25 novembre 2022

Naïade

Jean Léonard, Naïade, Chez l'auteur, Montréal, 1948, n.p. [127 p.] (Typographie d’Arthur Gladu.) 

« Jean Léonard et le typographe Arthur Gladu ont mis deux années et demie à la mise en page de ce volume afin de s'assurer d'une oeuvre hautement artistique. » (Communiqué de presse) 

 

Le livre a été réalisé à l'École des arts graphiques et tiré à 300 exemplaires. D’ailleurs, deux des 51 poèmes ont d’abord été publiés dans les Ateliers d'art graphiques en 1947. C’est un très grand format (22x29 cm).

 

« Jean Léonard était actif dans le réseau de Pellan et dans celui de l'École des arts graphiques proprement dit. D'abord élève de Pellan aux Beaux-arts, il avait participé à quelques reprises avec ce dernier, en compagnie de Léon Bellefleur, Mimi Parent et Jean Benoît, à des séances de « cadavres exquis ». (Sébastien Dulude, Esthétique de la typographie

 

Si on soustrait la recherche formelle, ce recueil a bien peu à nous offrir. Pour bien faire, il faudrait le lire avec un dictionnaire (Léonard aime les mots rares) et un dictionnaire mythologique. La matière des poèmes a peu à voir avec le vécu, avec le Québec. Tout cela est très intellectuel, peu senti, académique. Au mieux, de la fantaisie verbale d’inspiration surréaliste des années 20.

 

« Demain, la chanterelle passera / Et sur le cairn des Celtes, / Les violons tatoués vagiront, Enfants égarés. // Le ciel sera de Van Gogh, / La terre, d’un barbare et la mer, / D’un gueux. // Un homme, un seul, viendra lentement / Cueillir le pavot / Pour s’enfuir / Heureux. »

 

Le livre se démarque peu tout compte fait. Le titre du poème est inscrit au verso de la page impair et les vers au recto de la page paire, donc face à face. Le taille de la police est très grande. On observe souvent des vers en retrait. Deux poèmes ont une disposition plus dynamique (les poèmes pourraient être lus à la verticale ?), « Le retour de Vinée » et « L’amant de Palès » que voici : 

 

     

Pour comprendre mieux les enjeux dont témoigne ce recueil sur le plan formel, il est intéressant de lire le compte rendu d’André G. Bourassa dans le DOLQ : « Naïade est une poésie de  brisures, d’éclatement, c’est-à-dire une poésie qui, comme au temps d’Apollinaire et de Cendrars, conteste les mécanismes de la connaissance et de l’expression, où les  hallucinations l’emportent sur la raison. Léonard aurait-il œuvré dans la période précédente, comme Pellan, que son parti pris aurait démontré beaucoup d'audace et d’a-propos… Recueil intéressant, somme toute : un peu tardif par rapport à la poésie de Jean-Aubert Loranger, par exemple, mais plus explicitement accordé au meilleur des recherches de la France des années 1920. » (André G. Bourassa, DOLQ, 4, 665) 

18 novembre 2022

Les fleurs tardives

Clovis Duval, Les fleurs tardives, Chez l’auteur, Montréal, 1923, 207 pages.

« Clovis Duval, né à Batiscan en 1882, fait ses études à Trois-Rivières puis à l'Université Laval. Reçu médecin en 1907, il pratique à Batiscan, et à partir de 1920, en Gaspésie, ensuite à Montréal, à Charlemagne, puis à Trois-Rivières. Atteint d'une maladie cardiaque, Clovis Duval retourne à sa ville natale où il meurt en 1951. Poète, il collabore entre autres, au « Bien Public » et au « Nouvelliste » et publie ses poèmes en recueils. » (Fonds Clovis Duval, BanQ)

L’édition est très modeste. Le papier est de piètre qualité et la disposition des poèmes, très serrée.

Duval, de son propre aveu, a mis 20 ans à produire ce recueil, ce qui semble lui avoir inspiré le titre. On lit donc des poèmes d’un jeune homme aux études et aussi ceux produits par un médecin de campagne dans ses temps libres. 

