26 novembre 2021

Soir d'automne

James (Émile Pierre) Prendergast, Soir d’automne, P. G. Delisle, Québec, 1881, 24 pages.

Prendergast est né à Québec en 1858. Il publie Soir d’automne à l’âge de 23 ans alors qu’il étudie le droit. Après ses études, il déménage au Manitoba où il se mariera et exercera des fonctions importantes. Il est décédé en 1945 à Winnipeg. Soir d’automne est son seul livre.

Le recueil ne contient qu’un long poème, conçu comme un dialogue entre le Poète et sa Muse.

Par un beau soir d’automne, le poète se sent très inspiré par la nature ambiante : « Je sens que l'âme est plus légère / Devant cette nature où rien n'est tourmenté ; / Et les étoiles d'or gravitant dans leur sphère, / Me semblent doucement s'approcher de la terre / Et sourire à l'humanité. »

Sa Muse refroidit ses ardeurs, lui demandant de porter plus loin son regard, de choisir des sources d’inspiration plus élevées : « Mais cherche la Beauté pure, vraie, idéale. / Nous n'en voyons ici qu'un reflet fugitif ». Elle lui rappelle que notre terre est bien imparfaite : « Aujourd'hui de tous lieux, de la nature immense / S'élève un cri de haine, une sombre rumeur ; / Et ceux qui croient pourtant, pâles, sans espérance, / Cachés sous le manteau de leur triste prudence / Craignent de dévoiler les pensers de leur cœur. »

Le Poète tombe vite d’accord avec sa Muse. « Oui, je sens sur mon front une céleste empreinte; / Je voudrais que mon cœur respirât sans contrainte / Dans l'amour et la liberté. / […] Quelque chose m'appelle au-delà de la terre. »

La Muse lui avoue que son nom est la Grâce. « J'ai dit quel est mon nom : je m'appelle la Grâce. / Je console un moment, puis je remonte à Dieu. » Il faut donc comprendre que c’est Dieu (via sa messagère) qui inspire les poètes qui savent élever leur poésie au-dessus des contingences humaines : « Réveille-toi, Lyre ! le clairon sonne ! / Les archanges chantent en chœur ! / Des quatre coins la voix court et résonne, / Et la terre créée entonne / Le grand hymne du Créateur. »

Au fond, ce poème est une réflexion sur la poésie, sur l’inspiration poétique. Ce qu’on en comprend, c’est qu’il faut éviter la facilité, viser la Beauté et l’Idéal, une certaine transcendance. Faut-il y voir une critique du Romantisme et de son lyrisme parfois facile ?

19 novembre 2021

Le livre d'une mère

Éva Ouellet Doyle, Le livre d’une mère, Québec, Imprimerie Ernest Tremblay, 1939, 141 p.  

Le recueil est dédié à ses enfants : « Je dédie ce livre à mes enfants Harry, Thérèse et Lucie ». En épigraphe, on lit : « L’enfant est un rêveur assoiffé de lumière, / Son esprit agité cherche tout ici-bas, / Mais, dès qu’il a compris il revient sur ses pas / Et trouve le repos dans le cœur de sa mère. » Dans la préface, Alphonse Désilets vante celle qui, « tout en vaquant à ses devoirs quotidiens (…), s’est mise tout à coup à chanter » alors que « l’existence actuelle est remplie d’obligations nouvelles où il entre plus de prose que de poésie ». Le préfacier va jusqu’à attribuer à l’œuvre une portée édifiante, ce que reconnaitront « ceux qui croient encore au prestige des influences maternelles pour le bonheur de la vie. »

Dans le poème « Liminaire », elle prend soin de préciser que son recueil s’adresse aux « âmes sincères » et aux « mères aux grands cœurs », se moquant au passage des critiques : « Parlez, ô grands maîtres, / Qui croyez connaître / L’art des vers. / Parlez sans réserve / Car dans votre verve / Je me perds. »

Le titre n’est pas un indicateur fiable du contenu. Le recueil compte cinq parties. Dans la première, « À ceux que j’aime », l’autrice relate sa vie de famille : son mari, ses enfants, les joies familiales ; dans le dernier poème, la grand-mère qu’elle est devenue se rappelle le temps heureux où elle était mère.

Dans « Aux disparus », elle rend hommage à ceux et celles qu’elle a aimés et qui sont décédés : sa mère, une amie, des marins, Alfred Garneau. La mort n’est pas associée à la tristesse, elle est liée au sentiment religieux, à la vie après la vie.

