30 décembre 2020

LES ÉTRENNES (Doucet)

Dormez, dormez âmes rêveuses,
Pour vous Saint Nicolas s’en vient,
Par les étoiles lumineuses,
Avec des chansons et des riens :

Il s’en vient chérir votre rêve
Rempli de fleurs et de satins ;
L’aube du nouvel an se lève
Sur vos livres et vos patins,

La cloche tinte, matinale,
Carillonnant, drelin, drelin ;
Petites âmes virginales,
Voici l’an nouveau, ce matin.

Mon doux, quelles belles images
S’offrent à vos yeux éblouis :
Des arlequins de tous ramages,
Des cendrillons de tous pays !

Voici des roses et des flûtes,
lit des boîtes de chocolat,
Un singe qui fait des culbutes,
Des mirlitons et des soldats.

Ô nouvel an plein de mensonges,
Qu’apportes-tu pour les ainés ?
Des aubes mortes et des songes
Auxquels on fait des pieds-de-nez !

Qu’importe ? Le bonheur des autres
Nous aide à passer le chemin :
Les enfants sont les bons apôtres,
Il fait bon leur donner la main.

Leur éclat de rire console
Comme l’espoir aux lendemains ;
Et lorsque notre âme s’isole,
C’est en regrettant ces gamins !

 (Louis-Joseph Doucet, Sur les remparts, 1911, p. 44-45)

29 décembre 2020

NUIT DE NOËL (Gagnon)

Dans l’ombre on sent flotter les délices du soir;
Comme un lustre doré la lune au loin se lève:
Ma mie, allons tous deux, puisque la vie est brève,
Boire l’éternité du divin ostensoir.

Vois les flocons de neige; en tombant, ils se fondent,
Et leurs cristaux d’argent sont si tôt disparus!
Oh ! songe, ma chérie, aux chemins parcourus,
Oh ! si courts à côté du sommeil de la tombe.

Noël c’est jour de joie ou jour de volupté.
Pour les uns c’est la crèche où leur Dieu vient de naître;
Les autres, dans le bal et l’ivresse des fêtes,
Vont oublier leur âme et leur cœur agité.

Mais laissons-les, dans leur folie, à l’entraînante
Et langoureuse valse enchaîner leur soupir.
Dieu, c’est une pensée et Satan un désir:
Le désir est fatal, la pensée est vivante.

Et nous, en cette nuit d’effarement mortel,
Notre bonheur sera dans le temple de pierre:
Nous aurons pour orchestre un gros orgue en prière,
Et nous verrons danser les cierges de l’autel.
(25 décembre 1915.)

(Jean B. Gagnon, Coups de scalpel, p. 59-60

28 décembre 2020

Dans le calme des soirs

 

Odette des Neiges Fortin, Dans le calme des soirs, Hull, Les éditions de l'Éclair, 1941, 126 p.


Voyez-vous, là-bas, de hautes montagnes où les sapins et les épinettes aux longues branches couvertes de neige, semblent de blanches chevelures qui descendent jusqu’au bord de la rivière.

Là, c’est un moulin qui jase à cinq ou six maisons, au blanc capuchon, et c’est l’école dans l’escarpement du coteau.

Tantôt, ce sera la chapelle.

Les seuils sont bien clos. Il fait froid. Chaque foyer reçoit la chaleur des attisées de bouleau.

C’est la veille de Noël.

Les femmes ont passé la semaine entre la table et le poêle: tartines en dentelles, croquignoles dorées et poudrées, bûches de Noël et pâtés, tout est préparé; et ce soir, au fourneau, la tourtière du réveillon est entrée.

La joie est dans tous les cœurs des habitants de ce petit canton, d’autant plus vive que l’on a eu de crainte de n’avoir pas sa fête religieuse.

C’est loin, pour le missionnaire, quelque vingt-cinq milles en voiture par le froid et la tempête.

Et le père Lagacé, tout joyeux de demeurer plus près de l’école, s’en revenait fredonnant « Dans cette étable... » Il fallait chauffer sans cesse afin que l’école soit chaude pour les confessions; et c’est lui qui en avait la charge.

Ma petite Yvette, dit-il en entrant, prépare la table, Monsieur le Curé est à la veille d’arriver. Il regardait sa montre qui marquait neuf heures.

  Oui, mets le couvert comme il faut, dit Madame Lagacé. Tu as l’air bien songeuse, tu n’attends pas Adrien ce soir, je suppose?

  Oui, maman.

  Mais, ça fait trois jours qu’il fait tempête et qu’on ne voit rien.

  Qu’importe, reprit Yvette, Adrien a promis qu’il viendrait à Noël. Son cœur battait plus vite à cette pensée.

  As-tu fini tes mille Ave? lui dit Madame Lagacé.

