24 janvier 2012

Mélanges poétiques et littéraires


F. G. Marchand, Mélanges poétiques et littéraires, Montréal, Beauchemin, 1899, 367 pages. (Préface d’A. D. de Celles)

On le sait, Félix-Gabriel Marchand a été premier ministre du Québec de 1897 à 1900. Il est mort dans l’exercice de ses fonctions. En 1899, quand il publie ce livre, il a 67 ans et il est en poste depuis deux ans. Peu habituel quand même qu’un premier ministre publie ses œuvres complètes!

Comme le titre l’indique, Mélanges poétiques et littéraires regroupe les principaux écrits de leur auteur.  Marchand a possédé des journaux dans lesquels il publiait ses œuvres.

Le recueil est divisé en trois parties : Pièces dramatiques, Poésies diverses et Prose.

Pièces dramatiques
Voici cinq pièces comiques dont trois sont écrites en vers. Dans Un bonheur en attire un autre (1883), un jeune marié déclare à son ami qu’il étouffe dans la « béatitude uniforme et tenace » du mariage; il change d’idée quand il croit que sa jeune femme le trompe. Dans Les faux brillants (1885), dont Jean-Claude Germain a fait une réécriture en 1977, il présente un bourgeois entiché de noblesse qui veut que ses filles épousent qui un baron, qui un comte. In extremis, il découvre que ces faux nobles ne cherchaient qu’à lui soutirer son argent. Dans Erreur n’est pas compte (1872), encore un bourgeois qui cherche un époux pour sa fille trop dépensière : le fiancé a un frère jumeau identique qui a mal tourné, ce qui crée quelques quiproquos. Je n’ai pas lu Fatenville (1869) et Le Lauréat (1899), un opéra-comique en deux actes qui fut créé 1906. Certaines de ses pièces ont été publiées en livre. Rien d'original, tout cela sent à plein nez Molière, Beaumarchais, Marivaux et probablement les auteurs de vaudeville français (que je connais peu : Labiche, Feydeau...).

Poésies diverses
Il est un peu difficile de parler de poésie. Je dirais plutôt des textes rimés, au mieux des exercices scolaires. On a droit à deux poèmes moralisateurs : « Les travers du siècle » où il est dit que : « Mais le plus ennuyeux des fâcheux, quoi qu'on dise, / Est cet énergumène en paroles fécond,  / Qui, tout scandalisé du siècle, se morfond / A prouver des humains la coupable ignorance, / Et qui, poussant sa fougue insensée à l'outrance, / Pour réforme a rêvé l'État bouleversé, / Et, pour dernier succès, le monde renversé. » Futur programme du premier ministre?  Dans le texte « Nos ridicules » il passe en revue nos principaux défauts sous la lorgnette des sept péchés capitaux. Suivent entre autres un « Hymne aux Martyrs de 1837 » et trois poèmes qui abordent le thème de la charité : « Impromptus sur la charité », « La sœur de charité » et « Charité enfantine ».

Prose
Il est un peu exagéré de prétendre que ces textes puissent faire partie d’un recueil qui recense des textes poétiques et littéraires. Des huit écrits qui composent cette partie retenons un récit de voyage, un article sur la constitution et, le plus sympathique, un texte quelque peu humoristique qui raconte les déboires du « premier chemin de fer canadien » : il semblerait que lors du lancement, on n’ait pas réussi à faire démarrer  la locomotive.

Extrait
INAUGURATION DU PREMIER CHEMIN DE FER CANADIEN

C'est à la ville de Saint-Jean d'Iberville qu'appartient l'honneur d'avoir inauguré la première voie ferrée construite sur le sol canadien. Elle s'étendait depuis cette ville jusqu'au village de Laprairie, distance de 15 milles, et servait à relier la navigation du lac Champlain à celle du Saint- Laurent.

L'organisation fut lente et difficile. Il s'agissait d'une entreprise d'un genre jusque-là inconnu, dont nos capitalistes n'avaient encore que des notions très imparfaites et qui semblait leur offrir des chances de succès plus que douteuses.

Cependant la Compagnie du Champlain et du Saint- Laurent finit par se constituer et ses travaux, poussés avec vigueur, furent terminée durant l'été de 1836.