« Souvenirs » rassemble des poèmes qui évoquent les temps jadis : son village et la maison natale, des chants qu’entonnait sa mère, la villa Myrfal, la bataille des plaines d’Abraham. « Quand je te revois, Ô vieille maison. / Mon âme est plus forte et plus courageuse. »

Dans « Élévations», Ouellet-Doyle chante les louanges du Seigneur. Pour elle, comme pour les Romantiques, Dieu s’incarne dans la nature. Elle avoue que sa vie est difficile, ce que la religion permet de sublimer.

« Divers », enfin, présente des poèmes plus personnels. Elle parle de ses peurs, de ses angoisses, de ses désillusions, du vieillissement. « Dans ma fenêtre un grand vent passe, / Un grand vent d'hiver et de froid / Qui pleure en courant sur mon toit, / Qui me transit et qui me glace. »

Sur le plan formel, on lit quelques poèmes à forme fixe (rondels, sonnets, ballades), mais surtout des suites de quatrains, de quintiles ou de sizains.

TOUSSAINT

Je suis allée au bois voir l’automne de près;
Les érables trop fiers de leurs mille nuances,
Les peupliers tremblants aux murmures discrets
Et les pins toujours verts comme au temps des semences.

 J’ai senti le bonheur d’être seule un moment
À travers la forêt dont la plainte m’est douce.
J’ai mêlé mes soupirs au souffle du grand vent
Et j’ai perdu mes pas en marchant dans la mousse.

La fin de toute chose est écrite en ce lieu.
Une voix qui s'éteint afflige la nature.
Mon cœur aussi connaît l'automne et la froidure
Mais il poursuit son rêve en regardant les cieux. 

Les cieux ! Là rien ne meurt, là, plus rien ne succombe,
L'ancre qui nous retient est à jamais levé,
Et qu'importent l’automne et le froid et la tombe,
Quand le cœur va s’ouvrir au Dieu qu'il a rêvé.

11 novembre 2021

Péché d'orgueil

Adolphe Brassard, Péché d'orgueil, Montréal, Imprimerie des sourds-muets, 1935, 262 pages.

On est en 1907. Gilberte, une orpheline, vit seule avec son oncle depuis que sa tante est décédée. Joachim Bruteau est un vieil égoïste qui traite sa nièce comme une servante. Un accident de voiture vient perturber leur petit train-train. Étienne Bordier, l’ingénieur accidenté, est recueilli chez eux et il tombe amoureux de Gilberte. Rapidement il l’épouse mais il doit la quitter pour un travail dans le Grand Nord. Elle est enceinte et elle revient vivre avec son oncle en attendant le retour de son mari. Elle ne survit pas à la naissance de son enfant. Pour se venger d’Étienne qui lui a volé sa nièce, l’oncle dépose l’enfant à la crèche, tout en disant qu’il est décédé.

De retour, Étienne est dévasté, ce dont l’oncle se réjouit. Il retourne dans le Nord pour oublier. Six ans plus tard, le cousin d’Étienne et sa femme adoptent sans le savoir Paul, l’enfant d’Étienne et de Gilberte. Celui-ci grandit, termine son cours classique. Un jour, il apprend qu’il est un enfant issu d’une crèche, donc illégitime, et il en est dévasté. Les années passent, il finit ses études, se fait un nom et rencontre Alix de Busques, une jeune fille qui se considère aristocrate et qui n’a que mépris pour Paul et ses origines douteuses. Elle finit pourtant par l’épouser, par orgueil, parce qu’il l’a provoquée. Leur relation tourne vite au vinaigre. Ils s’entendent pour préserver les apparences.

Au même moment, le vieux Joachim fait parvenir à Étienne, toujours dans le grand Nord, une lettre lui demandant de passer le voir. Pour compléter sa vengeance, le vieux lui jette à la figure le fait qu’il a placé son fils dans une crèche. Étienne se met à sa recherche et découvre que son fils a été adopté par son cousin. Les retrouvailles entre le père et le fils se passent très bien.

Le mariage de Paul et Alix bat de l’aile. Les deux s’aiment mais ratent toutes les occasions de se rapprocher (le péché d’orgueil du titre). Sur le lit de mort d’Étienne, Paul raconte à son père l’amour qu’il porte à sa femme, ce que cette dernière entend. Ils finissent par se parler vraiment et, comme il se doit, l’amour triomphe.

Ce récit adopte la trame des récits populaires. Les personnages sont campés dans des travers poussés au paxoxysme. Ainsi en est-il de l’orgueil d’Alix, de l’amour d’Étienne ou de la méchanceté du vieux Joachim. Cela conduit à des invraisemblances psychologiques auxquelles le lecteur de roman populaire doit prêter foi pour ne pas briser l’illusion. Brassard raconte, tantôt avec finesse et tantôt de façon ampoulée, les aventures de ses héros. Le roman est plutôt bien écrit et l’humour allège le caractère mélodramatique du roman.

