine de pages,  divisé en huit sections, comme autant d’étapes d’un premier amour qui se termine mal : ainsi se succèdent l’amour rêvé, la rencontre, l’amour fou, la rupture, la peine d’amour, le deuil amoureux, les tentatives de comprendre, la guérison. Le jeune Pilon utilise un style fleuri qui n’a rien d’une « eau retenue ». On a droit à beaucoup d’effusions, de lyrisme, d’épanchements romantiques, d’exclamations…

Dans Poèmes du midi, sous l’égide de Paul Éluard, le style est beaucoup plus contenu. L’amour est encore le sujet des 15 poèmes de cette partie, sans  les débordements de La fiancée du matin. Dans plusieurs poèmes, le poète s’efforce de dire la grandeur de son amour : « De tes yeux penchés sur ma vie / À ton épaule infaillible de courage, / De tes lèvres créées pour l’amour / À l’instant du jour attendu, / Tu es toute ma joie. » Il essaie aussi de projeter son couple dans le futur : « Quand le don total / Illuminera nos souffles, /…/ Nos mains s’uniront / Par un clair matin d’été. / Voile de dentelle, / Robe blanche, / Anneau discret ». L’amour lui permet d’envisager son futur en toute quiétude : « Mais tu es là pour toujours et rien n’arrivera / Car tu rajeunis le monde à chaque instant du don ».

Pilon choisit le parrainage d’Alain Grandbois dans Poèmes du soir. Ce n’est peut-être pas un thème qui unit les 16 poèmes qui composent cette partie, mais plutôt un état d’esprit, un mélange d’inquiétude et de nostalgie. On pourrait même y voir un bilan, si le terme peut s’appliquer à un jeune homme au début de la vingtaine. Plusieurs poèmes sont tournés vers l’enfance, « Souvenir du temps des jeux / Des heures perdues / Où tout était lumineux. » Le poète essaie de retrouver l’enfant qu’il était : « J’ai perdu une part de moi-même / Dont je me souviens à chaque pas ». Il sait qu’il faut en finir avec le passé : « Les portes sont closes / Sur les souvenirs en allés / Les jeux sont finis / Dans l’herbe verte et tendre ». Pilon termine son recueil en évoquant un passé plus récent et c’est ici que perce l’inquiétude devant le monde qui s’offre à lui : « N’espérant que l’instant du don / Et la chance du désir / Le fruit mûr regarde l’espace / De ses yeux étonnés de silence. »

La fiancée du matin lançait la carrière littéraire de Pilon. De toute évidence, l’auteur cherche son style, mais quelques vers ici et là nous annoncent l’important poète qu’il deviendra.

Jean-Guy Pilon sur Laurentiana
La fiancée du matin
Les cloîtres de l'été
Les matinaux 
Les débuts de l'Hexagone
L'homme et le jour (à venir)

14 septembre 2018

Plaisirs

Éloi de Grandmont, Plaisirs, Montréal, Chanteclerc, 1953, 30 pages (avec une chanson de Maurice Blackburn).

La poésie d’Éloi de Grandmont n’est pas exempte de naïvetés. Plaisirs reprend où Premiers secrets nous a laissés. Il en était à poétiser son enfance et ses premières amourettes et il poursuit dans la même veine. On se retrouve dans l’atmosphère des années 50, ne serait-ce que par les références à la vie paysanne et à la religion. Pourtant, n’y cherchez pas une critique de ce monde rétréci, aux dires de bien des auteurs. « C’était quand même le bon temps », semble-t-il nous dire dans « Dimanches naïfs » : « Surplis, soleil, encens, barrettes / Paysage des Fêtes-Dieu, / Des processions jusqu’à midi / Avec solos de clarinette ». Mais la Fête-Dieu n’est pas seulement une fête religieuse, elle lui rappelle le « temps des premières cigarettes », des premières beuveries et même le « Divin corsage des fillettes, / Étoffes d’un prix modéré / Sous lesquelles nos mains glissaient ».

La plupart des poèmes évoquent le temps de l’innocence heureuse, avec humour et dérision. On découvre ici et là un peu de tristesse, vite réprimée.  

DOUX TEMPS

Doux temps des amours !
Le sable des plages
Est à peine sec,
Est à peine cuit
Que déjà le jour
Que déjà la pluie
Que déjà son cœur
Que déjà le miens
Que déjà l’amour...

Faudra-t-il dormir
À l’hôtel demain ?
Faudra-t-il pleurer ?
Ne plus voir l’éclair
Que dans les miroirs,
Sur les meubles clairs,
La chaise en métal.
La porte d’émail ?
Faudra-t-il mourir ?

Doux temps des amours !
Gamine farouche,
Plus vive que l’aile
D’un oiseau sauvage,
Rieuse dans l’herbe,
Rieuse dans l’eau,
Dans le foin aussi
(Une seule fois
Pendant un orage).

Je tourne la page
De ce premier livre
Du temps des amours,
Du temps des orages
Et des bras qui serrent
Et des yeux qui crient.
Du temps des folies
Qu’on fait bien avant
D’avoir ses vingt ans.

Du temps, du doux temps
De ces amours-là.
Orage en vacances :
Soleil de la vie.