Il n’est pas nécessaire de lire les 207 pages pour prendre la mesure de Clovis Duval.  Comme beaucoup de ses congénères, il fait plutôt partie des rimailleurs que des poètes. Ses poèmes obéissent à la rime mais se refusent aux formes fixes, comme le sonnet : « — Fais-en donc un sonnet, s'écria l'un d'entre eux / Ciseler un sonnet c'est plus court et commode, / Et moi je répondis : Je n'aime pas la mode, / C'est risible, on en fait partout, à tout propos ; La mode est aux sonnets comme elle est aux chapeaux ».

 

Ses sources d’inspiration sont convenues, ce sont celles de son époque : le pays et ses « gloires » nationales, la religion et les moments-clés du calendrier religieux, la nature et le passage des saisons, les figures-types du terroir (le forgeron, le semeur, le pecheur), l’amour, la vie.

Ceci dit, on lit ici et là de jolies images (« un laboureur… déchire le champ », la maison « prend à son tour les feux de l’horizon », « Le vent semble agrandir l’aurore » ) et l’auteur est capable d’humour (« Je soupçonne mes vers de vous trouver jolie / Et de pas vouloir se séparer de vous ») et d’autodérision (« Commentaire après 15 ans », « Un poème qui brûle »).

Dans l’épilogue, Duval envisage la réception critique de son livre :

ÉPILOGUE (début)

Cet auteur qui brûla tant de vers, de main leste,
Fut, dira-t-on, mauvais jardinier pour le reste.
Sécateur imparfait,
Sa nonchalance a bien opéré quelques tailles,
Déblayé son terrain des plus grosses broussailles,
Il n’a pas assez fait

Comme il arrive à tout auteur jugeant son livre,
Tel poème détruit, peut-être aurait dû vivre,
Et tel autre, épargné,
Aurait peut-être dû plutôt prendre sa place 
Et monter comme lui se chercher dans l’espace 
Un repos bien gagné.

Que faire, s’il en est ainsi, sinon attendre 
Un verdict du public, pas trop dur, pas trop tendre,
Et savoir de partout 
Si l’on tolère encore une métrique fruste,
Et si le vieux penchant de l’auteur était juste 
De détruire le tout ?

Craindre un verdict trop doux ? —Qu’il demeure en liesse ! 
Sur cent lecteurs, chacun aura plus d’une pièce 
Qu'il voudrait dans le jeu.
Trop dur ? Ces cent esprits, que la critique aiguise, 
Peut-être en aimeront chacun une, à leur guise,
Et ce n’est pas si peu !

11 novembre 2022

La Grand-tronciade

Arthur Cassegrain, La grand-tronciade, Itinéraire de Québec à la Rivière-du-Loup, Ottawa, G. E. Desbarats, 1866, 96 p.

 

« Faire rire, tel est mon but, à moi, dans ce poème, ouvrage badin, que j'ai fait, comme en jouant, pour égayer d'abord les lecteurs d'un journal, où il a déjà paru en grande partie, et que je publie maintenant au complet pour l'amusement du bon public. »

 

Ce « premier poème d'invention de longue haleine […] sur la scène littéraire de notre pays » est dédié à M.  Monsieur J. C. Brydges, « le noble enfant de la vieille Angleterre, / Qui le premier de rails sillonna notre terre. »

 

Cassegrain, sur les modes humoristique, sarcastique et burlesque, raconte une voyage de Québec à Rivière-du-loup. Les passagers embarquent d’abord sur un « vapeur » qui leur permet de rejoindre Lévis où ils montent dans le train. On appelait le chemin de fer le Grand Tronc, d’où le titre de l’auteur, calqué sur l’Illiade. Disons-le, les références à l’Antiquité pullullent dans ce poème qui se donne de faux airs épiques : tous les dieux y passent, comme si l’auteur craignait qu’on le prît pour un inculte en raison du sujet et de son traitement. 