Extrait

« Alix frémit. Amour, ce mot venait de descendre dans son cœur, et donnait un nom à ce qui s’y passait. Elle ne se défendit pas pour nommer celui qui la jetait dans cet émoi troublant. Elle aimait son mari, et pour se l’avouer, elle sentit son amour grandir et la prendre toute. Empoignée par la sublimité de ce chant vainqueur, la jeune femme l’écoutait dans le ravissement, mais soudain, comme ces nuages subits qui cachent le soleil et jettent de l’ombre sur les choses resplendissantes, une angoisse terrible faite d’une certitude absolue, irréfutable, vint l’affoler puis la terrassa: elle aimait Paul, mais lui ne pouvait plus l’aimer, jamais. Alix vit avec épouvante la vie qui allait être la sienne, une vie de dissimulation et de souffrance. Son amour, il devra se consumer ignoré, elle devra le cacher à celui qui l’avait fait éclore […]. En songeant à l’humiliation qui l’écraserait si Paul un jour venait à découvrir qu’elle l’aimait, Alix fit appel à son orgueil pour lui éviter cet affront. Il arriva en se faisant prier mais la fierté de la jeune femme bondit et arriva à la rescousse. Non, elle, Alix de Busques, ne deviendra pas la risée de Paul Bordier. Personne ne connaîtra le secret de son cœur… » (p. 142-143)

2 novembre 2021

Le diable par la queue

Jean Pellerin, Le diable par la queue, Montréal, Cercle du livre de France, 1957, 253 pages. 

Basile et Amélie tirent le diable par la queue. Malgré toute sa bonne volonté, Basile n’arrive pas à trouver du travail. Ils habitent Montréal et ils ont deux adolescents : Picot (Maxime) et Anne.  Une cousine et son mari irlandais de New York les enjoignent de venir les retrouver, les assurant d’un travail stable. Pendant quelques mois, tout se passe plutôt bien, Basile travaillant dans une aciérie. Mais bientôt la compagnie n’offre plus que des demi-semaines, pour finalement interrompre ses activités. Basile et sa famille n’ont pas le choix : ils doivent marcher sur leur orgueil et fréquenter L’Armée de salut pour obtenir des denrées et des vêtements, tout compte fait pour survivre. Le loyer et les dettes s’accumulent. Lorsque les cousins américains leur proposent de les accompagner au Canada pour le temps des Fêtes, ils décident tout simplement de plier bagage et de rentrer au pays.

 

Pellerin (1917-2001) trace un tableau très sombre de la condition ouvrière dans les grandes villes. Montréal ou New York, c’est blanc bonnet et bonnet blanc. On pense à Bonheur d’occasion bien que la vision de Pellerin n’ait pas l’amplitude de celle de Gabrielle Roy. Il colle aux événements, parfois assez banals. Le roman a souvent les allures d’une chronique, le style est plutôt journalistique. Pellerin décrit New York de l’extérieur, s’attachant aux lieux connus. Certains épisodes ont peu à voir avec l’intrigue principale. Bref, c’est un roman socialement sensible, écrit correctement, mais sans grands éclats. 

 

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Le roman a connu une seconde édition en livre de poche (1970)

 

Extrait 

— Ouais, ben, je viens d’apprendre quelque chose, dit Basile en enlevant son veston. Il paraît que la Salvation distribue des provisions.

— Salvation ?

— Ça s’appelle, en français, l’Armée du Salut. Des individus attifés comme des corbeaux et qui sonnent une cloche au coin des rues pour demander la charité. Il paraît que ces gens-là donnent, comme ça, aux quêteux, sans poser de question. Pas un chat pour nous reconnaître là-dedans !

— Ça veut dire ?

— Diable ! Ça veut dire : aussi bien en profiter !

La femme veut protester.

— Faut pas faire les becs fins, observe Basile. On est pas haut montés, tu le sais.

— Tout de même.

L’homme s’enflamme.

— Penses-y ! Le compte d’épicerie qui monte que c’en est effrayant ; pas une sacrée cenne qui nous adore ; deux mois de loyer en retard : c’est rougeaud ?

— Je sais, je sais, soupire Amélie. C’est pas réjouissant.

— Alors ?

— Alors quoi ? Va pour l'Armée du Salut, si tu penses...

Basile en a le souffle coupé. Il s’attendait à plus de chichi. Pris au dépourvu, il cherche une issue.

— Écoute donc, Picot, dit-il, tu n’irais pas voir, toi...

Le garçonnet voudrait protester, trouver un prétexte.

— Euh... vous savez, c’est pas mal loin !

— J’irais bien moi, mais tu comprends, mon anglais...

(pages 161-162)