   Pas encore, non, maman.

   Il doit y en avoir des distractions dans ces Avé là, hein ?

   Non, je n’en ai qu’une.

   Oui, je la connais.

Yvette rit subitement de toute sa gaîté de jeune fille heureuse qui attend beaucoup de la vie. Ils s’étaient promis l’an dernier, mais le petit pécule étant insuffisant pour fonder un foyer et ouvrir la terre en même temps, il avait fallu retarder les épousailles afin que la terre puisse les recevoir convenablement.

Et Adrien était parti, travailler au loin tout l’hiver.

Drelin, drelin, ah! le joyeux refrain des grelots, en ce soir de Noël, comme il était attendu!

Chaque fenêtre, où sourit la terne lumière de la lampe, voit se pencher une tête sous l’étamine blanche; une main, au-dessus d’un œil, appuyée sur la vitre glacée, chacun s’écrie: c’est Monsieur le Curé qui arrive!

Drelin, drelin, les traîneaux, les berlots arrivent aussi, d’une ou deux lieues, chargés de femmes et d’enfants emmitouflés de « nuages », de châles de laine et de peaux de mouton.

L’école s’illumine.

Déjà elle est vibrante du murmure confus des Ave, des petits bancs renversés, des bruits de pas qui vont, reviennent pour la confession. L’école est en fête.

Pourtant, aucune cloche pour éveiller les échos sous le ciel pailleté d’étoiles. Aucun son ne sème la gaieté sur les monts, au faîte des arbres. Mais tous les cœurs sont en joie.

Minuit! Nul orgue éclate.

Un minuscule harmonium souffle maladroitement sa gamme joyeuse; mais le petit Jésus est aussi souriant sur sa paille fraîche parmi les petits moutons. On le distingue à peine à travers la brume des chaudes haleines, au milieu d’une talle plantée de sapins verts.

C’est l’heure solennelle. Le Saint Office commence pendant qu’une voix sonore entonne le « Minuit! Chrétiens ».

Une grande paix descend dans les âmes, les unit en une seule famille, la famille du Créateur fait homme.

Tout au fond de l’école, entre sa mère et le père Lagacé, Yvette est anxieuse; elle attend encore celui que son cœur appelle son fiancé.

L’idée l’effleura-t-elle qu’Adrien aurait pu la délaisser, s’attacher à une autre?

Nul ne sait. L’absence a ses cruautés et le cœur humain ses détours.

Yvette priait avec ferveur. Mais le court sermon du Missionnaire la trouva distraite.

Les chants recommencent par : « Le Fils du Roi de gloire est descendu des Cieux».

   Écoute, Yvette, c’est toujours bien Adrien qui chante le solo?

   Oui, c’est sa voix. Si elle la connaissait, cette voix!

   Bonne Sainte ! Il est venu à pied par un temps pareil!

Après la messe, Yvette rencontra Adrien au bénitier. Il était si petit le bénitier de l’école qu’il se vidait avec la venue des premiers paroissiens. Mais [1] chacun esquissait à sec son pieux geste quand même. Et ce furent ensuite Monsieur et Madame Lagacé.

Ils remontèrent tous quatre vers la maison. Il faisait beau et froid et le ciel était sans lune.

Adrien et Yvette causaient ensemble joyeusement, et parfois elle levait la tête en riant, comme pour sourire aux étoiles.

Madame Lagacé dit tout à coup: Vous êtes venu pour longtemps, Adrien?

   Ça dépend, je suis venu par affaires.

   On les connaît ses affaires, continua à demi-voix Madame Lagacé, il veut marier Yvette avant le printemps. Mais tu sais, son père, il faut qu’il se bâtisse avant. Je veux qu’elle soit bien installée notre Yvette.

    Ah! laisse-les donc se marier, ces pauvres enfants. Moi, sa mère, je n’aurais pas aimé ça t’attendre longtemps. Puis, Adrien c’est un bon garçon. C’est un jeune homme qui a rien qu’une parole, si tu l’as remarqué. Moi, un homme de parole j’ai confiance en lui. C’est un homme qui marche droit et Adrien c’est pas mal ça.

   C’est bien vrai, quant à moi ils pourront bien se marier aux Rois.

Ils entrèrent pour le réveillon.

Pendant ce temps, à l’école, on a fermé les grandes portes sur le chœur de la chapelle. Près du poêle, chacun s’interpelle à voix basse et des rires s’étouffent pieusement sur une croquignole ou la pointe d’un gâteau. Puis les hommes préparent les voitures en causant de la récente tempête, de la poudrerie qui pourrait bien s’élever si le vent prend.

Le Missionnaire, à genoux, les mains jointes sur son front, prie d’action de grâces. Il a rempli sa mission en mettant de l’allégresse dans tous les cœurs et en faisant descendre dans les âmes la paix promise aux hommes de bonne volonté.



