27 avril 2018

À la gueule du jour

Gilbert Langevin, À la gueule du jour, Montréal, Atys, 1959, s. p.  [28 p.] (repris dans Origines 1959-1967, 1971)

« Comme une sale pipe aux lèvres d’un bohème / À la gueule du jour pend mon rêve souillé. » (Relique) Ces vers très rimbaldiens, qui ont donné le titre au recueil, figurent dans le neuvième poème. Le poète salue la mort de l’idéal que le début du recueil semblait esquisser.

Les premiers poèmes, en plus de leur vocabulaire religieux, se démarquent par leur caractère presque angélique. « Le vent dit sa prière / à l’aube // Dans la plaine il égrène / son chapelet de rosée » (Oraison). Le poète se rappelle le bonheur des jeux enfantins : « Nous jetions sur des failles / Passerelles et pinceaux » ; « Vive l’heure d’enfance / Et son roulis de valse » (Vestige).

Mais la « fêlure » apparaît assez rapidement : dans ce « château / dont le maître est absent », il n’y a « aucune brèche d’espérance ». Le poète semble avoir une vision très noire de lui-même, comme on le voit dans l’auto-condamnation à saveur religieuse qui suit : « Épave satanique à la grève d’Hostie / Je suis la tache rouge / Au vitrail de l’Église » (Sacrilège-agonie).  Ce combat destructeur entre le bien et le mal, entre la pureté et le péché semble le minerIl flirte même avec l’idée du suicide : « Reste à broyer / Dans l’étau d’un suicide / Mon corps fatigué d’être » (Songe d’éternité). Plus on avance, plus constate que cette culpabilité a de forts relents religieux. On lit deux poèmes côte à côte qui semblent s’appeler et surtout se repousser : « Seigneur soyez mon berger » et « Présence de Satan ».  Au « Seigneur Seigneur / Au bercail ramenez-moi » du premier répond « L’arbre du mal bourgeonne / Ses nouveau-nés » du second. 

Les derniers poèmes regroupés sous le titre « Volte-face », comme le titre l’indique, nous offrent un revirement de situation. Le poète a identifié son mal :  « La source a retrouvé son miroir d’autrefois »; ou encore : « Reconquise la joie aux frontières / De mon adolescence »; ou encore : « Tout est bien tout est beau / Il m’a fallu vingt ans / Pour l’apprendre ». Il a même trouvé la solution pour le contenir. Il suffit de tenir bien clos « l’amphore / Des souvenirs ».

Et pourtant, tout n’est pas si simple, comme en témoigne le dernier poème. Cette forme d’apaisement, qu’il semble avoir conquis, ne mène-t-il pas au silence? Et comment concilier le silence et le désir d’écrire : « Mais comment me guérir / De ce grand mal d’écrire? // Quand on se meurt de vivre / Le silence faut-il taire / Ou tuer la parole? » (Le mal d’écrire)

Ce premier recueil de Gilbert Langevin sera suivi d’une vingtaine d’autres. Langevin va évoluer beaucoup, mais dans celui-ci, très années 1950, on retrouve un peu les thèmes chers aux poètes de la solitude : le manque d’estime de soi, la désillusion, l’échec, le mal de vivre, la peur, le sentiment d’avoir trahi ses idéaux, la culpabilité, la mort. 

C’est le deuxième titre des Éditions Atys, fondée par l’auteur à Roberval.  Entre 1958 et 1963, la petite maison d’édition va publier 17 recueils de poésie, dont Poèmes à l'effigie de Larouche, Larsen, Miron, Carrier, Chatillon, Caron, Marguère et moi, Symptômes et Le vertige de sourire de Langevin lui-même.

Les éditions ATYS

« Mes premiers poèmes je les ai publiés dans "L'Étoile du Lac", le journal de Roberval. C'est là également que j'ai fondé  les Éditions Atys. Le premier volume des Éditions Atys a été imprimé chez les « Imprimeurs de Roberval ». Il y avait quelques poèmes de moi, quelques poèmes d'amis et une étude sur Georges Larouche que tout le monde connaît, le fondateur de Val-Menaud. Georges Larouche est peut-être l'écrivain qui m'a le plus influencé. » (Gilbert Langevin)

« Rangé soigneusement à côté de sa plume, Gilbert Langevin emportait Éditions Atys dans ses bagages. Rappelons qu'Atys devait publier A la gueule du jour en 1959, Le vertige de sourire en 1960 et quelques autres. Cette maison d'éditions devait publier à la même époque des auteurs comme Georges Dor, André Major, Robert Lalonde, Paul Chamberland et plusieurs autres. Une maison d'édition très importante parce qu'elle a eu le mérite de publier ce que l'on appelle maintenant la « nouvelle poésie du Québec ». (Entrevue de Gilbert Langevin, donnée à Yvon Paré, le Progrès-Dimanche, le 1 juin 1975)


« Atys pratiquait le compte d'auteur classique: Langevin acceptait un manuscrit, le portait chez l'imprimeur et, une fois le livre assemblé, c'est l'auteur qui payait la note et se retrouvait avec les exemplaires sur les bras, obligé de les distribuer lui-même. » (André Major)

