Maurice Beaulieu, Il fait clair de glaise, Montréal, éditions
d’Orphée, 1958, [95] pages.
Le recueil contient 16 poèmes, dont 14 qui sont dédicacés
(Jean-Paul Filion, Wilfrid Lemoine, Gilles Hénault, Léon Bellefleur, Yves
Préfontaine…). Dans un des deux exergues, on lit : « La poésie ne
saurait prétendre à une situation isolée au sein de la réalité concrète. »
(Hégel)
Ne serait-ce à cause de l’omniprésence du mot
« glaise » et des dates rapprochées de publication, on pourrait penser
que « Il fait clair de glaise » n’est qu’un prolongement de À glaise
fendre publié un an plus tôt. Effectivement le matériau est assez semblable, mais l’approche et la visée sont différentes. On se retrouve dans le
recueil d’un homme qui met de côté ses drames personnels et ses doutes et qui, bien
ancré dans cette terre, se dit en pleine possession de ses moyens. Je cite
intégralement « Haute certitude » un poème dédié à Kateb Yacine :
« Je suis à la terre // Chaque mot de la terre a le goût de mes mains / Chaque
homme de la terre à vivre de mon sang // Pleine joie sur les hommes // Et le
cru de réveil qui monte de la rue // Voici naître la joie de haute certitude. »
Le recours aux éléments premiers, ici la terre, le besoin de
nommer, d’affirmer son existence en dehors de toutes considérations
spirituelles, de clamer sa joie, d’opposer la fraternité à la solitude, voilà
une démarche qui ne nous est pas étrangère. C’est celle de plusieurs poètes de
l’Hexagone, et beaucoup celle du Gatien Lapointe des années 60… ce dernier aurait pu faire sien des vers tels : « Un même souffle fonde l’homme et l’arbre »; « Je me
découvre mûr »; « J’entre dans mon corps »; « Racines et lierres / Nous sommes à
la terre »; « Je suis là nudité fraternelle des arbres / La saveur
fraternelle des hommes »; « Arbre je suis / Je nomme mes
racines ».
Maurice Beaulieu |
On peut trouver une source biblique à la métaphorisation du mot « glaise » : « Alors Yahvé Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, il
insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant.
» (Genèse 2,7). Le vocabulaire tellurique évoque de façon obsédante l'idée de naissance : glaise, humus, lœss, alluvion, meulière, sel, pierre, roc, terre, terreau, racines, les arbres... L’homme, pour s’inventer, pour se
mettre au monde, doit émerger de cette terre sur laquelle il vit : « Je
suis tous les hommes / Et je suis tous les arbres / Et je suis l’amérique / À
dru d’amérindie ». Il nomme le territoire qu’il habite, y reconnaît ses racines et affirme son sentiment d’appartenance.
Bref, nous nous retrouvons devant un recueil tourné vers le jaillissement, vers l’accomplissement et la joie : « Je dis que nous
sommes / Je vis ce que nous sommes / Je nomme clarté / L’homme, le cri, la joie
». Voici le dernier poème : « Me voici dénudé / Mais
de vie possédé // Clair de glaise // La mort, la douleur et la faim / Sont jetés
à la joie // Chaque jour je dépasse d’un cri le malheur ».
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