[1] Note: On ne doit faire le signe de la croix qu’en entrant dans l’église, mais bien des gens le font, par habitude, en sortant.

27 décembre 2020

VIEUX NOËL (Doucet)

Brrr, brrr, au fond de la cariole
On grelotte aussi comme au bois,
Enfin, v’là l’coteau, puis la coupole
De l’église aux clochers étroits.

Des cierges luisent aux fenêtres ;
C’est la fête « au grand souvenir »;
Beaucoup vont l’oublier peut-être,
Mais les petits Jésus vont venir.

La nef est pleine de lumière,
Les petits cierges sont joyeux ;
Comme des âmes en prière,
Ils palpitent silencieux.

Les Jésus aux crèches stériles
Naiss’nt entre l’âne et le taureau     
Venez par cent, venez par mille,
Des p’tits Jésus y en a pas trop !

(Louis-Joseph Doucet, Sur les remparts, 1911, p. 43)


 

26 décembre 2020

NEIGE DE NOËL (Dumais)

À mes séminaristes

La neige est de la gaze blanche,
Les anges l’ont tissée au ciel,
Pour couvrir l’asphalte et la branche,
Enfants, c’est demain la Noël!

Il faut que sur la route nue,
Sur les parcs et les trottoirs lourds,
Elle marque sa bienvenue
Par un décor de blanc velours.

Tant de fraîche blancheur rappelle
Les hivers si beaux d’autrefois:
Le passé, bon vieux m’interpelle
De sa si chevrotante voix.

Il me trouve encor sans défense,
Devant tant de neiges d’antan...
Quand je revois vos jours d’enfance,
Aux minuits de mon vieux cadran.

Lorsque tous les soirs pour vous plaire
Je vous racontais de Jésus,
La venue humble et solitaire,
Dans une grotte aux murs moussus.

Et pour qu’à tout jamais se grave
Et vous, le mystère et le lieu,
Je vous laissais dessiner, grave,
De vos crayons corail ou bleu,

Une silhouette de l’âne
Dans l’étable où son front cornu
Semblait pointer un bœuf si crâne
Qu’il en paraissait saugrenu.

Ainsi, lorsque tombe la neige,
Papillonnent, légers essaims,
En nos trois cœurs, le blanc cortège,
De souvenirs déjà... lointains!
Ottawa, Noël 1917.


(Marie Dumais, L’huis du passé, 1922, p. 40-42)

25 décembre 2020

NOËL (Fadette)

J'écoutais hier les vieux Noëls chantés par les voix criardes des petits enfants, dans la même vieille église de campagne, où, toute petite, je les ai souvent chantés avec d'autres enfants... et les souvenirs se pressaient, se confondaient, quelques-uns très doux, d'autres enveloppés de crêpes et marqués de larmes ; les plus lointains, vagues comme un rêve qui s'efface. Soudain, la vue d'une religieuse déposant une gerbe de fleurs près de la crèche fit jaillir du passé un tableau si distinct, et si vivant, que je crus me voir avec mon petit frère, nos sacs d'école au bras, bien emmitouflés à cause de la tempête, un peu inquiets parce qu'il n'était pas permis de s'at- tarder après la classe.

Sur la pointe des pieds, nous arrivons aussi près que possible des deux soeurs et du bedeau occupés à préparer la crèche, où cette nuit même le petit Jésus viendra. La botte de paille que la soeur disposait avec art, tirant les brins tout autour, dans un désordre étudié, m'angoissait d'une pitié qui mettait en émoi mon petit coeur de six ans.


Je ne comprenais pas bien que le petit Jésus ayant déjà été si mal sur sa paillasse, et étant tout-puissant, n'exigeât pas une installation meilleure, mais ne pouvant le blâmer, parce que je l'aimais trop, j'étais indignée contre les soeurs, le bedeau et le bon vieux curé, qui, ses lunettes sur le nez, allait et venait, surveillant les travaux, les approuvant, et interrompant la lecture de son bréviaire pour dire d'un air satisfait : " C'est bien, très bien ! "


Le temps passait : l'église s'emplissait d'ombre : hypnotisés, serrés l'un contre l'autre, nous observions en silence les préparatifs si simples de ce mystère si troublant. On avait posé deux lampes allumées, l'une sur un bout de colonne, l'autre sur la rampe du balustre sur laquelle nous étions accoudés. À un moment donné, le curé, les religieuses et le vieux bedeau ayant disparu quelques secondes dans la sacristie, un silence profond régna dans l’église  : je ne perdais pas de vue la crèche : tout à coup, une souris s'échappa de la paille, sauta à terre avec un petit bruit sec qui nous fit tressaillir et disparut dans les draperies.