Mais le parachèvement du chemin n'était pas le plus difficile de l'entreprise. Personne en Canada n'avait une connaissance suffisante du mécanisme d'une locomotive pour en entreprendre la construction, et la direction s'était trouvée dans la nécessité de donner sa commande à une fabrique écossaise.

Après une attente bien trop prolongée pour l'impatience du public, on annonça enfin l'arrivée dans le port de Montréal d'un voilier ayant à son bord la locomotive tant désirée.

[…]
L'heure de la grande épreuve approchait. Un air de mystère entourait tous les préparatifs. La locomotive, accompagnée de son ingénieur-mécanicien, homme silencieux et bourru comme le plus rébarbatif des cornacs, était arrivée nuitamment, à l'improviste, traînée avec une prudente lenteur par quatre lourds chevaux, inconscients des bons offices qu'ils prêtaient à un formidable rival dès ses premiers pas. On l'avait ainsi remorquée afin, disait-on, de ne pas anticiper sur la cérémonie d'inauguration.

La vue même en était interdite au public. Les premiers soins du morose gardien avaient été d'entourer cet objet de toutes ses sollicitudes d'une forte cloison, à l'intérieur de laquelle personne n'était admis. On avait beau solliciter, se fâcher même, rien ne pouvait ébranler sa persistante obstination. Aux questionneurs, il répondait invariablement par monosyllabes, accompagnés parfois d'un juron du plus pur écossais ; puis, il se retirait en grommelant dans le compartiment mystérieux et en verrouillait la porte à l'intérieur.

[…]
Enfin le moment solennel arriva. Deux wagons, proclamés superbes par la foule ébahie — quoiqu'ils ne fissent aucunement prévoir les chars-palais de notre époque — furent bientôt remplis des quelques privilégiés invités par faveur spéciale à faire partie de l'expédition.

On avait naturellement préludé par une série de discours bien sentis, prononcés par les notables de l'endroit et par les membres de la direction ; le tout arrosé d'un Champagne pétillant, accessoire indispensable de toutes les inaugurations bien comprises.

La locomotive, soumise pour la première fois à l'inspection du vulgaire, lançait vers le ciel étoile sa fumée noire, par bouffées, et faisait entendre une série non interrompue de soupirs saccadés,
comme pour témoigner son ennui des regards indiscrets dont elle était l'objet.

De son côté, l'ingénieur-mécanicien, tout pénétré de l'importance de sa fonction, se tenait à son poste dans une attitude de dignité superbe, tout prêt à donner le signal du départ.

Les enthousiastes étaient là, nombreux et bruyants, qui se préparaient à lancer leurs bravos étourdissants au premier mouvement du convoi. Les sceptiques y étaient aussi, attendant en
silence la réalisation de leurs sinistres prévisions.

Soudain, un sifflement aigu se fait entendre !

Tout est prêt.

Les spectateurs, maintenant silencieux, sont dans une attente fiévreuse ; le mécanicien, plus solennel que jamais dans son rôle de deus ex machina, appuie majestueusement la main droite sur l'aiguille motrice. Aussitôt la locomotive s'agite, exhale des soupirs plus gros, plus précipités, plus véhéments que jamais ; elle s'ébranle dans un suprême effort, les roues font péniblement un demi-tour en avant et... s'arrêtent!... L'ingénieur recommence son manège... Rien ne bouge... Il fait une inspection minutieuse du monstre récalcitrant, tourne une vis ici et là ; puis saisissant de nouveau l'aiguille, il l'agite furieusement. La locomotive est secouée dans toutes ses parties ; elle fume, geint, siffle et semble affectée d'un tremblement épileptique... Mais elle n'avance pas d'un pouce...

Une exclamation de désappointement s'échappe de mille poitrines à la fois.

Hélas ! l'expérience était manquée !

Le parti des sceptiques triomphait.

Jean Du Berger a fait de courtes présentations des pièces de Marchand pour le DOLQ.