André G. Bourrassa, L’ange noir qu’est Langevin


RECUEILS AUX ÉDITIONS ATYS

1958
Langevin Gilbert [Gyl Bergevin) et all. Nouveautés poétiques
1959
Langevin Gilbert, À la gueule du jour
1960
Deyglun Serge, Ces filles de nulle part..., nouvelles
1960
Langevin, Gilbert, Poèmes à l'effigie de Larouche, Larsen, Miron, Carrier, Chatillon, Caron, Marguère et moi
1960
Langevin Gilbert, Le vertige de sourire
1960
Caron Louis, Pierre Chatillon, Olivier Marchand, Silex 2
1961
Brunet Yves-Gabriel, Les Hanches mauves
1961
Dor Georges, Chante-pleure, poèmes sépara-tristes
1961
Gauguet-Larouche Jean, Cendres de sang
1961
Laurier Claude, D'un monstre à l'autre
1961
Major André, Holocauste à 2 voix
1961
Major André, Le froid se meurt
1961
Roussan Jacques de, Le pouvoir de vivre
1962
Bélanger Marcel, Pierre de cécité
1962
Renaud Jacques, Électrodes
1963
Gauguet-Larouche Jean, La saignée du pain, poèmes, 1935-1986
1963
1964
Langevin Gilbert, Symptômes, poèmes, 1959-1960
Langevin Gilbert et all., Les cahiers fraternalistes
1965
Lalonde Robert, Rafales de braise
1970
Lalonde Robert, Charivari des rues
1971
Lalonde Robert, Kir-Kouba
1971
Moore Gilbert, L’exode ardent
 







20 avril 2018

Proses. Suites lyriques


Jean-Claude Dussault, Proses. Suites lyriques, Montréal, Éd. d’Orphée, 1955, 118 pages.

Le recueil contient six parties intitulées Proses I à Proses VI.  Chacune d’elles reçoit un sous- titre plus significatif :   Tant que merveilles!, Les heures profanes de St-Germain l’Auxerrois, Les lyres de jalousie, La mort d’Hélène, Naufrage, Les dits simples du Noël. Le livre a été écrit alors que l’auteur était en France.

Ce blogue est un carnet de lectures. Cette semaine l’expression prend tout son sens. Je vais parler davantage du lecteur que du livre. Désolé de la  lecture superficielle qui va suivre, ce livre mérite sans doute mieux, mais il faudra quelqu’un d’autre que moi pour lui rendre son mérite.  Il est sur ma table de lecture depuis deu semaines, je le prends, le feuillette, le lis, le relis, cherche de bons passages, mais je n’accroche pas. J’ai hâte de le déposer dans ma bibliothèque.

Déjà les doubles titres laissent deviner une hésitation : on dirait une poésie qui ne s’assume pas. Ce qu’on lit, ce n’est pas de la prose et ce n’est pas lyrique. Désolé pour le titre. La langue n’est ni belle, ni harmonieuse, ni musicale, ni coulante, les phrases respirent mal, souvent les mots s’accordent mal entre eux. Il y a une recherche verbale, plutôt d’ordre rythmique et syntaxique, donc un style, une manière, mais le résultat n’est pas convaincant. Les incorrections syntaxiques (voulues) ont de quoi faire dresser les cheveux sur la tête. Du moins les miens. Tantôt précieuse, tantôt formaliste, cette poésie va un peu dans tous les sens. On y parle de problèmes personnels, de quêtes, d’amour, de déception, de souffrance.

Je vous laisse en partage le poème de la page 115.


LE DIT DE L'AVENT
N’intervenir des couronnes que leur suspension à figurer l’attente.
(fictivité dans l’implorance de blancheur).

Les portes - - - telles des sceaux à l’aveu d’impatience - - -
s’hésitent à redire les mots et gestes.

Qu’à reprendre plutôt l’austérité les pas s'anticipent . . .
et reformer le cadre où s’inscrive le Jour.

Avant que ne se rompe l’antienne des cryptes
et, sous l’impression qui déjà prévoit l’orgue,
s’apprête un symbole de revivre.

L’Homme s’assied à l’espoir
qu’aucun maintenant ne pourrait ravir
tant est en marche le mystère. 

14 décembre '53


Feuillet publicitaire accompagnant le livre

13 avril 2018

Il fait clair de glaise


Maurice Beaulieu, Il fait clair de glaise, Montréal, éditions d’Orphée, 1958, [95] pages.