Toute mon émotion se résolut dans une terreur et un crève-coeur sans nom. Quoi !


Non seulement, le pauvre Jésus coucherait là tout seul, au froid et au noir dans cette boîte remplie de paille, mais des souris courraient sur son petit corps, le mordraient peut-être, et il ne pourrait se défendre ! C'était trop cruel à la fin ! Et je pleurais tant que je pouvais, et Pierre, sans trop savoir pourquoi, pleurait encore plus fort.


Le curé revenant à ce moment s'informa de la cause de ce désespoir. 


— "Bon ! bon, console-toi, la petite ! Tu connais Florette, ma grosse chatte d'Espagne? C'est elle qui va venir garder l'Enfant-Jésus, et les souris n'y toucheront pas, c'est moi qui te le dis ! "


— Dix ans après, il me taquinait encore à ce propos, et il ajoutait toujours : "N'importe, c'était d'un bon petit coeur, tâche de ne le donner qu'à celui qui en sera digne. "


Pauvre bon vieux curé!


Pendant bien des années, je considérai avec un peu de dédaïn le boeuf et l'âne si inutiles, des "bêtes de parure" comme je disais, et je devinais un bon chat, invisible derrière la crèche, mais actif et plein de sollicitude, guettant les souris qui auraient pu approcher du cher petit Jésus.

 

(Henriette Dessaules, Lettres de Fadette, 1ère série, 1915, p. 27-29)

24 décembre 2020

NOËL ! (Hurteau)

La campagne est toute blanche,
Et pleins d’astres sont les cieux.
Sur le bout de chaque branche
Brille un cristal radieux.

La neige a mis des dentelles
Sur le corps nu des bosquets
Portant de longs chapelets
Faits des perles les plus belles.

Le vallon, tout orgueilleux
De sa robe constellée,
Marie à ses mille feux
Ceux de la voûte étoilée.

Dans un calme firmament
La lune au pâle visage
Montre son minois charmant
Au-dessus du paysage.

Dans l'église, prosternés
Devant la clarté des cierges
Nos paysans aux cœurs vierges
Disent : Doux Jésus ! venez.

L’orgue sacré communie
Avec leurs saintes ardeurs;
Sur l’autel paré de fleurs
Tombe une douce harmonie.

Des cloches les sons joyeux
Se mêlent à la prière;
La nef, pleine de mystère,
Retentit de chants pieux.

La nature est en toilette
Et les âmes sont en fête.
Vers votre trône d’azur
Mon Dieu ! monte un encens

Le saint prêtre vous appelle
Et la crèche vous attend;
Tout est prêt, divin enfant !
Quittez la rive éternelle !

(Joseph-Adolphe Hurteau, Papillons d’âme, 1923, p. 163-165)
 

23 décembre 2020

CLOCHE DE NOËL (Chagnon)

La cloche sainte au grand beffroi
Chante des notes d'allégresse,
C’est qu’il est né des rois le Roi,
Petit enfant que l’on caresse.

De son berceau jusqu’à sa croix
Il calmera notre détresse.
La cloche sainte au grand beffroi
Chante des notes d’allégresse.

L’homme pervers avec effroi
Voit les couronnes qu'on Lui tresse;
Mais l’âme pure en ce Dieu croit,
Car elle chante l’allégresse
La cloche sainte au grand beffroi.

(Louis-Joseph Chagnon, La chanson des érables, p. 151)

22 décembre 2020

NOËL DE PÈRE (LeMyre)

Il rêve près du feu qui pétille et qui chante,
Le pauvre homme, si seul, en cette nuit qu’enchante
L’écho du carillon joyeux du vieux clocher.
Il rêve aux vieux noëls, et ses yeux vont chercher,
Dans la flamme joyeuse, un souvenir d’ivresse,
Souvenir de bonheur, d’amour et de tendresse.
Cette nuit où, tout seul, il se sent malheureux,
Tout son passé revient vivre devant ses yeux.

C’est d’abord le noël de la joyeuse enfance,
Le Noël qu’on attend de longs mois à l’avance,
Qui charme les enfants et fait rêver les vieux,
Celui des tout petits, charmant, mystérieux,
Alors qu’on s’en allait tous ensemble à l’église,
Se cachant jusqu’au front, dans sa crémone grise;
Et quand on arrivait dans le temple, là-bas,
Étouffant avec soin, le bruit sourd de ses pas,
On s’arrêtait, saisi par l’éclat des lumières,
Le chant joyeux de l’orgue et l’air plein de mystères;
Et, plus loin, tout au fond du sublime décor,
Le prêtre, en son costume aux longues franges d’or;
L’autel resplendissant d’un éclat féérique,
Tout ce luxe, pour nous, mystérieux, magique,
Qui nous laissait ravis, les yeux extasiés
Errant tout à l’entour, jamais rassasiés.