18 janvier 2012

Totems

Gilles Hénault, Totems, Montréal, Éditions Erta, 1953, s.p. (28 pages) (Collection de la Tête armée no 1) (Couverture et trois planches illustrées d’Albert Dumouchel)

Voici le premier recueil de la célèbre collection « La Tête armée » qui va réunir typographes, graveurs et poètes sur le modèle des Cahiers de la file indienne. Six titres vont paraître dans ce qui est la première collection consacrée exclusivement à la poésie. Pour vendre les recueils, on va procéder par souscription, comme le fera aussi l’Hexagone. Roland Giguère en sera l’âme dirigeante et plus encore, puisque Les Armes blanches deviendra le deuxième recueil de la collection.  

Totems est une mince plaquette qui ne contient que 12 poèmes.  Le titre évoque les origines d’un groupe humain, son fondement, son parcours,  en quelque sorte ce qui l’a formé, ce qui le définit, ce qui maintient sa cohésion.


Petite genèse apocryphe (dédié à Roland Giguère)
Suite poétique composée de 12 strophes. Sur le mode de l’humour et de la dérision, Hénault refait le récit de la genèse. Dans un premier temps, Adam et Ève sont chassés du paradis terrestre par un Dieu théâtral, vengeur, plus préoccupé par son costume et « la confiture aux pommes » que par ses enfants, les hommes et les femmes livrés au mal désormais. Dans un deuxième temps, à l’ombre du totem, l’homme se reconstruit, retrouve l’espoir qui fait vivre, capable d’affronter le « désert de soif et de sable » et de refaire de la terre un lieu habitable. « La terre balance / ses flancs d’abondance /… / Les moissons se pâme / quand le vent les peigne »

Temps des aurores du temps
Le passé préhistorique est décrit comme le temps de référence, celui « du bonheur fossile ». Ce bonheur primordial est perdu quand les tomahawks, les tam-tams, les tambours et les marteaux « assourdiss[ent la source éclatante du silence ». Comment retrouver la paix quand le « désespoir est un mensonge aux mille masques » ?

Avec le feu, avec le vin
Il décrit un pays sans le nommer, là tout près, mais inaccessible. Mais est-ce vraiment un pays, cette « barque sans oriflamme »? L’inspiration, la poésie, une femme? Ce sont les mots qui font obstacle, qui sèment consternation et froid : « Et les mots seuls nous séparaient / Niagara tonnant dans le vide / Neige évanescente / pont de glace au-dessus de l’aurore ». Encore une fois, obligation de retourner en amont pour « prendre racine dans le terreau ».

Enfance
Toujours le monde qui fuit, qui échappe, ici l’enfance, son enfance, mais aussi celle de l’humanité.

Chanson des mégots
Chanson surréaliste, avec refrain. On a l’impression qu’il s’agit d’une femme, d’une perte amoureuse, mais rien n’est moins sûr. En fait, celle qui part n’apporte rien, même sa fuite se dissout dans un vague qui la rend douteuse. « Elle est partie sans ses poissons dorés au cœur de cerise / Sans le rayon des jours sans pluie / sans le manteau de bruit que tisse le passage des trains ». Elle laisse derrière elle, surtout un grand désordre, dont des mégots. « Et la dernière journée elle partit / en laissant ses mégots / en laissant un éventail de frasques incomprises / ses cheveux aux serrures / ses empreintes digitales au plafond / ses colères éclatées / par où entre le vent des futures années ».

Gaspésie
« Les mains coupées sont bien le pire des mutismes ». Retour à la mer, aux origines. « Ce n’est pas tout de dire / il faut toucher ».

Feu sur la bête-angoisse
Même si « la révolte est la vague la plus haute », « l’homme se souvient de l’enfant qu’il a ». Concilier l’engagement social et la présence auprès des siens, le futur idéalisé et la vie présente.

Défense de toucher
Reprend la thématique de « Gaspésie ». La main et les mots, le faire et le dire. « Les mots ne sont rien ». Pour le poète, « les mains savent bien plus / que les mots ».

On tourne
Le mince espace entre la misère et la violence : « Le vide est plein d’épines / Et sous les feux croisés / La nuit pleine d’épées. »

Un homme à la mer
La peine d’amour, le désespoir amoureux, le deuil, la tromperie, la moquerie. « La beauté des femmes est effrayante ».