7 septembre 2018

L’étoile pourpre


Alain Grandbois, L’étoile pourpre, Montréal, L’Hexagone, 1957, 77 pages.

Comme dans ses deux précédents recueils, Grandbois dédie L’étoile pourpre à M. R., soit sa cousine Marguerite Rousseau qu’il va épouser en 1958.

Si on se fie au titre de ses deux recueils précédents, Les îles de la nuit et Rivages de l’homme, on peut dire que Grandbois, le grand voyageur, cherchait un ancrage, une île ou un rivage. De prime abord, cette étoile pourpre peut nous sembler bien mystérieuse. Elle ne peut évoquer un lieu physique. Est-ce à dire que Granbois pousse dans une autre dimension sa recherche de bonheur?

On a déjà une bonne idée du recueil en se penchant sur les deux poèmes les plus représentatifs : « L’Étoile pourpre » et « Noces ». Dans le poème éponyme, Grandbois présente une scène amoureuse dans un climat à la fois de début et surtout de fin du monde. « Au creux des cathédrales détruites / Parmi le chaos des pierres tombales ». C’est dans cette atmosphère plutôt lugubre que parait « [c]elle dont les yeux / Sont peuplés de douceur et de myosotis ». Cette rencontre suscite un grand moment d’exaltation chez le poète : « Je plongeais alors / Jusqu’au fond des âges / Jusqu’au gonflement de la première marée / Jusqu’au délire / De l’Étoile pourpre ». Il  a le sentiment de retrouver le temps premier, délivré de tout stigmate du passé, de pouvoir tout recommencer : « J’étais recouvert / De mille petits mollusques vifs / Ma nudité lustrée / Jouait dans le soleil / Je riais comme un enfant ». Mais avec Grandbois, on flirte davantage avec le désespoir et la mort; cet instant de bonheur lui échappe aussi vite qu’il est apparu : « Je noyais mes désespoirs / Au sombre élan de son flanc ravagé /…/ J’allais triompher / Mes palais soudain s’écroulaient / Aux brouillards de mes mains ».

La démarche est semblable dans le célèbre « Noces », poème d’amour et de mort, sauf que Grandbois nous amène plus loin. Encore une fois, la rencontre amoureuse prend une dimension cosmique. Grandbois décrit un couple fusionnel et sa plongée progressive dans les profondeurs marines. « Nous sommes debout / Debout et nus et droits / Coulant à pic tous les deux / Aux profondeurs marines ». L’amour et la mort, inextricablement liés, ramènent l’homme et la femme au premier temps de l’humanité, aux limites de la vie : « Nous nous enfonçons droits et purs / Dans l’ombre de la pénombre originelle ». Les amants veulent se libérer de toutes contingences terrestres : « Laissons le jour infernal / Laissons les cycles de haine / Laissons les dieux du glaive ». Le moment d’absolu est atteint dans leur fusion dans la mort : « Rigides et lisses comme des morts / Ma chair inerte dans son flanc creux / Nos yeux clos comme pour toujours / Ses bras mes bras n’existent plus ». La plongée se termine ainsi : « Nous plongeons à la mort du monde / Nous plongeons à la naissance du monde ». On peut y voir une fin ou une renaissance mais aussi, pour reprendre une belle expression de Jacques Brault, « un chant de mort à soi-même ». 

Élargissons un peu. Chez Grandbois, il y a le désir, à la fois euphorique et douloureux, du plus haut, du plus loin, du plus profond, d’abord dans l’ordre physique et géographique, mais aussi dans les dimensions spirituelle, philosophique, cosmique. Mais ce désir d’embrasser un univers toujours en expansion ( le « Chant des Absolus ») a comme contrepartie le besoin de s’ancrer sur une île,  un rivage ou une étoile. « L’absolu nous guette / Comme un loup dévorant ». Ou encore : « Les pas des hommes / Ne conduisent jamais nulle part ». L’amour participe de ces deux mouvements, tout comme le voyage. « Tu m’apportais ton baiser d’aube / À goût de crépuscule / Tu préparais ma mort / Avec des doigts minutieux / Et dans leur étonnant silence / Sous la pâleur des étoiles vertes / Le lieu nous fixait pour les temps éternels » (Amour).

L’amour (et sa contrepartie la mort) est le thème sur lequel se développent la plupart des poèmes dans L’étoile pourpre. La poursuite de l’étoile pourpre se confond souvent avec la quête amoureuseGrandbois, après avoir convoqué la terre et le cosmos, le ciel et les océans, termine de façon plutôt prosaïque son recueil : « Nous nous prenions la main / Nous avancions dans la vie / Avec cette quarantaine d’années accumulées / Chacun de nous / Veuf deux ou trois fois / De deux ou trois blessures mortelles / Nous avions survécu par miracle / Aux démons des destructions » (Cris).

On rencontre beaucoup d’images, de symboles, d’adjectifs; dans ses meilleurs poèmes, beaucoup d’ampleur dans les vers et dans la composition; une solennité dans le ton; des passages très lyriques; bref une esthétique déjà rencontrée dans les recueils précédents. Avec moins de rigueur toutefois; j´ai même envie de dire : une esthétique plus baroque.


Alain Grandbois sur Laurentiana