Puis, quand on allait voir, sur sa couche de paille,
Le petit Enfant-Dieu, près du gros bœuf qui baille,
On oubliait soudain les lumières, le chant,
Pour ne plus contempler que le petit Enfant.
Puis, un autre Noël, celui de la jeunesse,
Alors qu’il s’en allait gravement à la messe,
Jeune homme de vingt ans, seul avec sa Margot,
Très gênés, tous les deux et sans se dire un mot.
Comme il trouvait, pourtant, sa chère et vieille église
Plus belle, sous l’éclat des yeux de sa promise.
C’est, penchés sur la Crèche, aux pieds de l’Enfant-Dieu,
Qu’ils avaient échangé leur premier tendre aveu.

Puis, au Noël suivant, un mignon bébé rose
Tend au petit Jésus ses deux menottes closes.
Les deux époux, heureux, sans honte et sans détour,
Échangent, dans l’église, un long regard d’amour.
Mais des ans ont passé. La tristesse est venue.
La douleur sans pitié, jusqu’alors inconnue,
Dans ce logis d’amour a fait verser des pleurs.
Celle qu’il aimait tant, sa Margot, son bonheur,
Un soir de février, est morte résignée,
En serrant dans ses bras sa fillette adorée.

D’autres ans ont passé. Sous ses cheveux tout blancs,
Il paraît vieux, très vieux et les regrets constants,
Le chagrin, la douleur, ont brisé sa pauvre âme.
Il pleure, tous les soirs, en pensant à sa femme.

Mais sa fille lui reste. Oh! Celle-là, du moins,
Elle ne mourra pas! Il l’entoure de soins.
L’amour, sans pitié pour son âme de père,
A semé près de lui la solitude amère.
Sa Gilberte est partie, au bras de son époux.

Maintenant, il est seul, avec ses rêves fous,
Depuis un an déjà, sans amour, sans caresse,
Avec son désespoir de vieux que l’on délaisse.
Sa tête lasse penche, et l’étrange lueur
Du feu sur son front blanc, d’une immense douleur
Semble être le reflet.

                             Soudain, sous une étreinte,
Il sent son front serré. Deux bras, comme avec crainte,
Pour ne pas l’éveiller, s’attachent à son cou.
Il relève la tête, avec un regard fou.
Est-ce un rêve? Sa fille est près de lui, rieuse,
Et l’enveloppe tout d’une caresse heureuse.
Elle prend son enfant, petit être aux yeux doux,
Les yeux de sa Margot, le met sur ses genoux.
Il regarde l’enfant et soudain, il l’enlace,
Le serre près de lui, le cajole et l’embrasse;
Et, de ses pauvres yeux, rougis par la douleur,
S’échappent, cette fois, des larmes de bonheur.

Et, comme pour bercer sa gaîté retrouvée,
Les cloches, dans la nuit, lancent leur envolée.

(Oscar LeMyre, Les Voix, 1929, p. 277-280)

18 décembre 2020

Versions (Dugas)

Marcel Dugas, Versions, Montréal, Maison Francq, 1917, 88 pages. 

Dugas présente deux poètes français étiquetés « catholiques ». Totalement oublié dans le premier cas, et en voie de disparition dans le second : Louis Cardonnel et Charles Péguy, deux poètes que je n’ai jamais lus. 

Louis Cardonnel
« L'abbé Louis Le Cardonnel, en religion Frère Anselme, né le 22 février 1862 à Valence et mort le 28 mai 1936 à Avignon, est un poète français. » (Wikipédia) 

Ce qu’il aime de Cardonnel, « c’est qu’il est surtout un poète qui dépasse les écoles et les réconcilie toutes dans son art ». Et s’ensuivent plusieurs digressions qui traitent de la situation au Québec : « Les sentiments benêts d’un patriotisme de tous les jours, faux, ridicules, grotesques, si bien en cours dans un pays comme le Canada, sont étrangers à ces inspirations. La théorie bornée d’une littérature essentiellement autochtone, sacrifiant la gamme infinie des expériences humaines, l’histoire des peuples et des individus, les civilisations contraires, à un désir niais de se contempler dans l’œuvre d’un poète connue en un miroir, ce n’est pas ici qu’on la pourrait voir poindre. » (p. 13-14) 

Charles Péguy 
Texte d’une « conférence lue à Québec et Montréal ». Selon Dugas, ses contemporains avaient tort de coiffer Péguy d’une « auréole de catholicité intégrale ». « Le catholicisme mystique de Péguy est le parent direct de celui de ces moines audacieux et pervers du Moyen Age, qui semaient sur la pierre des cathédrales l’insolence de leur esprit et leurs inquiétudes charnelles. » (p. 34) 