L’enfant prodigue
De l’enfance perdue. Le travailleur est asservi par son travail, tout à ses occupations, privé de sa vie, aliéné.  « L’homme rivé à son travail qui est de river toute la journée ». Élément théâtral.

Je te salue
Poème d’anthologie, surtout les deux premières parties. Malgré toutes les spoliations dont ils ont été victimes, les Autochtones nous ont laissé leurs « espoirs totémiques ». Forts de cette impulsion spirituelle, les « Visages-Pâles » ont construit un pays à la mesure de leurs rêves. « Pays casqué de glaces polaires / Auréolé d’aurores boréales / Et tendant aux générations futures / L’étincelante gerbe de tes feux d’uranium ».

Ce qui me frappe d’abord dans le recueil, c’est la diversité dans la manière et dans l’inspiration. Certains poèmes flirtent avec le surréalisme (Chanson du mégot), d’autres utilisent un langage presque quotidien (Défense de toucher). Comme si Hénault voulait parler aussi bien à l’intellectuel et à l’esthète qu’au simple ouvrier. Certains poèmes semblent très personnels (Feu sur la bête-angoisse, Un homme à la mer), d’autres sont d’inspiration sociale (On tourne, L’enfant prodigue), d’autres plus ethnologique (Je te salue) ou même esthétique (Défense de toucher). Dans tous ces poèmes, il y a la recherche des origines, d’un bonheur ancien, celui de l’enfance, des premiers temps de l’humanité, loin des mensonges et du bruit de la vie contemporaine.

Lire : Un jour on va revenir à la poésie, entrevue accordée à Paul Chamberland


LA CHANSON DES MÉGOTS

Elle est partie en laissant ses mégots.
Eh ! pourquoi pas, le feu est sans histoire
Et l'art de bien fumer pare les continents.
Qu'en dites-vous, lutins des magiques journées ?
Ces temps sont révolus parce que l'âme clame en toi
la floraison des voyages délétères.

II

Elle est partie en laissant ses mégots.
Transparente est la fuite des voilures lisses
au bord d'un horizon mémorial
où la rame indéfiniment rature les vagues du rêve.
Elle est partie sans ses poissons dorés au cœur de cerise
sans le rayon des jours sans pluie
sans le manteau de bruit que tisse le passage des trains
sans le petit chaperon rouge des soleils en-allés
sans l'ourson assis dans la désolation du déluge.

III

Elle est partie sens devant derrière
sa jeunesse décousue
en laissant le poisson comme un fruit.
Le couteau est moins aigu qu'un éclat de rire
La face convulsée est un écran très lumineux
La première journée, elle avait fait couler une source de ses cheveux
Qu'il t'en souvienne
La deuxième journée fut celle de l'amour sans nuages dans les îles de l'été
Et les autres journées furent les journées-caravane
Les orients pâlissaient devant le monstre bicéphale
Et la dernière journée elle partit
en laissant ses mégots
en laissant son éventail de frasques incomprises
Ses cheveux aux serrures
Ses empreintes digitales au plafond
Ses colères éclatées
par où entre le vent des futures années.


11 janvier 2012

Les armes blanches


Roland Giguère, Les armes blanches, Erta, 1954, s.p. (Collection de la tête armée) (Avec six dessins de l’auteur) (Couverture d'Albert Dumouchel)

Le recueil ne compte que 11 poèmes et fait moins de 30 pages. Matériellement, il est très richement illustré, ce qui en fait un objet recherché des collectionneurs.

Tout le recueil est construit sur la tension aliénation-rédemption. Le poète ne réussit jamais tout à fait à se libérer d’un monde qui l’opprime. On peut penser que c’est la société qui est l’oppresseur.

Dans « Continuer à vivre », Giguère décrit un monde en décrépitude dans lequel fleurit un « cancer … invulnérable». Les hommes qui l’habitent ont été souillés par cette pourriture et, pire encore, s’en sentent responsables : « nous nous sentions virus / plaies béantes / pus poison plaies / mauvais sang et plaies ». L’imaginaire leur sert d’exutoire : « et pour continuer à vivre / dans nos solitaires et silencieuses cellules / nous commencions d’inventer un monde / avec les formes et les couleurs / que nous lui avions rêvés ».