 

L’auteur, dans le dépôt (ainsi nomme-t-il la gare) de Québec, nous présente les personnages qui vont animer cette randonnée, car le récit porte d’abord et avant tout sur les voyageurs. On y trouve un microcosme de la société : des politiciens, des avocats, des médecins, des commerçants des habitants, des écoliers, des touristes qui s’en vont pêcher ou profiter des plages, des amoureux, des commères, etc. Aucun de ces personnages n’échappent au regard sarcastique de l’auteur, les plus importants étant les plus maltraités. Il raconte l’esbrouffe d’un politicien, le désaccord des amoureux, les appétits rapaces des avocats en quête de clients, les frasques de trois jeunes hommes, le commérage des dames (Bien qu’il s’en défende, l’auteur donne dans la misogynie).

 

L’auteur fait un clin d’œil aux différents écrivains de son époque quand il traverse leur village natal : Fréchette, Aubert de Gaspé, Casgrain.

 

À l’occasion, il décrit le fonctionnement du train : « Alors des employés la bande fort active / S'en va remplir les flancs de la locomotive / Avec le bois et l'eau qui sont sa ration ».

 

Il mentionne les différents lieux traversés par le train : Montmagny, Saint-Jean-Port-Joli, Sainte-Anne de La Pocatière, Saint-Pacôme, Rivière-Ouelle, Kamouraska et, finalement, Rivière-du-loup. Chacun de ces lieux donne lieu à quelques anecdotes, par exemple sur sa vie étudiante au Collège de la Pocatière ou sur la légende de Cap-au-diableà Kamouraska. L’Islet, le lieu d’origine de l’auteur, reçoit un traitement royal : 

 

Le monstre aux reins d'acier sur les rails s'avançait. 

Un instant il s'arrête au cap de Saint-Ignace, 

Fameux par ses melons et comme endroit de chasse. 

(Pour preuve il me souvient, qu'y tirant au hasard, 

J'y blessai sans malice un malheureux canard). 

Du Cap à l'Anse-à-Gille, on est rendu bien vite : 

Lecteurs, à contempler, ici je vous invite : 

L'Anse-à-Gille à l'Islet sert d'introduction, 

Car entre elle et le cap c'est le trait-d'union. 

Or l'Islet est l’orgueil de nos Laurentiennes, 

La perle, le joyau des plages canadiennes. — 

Que l'on permette ici qu'un enfant de ces lieux 

Rende à son sol natal un hommage pieux ! 

Ma foi, pour son pays toute âme est partiale : 

Ne m'en voulez pas trop la chose est générale. 

 

* * 

Qu'on vante les ilôts ornant Kamouraska, 

Et les bains recherchés que donne Cakoûna, 

A tout je te préfère, ô mon Islet chérie, 

Je t'aime cent fois plus que la douce Italie ! 

4 novembre 2022

Vice versa

Jeannine Lavallée, Vice versa, Montréal, Rénovation, Imprimerie modèle ltée, 1938, 105 p. (Illustrations de René Chicoine)

Le recueil s’impose par ses dimensions : 26 cm x 18 cm. L’autrice commence par une dédicace qui a des allures patriotiques : « Lecteur, Si tu aimes ta patrie, ouvre ce livre, je te le dédie. »

« Le sentier des dieux », « Rêverie », « Bois brûlé », « Paysages », « Québec », « L’éternel présent » et « La patrie canadienne » sont les parties du second ouvrage de Jeannine Lavallée.

L’autrice respecte presque toujours la métrique et les rimes.

Les thèmes sont d’inspiration romantique : la patrie, la nature, l’amour. Le pays qu’elle évoque est plutôt d’ordre mental : plusieurs poèmes incitent le lecteur à communier aux forces de la nature canadienne, à la beauté de notre pays, à développer des sentiments de force et de plénitude.



Jeunesse

Je connais une belle et grande solitude :
Des lacs, des paysages verts,
Des bois profonds. J’aime sa douce quiétude.
Ensemble Jeunesse allons vers

La nature. Allons tous deux oublier la vie,
Son amertume, ses chagrins;
Nous nous reposerons dans l’ombre et l’harmonie,
Sous la chevelure des pins.
(p. 79)

Jeannine Lavallée sur Laurentiana
Mea culpa