« Sur quelles bases repose donc ce mysticisme de Péguy ? Point de vague aspiration de l’âme, de construction artificielle de l’esprit. Il offre des précisions; il table sur le réel ; il est tout baigné de christianisme. Vraiment, c’est du christianisme modernisé, appliqué aux revendications sociales, et pour tout dire, pas entièrement neuf: droit commun, charité, équité, et ceci déjà moins ancien, moins ancien, moins ancien, égalité, non pas au sens démocratique, vicié par les politiciens qu’aveuglent de sordides intérêts, mais “au sens d’équilibre parfait, d’horizontalité parfaite dans la justice.” Il souhaite, appelle “un niveau de la justice”; il jette dans la lutte quotidienne les virtualités de son âme en vue de réaliser le royaume de la justice et de la vérité sur la terre. C’est un peu moins “chrétien”, je veux dire trop “chrétien”; on entend là, dans ces mots, le cri de la misère sociale, qui, mon Dieu, au cours des siècles, a été si peu entendu, écouté, à cause de l’effrayant égoïsme, des préjugés de caste, et de ces fausses noblesses marinées dans leurs idées acquises. » (p. 50-51) 

Marcel Dugas sur Laurentiana
Paroles en liberté
Psyché au cinéma
Littérature canadienne
Salve alma parens
Approches
Pots de fer
À la manière de …
Apologies
Versions

Apologies (Dugas)

Marcel Dugas, Apologies, Montréal, Paradis-Vincent, 1919, 10 pages.

Dugas, dans son style plus lyrique qu’analytique, nous présente une critique littéraire de cinq « figures qui [lui] furent chères » : Albert Lozeau, Paul Morin, Guy Delahaye, Robert de Roquebrune et René Chopin.

Albert Lozeau

« Après la sarabande de nos romantiques orgiaques et sans génie, M. Lozeau nous apportait une nouveauté d’émotion d’une qualité louable: la décence se joignait à la force de sentir. Rien d’un poète orateur qui se perd dans le flux des métaphores et pour qui l’image banale semble le fin du fin. Un filon venait d’être découvert! »

Paul Morin

« M. Paul Morin aime les mots, il les cajole, il s’enthousiasme devant eux. Il pousse cet amour jusqu’à une sorte de passion frénétique. Partout dans ses vers le mot rare est cherché et conquis. M. Morin triomphe et sa patience rit, s’amuse, semble trépigner. Pour exprimer son rêve et ses désirs d’horizons étrangers, de villes dont les pieds de marbre trempent dans la moire opaline des eaux frissonnantes, pour dire la gloire du Paon, si beau, si lumineux dans sa robe, il veut des mots nobles, il lui faut des syllabes pleines de musique. »

Guy Delahaye

« Ce que j’aperçois encore au fond de cette poésie, c’est la beauté de l’orgueil, l’organisation des mots dans des moules étroits, l’esprit qui surveille le cœur, un troupeau de phrases qui gémissent sous le knout impitoyable de la raison. / Ce poète se meurt, en effet, de géométrie, de raison, de diathèse et de médecine. Et il y a, heureusement, à côté de ses systèmes dont il est un orgueilleux accablé, la vie avec ses anarchies inéluctables, et parfois délicieuses. »

Robert de Roquebrune

« À  propos de L’Invitation à la vie. — Il naît, au monde des lettres, en un tourbillon de mots qui veulent célébrer la vie. Et il se chante à travers elle, en de beaux accents lyriques que presse une âme débordante de sève, de fraîcheur et d’avenir. Rien, dans son ensemble, qui décèle l’inquiétude, les angoisses, la sombre face de la mort: ce sont des rythmes précipités qui battent en une poitrine ravie d’absorber le jour; c’est un chant continu où éclatent le désir et le bonheur; c’est un cri aigu de cerf en liberté. »

René Chopin

« M. René Chopin s’élance sur les routes de la terre. Le permanent sous tous les cieux, il nous le cherche et, ce beau captif palpitant, il nous l’apporte dans ses bras fraternels. Sa valeur, c’est de s’arracher de son temps et de voir, au-dessus des limites d’une nation, le tableau universel. Il y a des vérités morales, intellectuelles, qui sont d’hier et d’aujourd’hui: elles ne connaissent pas de climat, de milieu, de pays. L’âme et ses passions reste la même partout: ce qui la nourrit, l’élève ou l’abaisse, ce qui la rend identique à ce qu’elle était jadis, ses capacités d’adorer ou de haïr, sa volonté de puissance et ses fléchissements en présence du désir et des sortilèges voilà un domaine que veut connaître le poète de Montréal. »

Dans son « voyage à travers ses souvenirs », Dugas s’oppose au nationalisme terroiriste défendu par l’abbé Roy et défend le modernisme, tel qu’on le concevait à cette époque : « L’avenir est dans la recherche, l’examen, les tentatives audacieuses, les négations d’hier. »

14 décembre 2020

COMPAGNON DES AMÉRIQUES

 En mémoire de Gaston Miron décédé le 14 décembre 1996.