Le recueil contient 16 poèmes, dont 14 qui sont dédicacés (Jean-Paul Filion, Wilfrid Lemoine, Gilles Hénault, Léon Bellefleur, Yves Préfontaine…). Dans un des deux exergues, on lit : « La poésie ne saurait prétendre à une situation isolée au sein de la réalité concrète. » (Hégel)

Ne serait-ce à cause de l’omniprésence du mot « glaise » et des dates rapprochées de publication, on pourrait penser que « Il fait clair de glaise » n’est qu’un prolongement de À glaise fendre publié un an plus tôt. Effectivement le matériau est assez semblable, mais l’approche et la visée sont différentes. On se retrouve dans le recueil d’un homme qui met de côté ses drames personnels et ses doutes et qui, bien ancré dans cette terre, se dit en pleine possession de ses moyens. Je cite intégralement « Haute certitude » un poème dédié à Kateb Yacine : « Je suis à la terre // Chaque mot de la terre a le goût de mes mains / Chaque homme de la terre à vivre de mon sang // Pleine joie sur les hommes // Et le cru de réveil qui monte de la rue // Voici naître la joie de haute certitude. »

Le recours aux éléments premiers, ici la terre, le besoin de nommer, d’affirmer son existence en dehors de toutes considérations spirituelles, de clamer sa joie, d’opposer la fraternité à la solitude, voilà une démarche qui ne nous est pas étrangère. C’est celle de plusieurs poètes de l’Hexagone, et beaucoup celle du Gatien Lapointe des années 60…  ce dernier aurait pu faire sien des vers tels : « Un même souffle fonde l’homme et l’arbre »; « Je me découvre mûr »; « J’entre dans mon corps »; « Racines et lierres / Nous sommes à la terre »; « Je suis là nudité fraternelle des arbres / La saveur fraternelle des hommes »; « Arbre je suis / Je nomme mes racines ».

Maurice Beaulieu
On peut trouver une source biblique à la métaphorisation du mot « glaise » : « Alors Yahvé Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant. » (Genèse 2,7). Le vocabulaire tellurique évoque de façon obsédante l'idée de naissance : glaise, humus, lœss, alluvion, meulière, sel, pierre, roc, terre, terreau, racines, les arbres... L’homme, pour s’inventer, pour se mettre au monde, doit émerger de cette terre sur laquelle il vit : « Je suis tous les hommes / Et je suis tous les arbres / Et je suis l’amérique / À dru d’amérindie ». Il nomme le territoire qu’il habite, y reconnaît ses racines et affirme son sentiment d’appartenance.

Bref, nous nous retrouvons devant un recueil tourné vers le jaillissement, vers l’accomplissement et la joie : « Je dis que nous sommes / Je vis ce que nous sommes / Je nomme clarté / L’homme, le cri, la joie ». Voici le dernier poème : « Me voici dénudé / Mais de vie possédé // Clair de glaise // La mort, la douleur et la faim / Sont jetés à la joie // Chaque jour je dépasse d’un cri le malheur ».

6 avril 2018

Terres prochaines

Guy Fournier, Terres prochaines, Montréal, Éd. D’Orphée, 1958, s.p. [environ 40 p.] (Frontispice sur deux pages de Charles Daudelin)

Le livre de Guy Fournier, un compte d’auteur réalisé par André Goulet, est une belle réalisation : papier de qualité, mise en page soignée et surtout le frontispice de Charles Daudelin qui vaut à lui seul le prix du livre.

Les titres qui coiffent chacune des quatre parties du recueil annoncent le projet de Fournier : La douleur d’être (4 poèmes), Les assassins (18 poèmes), Voici poindre le temps (8 poèmes) et Les matins neufs (5 poèmes). Du malaise, à l’accusation, à l’espoir et au renouveau.   

La douleur d’être
« Je m’enlisais dans la vase des jours / Et la puanteur me seyait ». Fournier ne perd pas de temps. Dès le départ, le ton et la manière sont là : un sentiment d’impuissance, d’enlisement  et une certaine enflure verbale. Tout y passe, « les mères… asphyxiantes », les « pères scorpions », les « curés déifiés », les « riches ». En quelque sorte, une révolte d’adolescent : « Je cuisinerai des ouragans / En guise d’éloge funèbre / Pour ceux qui ont brisé ma vie ».

Les assassins
Les « assassins » ont déjà en partie été nommés dans la partie précédenteFournier ne fait que reprendre — et approfondir un peu tout de même — ce qui a déjà été dit : « Le veau d’or réapparaît sans cesse / Il scintille poli / Par les lèvres qui baisent / Son cul d’argent ». Fournier vient d’agrandir le cercle des « assassins ». Et peut-être encore plus dans ce passage : « Étrange pays / Où personne n’a de droit / Que celui de victime // Tête haute / L’assassin se promène / En costume de ville ».

Voici poindre le temps
« Voici poindre le temps / Des comptes à régler / Des gueules à briser / Des blessés à finir ». La partie se termine ainsi : « Je n’ai pas d’autre choix / Que celui du courage ».

Les matins neufs
Ces « matins neufs » semblent encore loin tout de même. « Il n’ a pas de solutions / Aux problèmes absurdes ». Ce n’est que dans les deux derniers poèmes qu’on sent un certain apaisement, le poète se délestant de sa colère : « Le froid qui mordait ta peau / A maintenant la chaleur / Des paumes de femme ». Ou encore : « La vie vie éclate partout / Dans des airs de flûte ».