Dans « Les mots-flots », le poète évoque le pouvoir créateur du langage. Non contents de le représenter, les mots transfigurent le réel, le déplacent, le prolongent : « Les mots-flots viennent battre la plage blanche / où j’écris que l’eau n’est plus l’eau / sans les lèvres qui la boivent ». Ils peuvent aussi bien révéler la beauté qu’engendrer la faille qui jettera par terre l’édifice : « un seul grain de sable et la mariée n’est plus à elle / ne s’appartient plus / devient mère et se couche en souriant / comme un verre renversé perd son eau / et les mots-flots envahissent la table / la maison le champ / le verre se multiplie par sa brisure / et le malheur devient transparent ».

« L’été torride » évoque un être aliéné dans un monde desséché : « on perdait la tête à chaque pas et l’on se retournait / pour s’apercevoir qu’elle n’était plus là ».

« Paysage dépaysé », dédié à « [s]es amis peintres », et « Van Gogh » décrivent un monde vide, déglingué, qui ne demande qu’à être remodelé : « le paysage était à refaire » ; « la vie revenait à ses sources de miel / sève et sang renouvelés / dans un crépitement de l’œil » Ou encore : « Une vie de tournesols commençait ».

 « Le silence aux champs » nous transporte sur le versant de la révolte : « La raison de nos silences toujours la même / reculait devant la force du cri ».

 « À cris perdus », « Les heures lentes » et « Les yeux du pain » évoquent encore et toujours cette tension entre le malheur qui écrase l’individu et la résistance qui laisse l’espoir : « le feu toujours prêt à s’ouvrir / au souvenir de la cendre sur la feuille / au moindre geste d’allumer le regard ». Rien n’est jamais acquis, toute conquête repose sur des assises qui peuvent s’écrouler à tout moment : « les heures coulent dans les lignes profondes de la main / sans s'arrêter sans rien noyer sans heurt / les heures coulent et la main doucement se resserre / sur la gorge d'un long ruisseau / mince filet de voix qu'il ne faut pas briser / gorge chaude / mince filet de vie qu'il ne faut pas broyer / à tout prix / au prix de ne plus jamais dormir la nuit / au prix même de la vie ».

« Roses et ronces » est l’un des poèmes les plus célèbres de Giguère. La musicalité et le rythme contribuent à sa beauté. Les mots « roses, ronces et rosaces », assemblés de différentes façons, reviennent comme un leitmotiv. Au-delà du matériau sonore, on y retrouve encore cette alternance d’images qui évoquent tantôt la sérénité tantôt la catastrophe : « la douceur envolée n’a laissé derrière elle / qu’un long ruban déchiré ». Le monde a perdu ses points d’ancrage : « le cœur bat comme une porte / que plus rien ne retient dans ses gonds » Et dans ce poème, cet équilibre si tenu bascule dans la noirceur : « rosace les roses les roses et les ronces / il y avait sur cette terre tant de choses fragiles / tant de choses qu'il ne fallait pas briser / pour y croire et pour y boire / fontaine aussi pure aussi claire que l'eau / fontaine maintenant si noire que l'eau est absente »

Le dernier poème, intitulé prosaïquement « L’effort humain », m’apparaît comme un épilogue : une dernière fois, Giguère évoque un monde en ruine, dont il fallait se libérer. Pourtant, la conquête demeure bien modeste, le tout ne tient qu’à « un cerceau retrouvé ».

Les Armes blanches, publié en 1953, est l’un des beaux recueils de la poésie québécoise. Il faut se rappeler que les éditions de l’Hexagone seront fondées en cette même année 1953. Quand on met ces deux événements en parallèle, on ne peut qu’admirer le travail de Giguère. On peut dire sans se tromper que tout un pan de la collection « Les Matinaux » s’inscrit dans la continuité du travail de Giguère. On parle ici aussi bien de la thématique que de la fabrication artisanale des recueils.

Lire « Roses et ronces »
Lire « Les mots-flots »
Sur les éditions ERTA
La collection « La tête armée »