« Ayant été remis plusieurs fois sur le métier, entre 1956 et 1961, toujours après qu’il eut subi l’épreuve de la récitation en privé ou en public, comme ce fut à l’époque le cas pour la plupart de mes compositions, ce poème a connu de nombreuses versions. L’une d’elles a paru dans La Presse, en 1956, je crois. Le deuxième vers du texte était ainsi énoncé: « Canada ma terre amère ma terre amande ». Pourtant, la même année fut publié « Un homme », qui devint par la suite « L’Octobre » où le mot Québec était attesté. Une indécision a donc persisté quant à la nomination de ce pays que je tentais de circonscrire et qu’en ces années les vocables Canada et Canada français recouvraient encore. Dans mon cheminement, l’idée d’indépendance me tourmentait depuis 1957, et la lecture de Portrait du colonisé d’Albert Memmi y fut pour quelque chose. Je devins indépendantiste avoué, en 1959, en accord avec le groupe de La Revue socialiste (pour l’indépendance absolue du Québec). J’appris à Paris, en 1960, à ma grande joie, la fondation du RIN. À mon retour, en 1961, la substitution du mot Québec au mot Canada devenait logique, pour ne pas dire toute naturelle. « Compagnon des Amériques » fut publié, tel qu’on le lit aujourd’hui, dans le cycle de La Vie agonique (Liberté, mai-juin 1963). » (Gaston Miron, L’homme rapaillé, L’Hexagone, 1994)

Compagnon des Amériques

Québec ma terre amère ma terre amande

ma patrie d’haleine dans la touffe des vents

j’ai de toi la difficile et poignante présence

avec une large blessure d’espace au front

dans une vivante agonie de roseaux au visage

 

je parle avec les mots noueux de nos endurances

nous avons soif de toutes les eaux du monde

nous avons faim de toutes les terres du monde

dans la liberté criée de débris d’embâcle

nos feux de position s’allument vers le large

l’aïeule prière à nos doigts défaillante

la pauvreté luisant comme des fers à nos chevilles

 

mais cargue-moi en toi pays, cargue-moi

et marche au rompt le cœur de tes écorces tendres

marche à l’arête de tes dures plaies d’érosion

marche à tes pas réveillés des sommeils d’ornières

et marche à ta force épissure des bras à ton sol

 

mais chante plus haut l’amour en moi, chante

je me ferai passion de ta face

je me ferai porteur de ton espérance

veilleur, guetteur, coureur, haleur de ton avènement

un homme de ton réquisitoire

un homme de ta patience raboteuse et varlopeuse

un homme de ta commisération infinie

l’homme artériel de tes gigues

dans le poitrail effervescent de tes poudreries

dans la grande artillerie de tes couleurs d’automne

dans tes hanches de montagne

dans l’accord comète de tes plaines

dans l’artésienne vigueur de tes villes

dans toutes les litanies

de chats-huants qui huent dans la lune

devant toutes les compromissions en peaux de vison

devant les héros de la bonne conscience

les émancipés malingres

les insectes des belles manières

devant tous les commandeurs de ton exploitation

de ta chair à pavé

de ta sueur à gages

 

mais donne la main à toutes les rencontres, pays

toi qui apparais

par tous les chemins défoncés de ton histoire

aux hommes debout dans l’horizon de la justice

qui te saluent

salut à toi territoire de ma poésie

salut les hommes et les femmes

des pères et mères de l’aventure

VERSION DE 1956


Gaston Miron sur Laurentiana

11 décembre 2020

Approches (Dugas)

Marcel Dugas, Approches, Québec, Éditions du Chien d’Or, 1942, 113 pages.

Le recueil contient six textes. Léo-Pol Morin, Alain Grandbois et Simone Routier sont des amis que l’auteur a rencontrés en Europe. On ne peut pas dire que Dugas fait de grandes analyses. On est plus dans les impressions, les sentiments.

 

Léo-Pol Morin

Dugas était en France au début du XXe siècle. C’est là qu’il a rencontré Léo-Pol Morin. Il nous présente son ami, mais surtout il nous fait revivre cette période (qu’on dit souvent extraordinaire) qui va jusqu’à la Première Guerre mondiale. Les deux fréquentent les salons, côtoient Cocteau et Ravel. Et les deux assistent à certains événements culturels qui ont marqué le début du siècle, par exemple les représentations houleuses du Sacre du printemps. Morin revient au Québec en 1914, participe à la fondation du Nigog. Il va entreprendre une véritable croisade pour convertir quelques Canadiens français à l’art moderne. 

 

Alain Grandbois

« Je connus l’auteur de ce livre à Paris. Je le vis tous les jours, durant treize ans, au café des Deux Magots. » Grandbois avait publié les Poèmes d’Hankeou (dont Dugas avait un exemplaire), Louis Jolliet et Marco Polo.  Dans un texte qui mélange autobiographie et critique littéraire, il vante les qualités littéraires de son ami et, surtout, s’en prend aux critiques qui ont osé dénigrer Marco Polo.

 

L’univers de François Hertel

« Les mondes chimériques , c’est le bréviaire de l’ironie. Elle couvre tous les sujets : art, littérature, histoire avec ses hypothèses,opinions des hommes, vérités plus larges et qui exigent du discernement et la volonté de les découvrir. »

 

St-Denys Garneau

Il paraphrase, en y ajoutant du sien, beaucoup de poèmes de Garneau, encore vivant à l’époque. Dugas emploie à quelques reprises le mot « chef d’œuvre » à propos de certains poèmes de  Regards et jeux dans l’espace.

 

Simone Routier

Après avoir perdu son fiancé, Simone Routier est revenue au Canada et est rentrée chez les religieuses. Dugas évoque avec tendresse son parcours.

 

Notre nouvelle épopée

Dugas essaie de définir l’enjeu de la participation canadienne à la guerre. De son discours émergent le culte de l’Europe, de la France en particulier, une certaine conception de la civilisation, où culture et religion voisinent. 


4 décembre 2020

Pots de fer

Marcel Dugas, Pots de fer, Québec, Édition du Chien d’or, 1941, 55 p.

Le recueil de Dugas est publié en pleine Guerre mondiale. C’est d’ailleurs le sujet des deux premiers textes. « Guerre » est une allocution prononcée à Radio-Canada le 26 juillet 1940. Par suite de la défaite rapide de la France, Dugas dit toute son admiration pour ce pays qu’il habite au moment du déclenchement des hostilités. Il refuse d’accabler la bourgeoisie française pour la défaite et considère que le triomphe allemand n’est que temporaire. « Ce que j’ai pu voir » est une suite ou plutôt un complément du premier texte. Dugas raconte sa fuite hors de la France pour gagner l’Angleterre. Son périple démarre à Saint-Affrique et passe par Toulouse, Bordeaux, Bayonne, Saint-Jean-de-Luz. De là, un bateau australien l’amène à Liverpool. Il capte plutôt bien le désordre qui suit la débandade de l’armée française (l’extrait). Le dernier texte, adressé à André Thérive, intellectuel bien oublié, est très daté et il est difficile d’en saisir la portée. Lors d’une fête donnée au critique français, Dugas feint de lire une lettre provenant d’un Huron vivant sur les bords du Mississipi.

Pourquoi le titre « Pots de fer »? Parce ce que « ce titre en vaut un autre » et que « l’on plante dans les pots de fer des cactus, du lierre, du réséda, d’humbles fleurs ».

Extrait

Toulouse semblait une ville assiégée par des soldats. Elle en débordait. Mêlés aux civils, on eût dit un flot humain qui s’écoulait sur les boulevards, montant et descendant les rues. Il y en avait partout, à la gare, dans les jardins, aux abords des hôtels. On se demandait pourquoi il y en avait autant; on se demandait pourquoi ils étaient là. Couverts de poussière, décharnés, brûlés par le soleil, ils semblaient désemparés, allant à la recherche de quelque chose qui leur échappait. Plus précisément, ils donnaient l’impression d’être livrés à eux-mêmes, aux hasards de la rue, privés de chefs: troupes hagardes, atterrées, dont les maîtres avaient perdu le contrôle. À la nuit tombée, on les apercevait étendus par terre, sur la terrasse des cafés et des hôtels, dormant à côté de femmes et d’enfants qui n’avaient pu trouver de gîte pour la nuit.

La ville présentait l’aspect du désordre, du chaos. Sur tout cela, planait un demi-silence troublé à peine par des réflexions timides, des appréciations, des critiques qui gardaient une sorte de pudeur à se traduire. […]

On ne pouvait manquer de se montrer surpris du silence qui pesait sur elle. Des ombres et des ombres se croisaient. À peine saisissait-on un mot se détachant de ces groupes d’hommes qui glissaient dans la nuit. Ce silence était parent de celui qui s’établit dans une chambre mortuaire, ce silence oppressait le cerveau et le cœur. On eut désiré un cri poussé, un sanglot décelant une présence plus humaine. Mais toujours cet indescriptible silence. Ces Français vaincus s’enfermaient dans un mutisme qui ne se démentait pas un seul instant. C’était quelque chose de très particulier et de très impressionnant. (p. 21-23)