16 octobre 2016

Némoville

Adèle Bourgeois-Lacerte, Némoville, Beauregard, Ottawa, 1917, 144 pages. (Préface de l’auteure)

« C’est au souvenir de Vingt mille lieues sous les mers et L’île mystérieuse, qui en fait suite, que j’ai intitulé mon livre Némoville, à la mémoire du capitaine Nemo, inventeur-propriétaire du Nautilus. On retrouvera le Nautilus dans mon récit ; je l’ai retiré de l’abîme pour quelque temps. Ceux que ce grand sous-marin a intéressés autrefois, seront heureux sans doute, d’en entendre parler de nouveau. » (l’auteure dans la préface)

L’histoire débute en 1873 dans le Pacifique. Un paquebot, emportant « des émigrés, mais non des émigrés de basse origine » vient d’échouer sur une île volcanique. Deux membres du groupe, Roger de Ville et Paul Lamontagne, lors d’une expédition de reconnaissance, découvrent l’épave du Nautilus, le sous-marin du capitaine Nemo. Ils projettent de le renflouer, mais plus encore, d’en faire le départ d’une ville sous-marine : Némoville. « Il ne serait pas si difficile de construire d’autres sous-marins, que nous pourrions relier entre eux par des couloirs-tubes, détachables à loisir ; quand l’un des sous-marins voudrait remonter à la surface, il n’aurait qu’à se détacher des autres ». Comment y parviendront-ils, l’auteure se garde bien de nous le faire savoir. « Quelques-uns à peine firent de faibles objections, mais d’autres, parmi ceux qui avaient beaucoup souffert de la méchanceté des hommes sur la terre, témoignèrent un véritable enthousiasme pour l’idée originale du jeune ingénieur. Un homme un peu âgé et d’aspect taciturne du nom de Richard, offrit même d’avancer les fonds nécessaires à la réalisation de ce projet extraordinaire. On décida de renflouer immédiatement le « Nautilus », et dès le lendemain on se mit à l’œuvre. »

On se retrouve quelques années plus tard. Roger est devenu le gouverneur de la ville. Lors d’une expédition de pêche en mer, il découvre un canot flottant, mais surtout une belle jeune fille dont il tombe amoureux. Elle s’appelle Gaétane. Or, le médecin de Némoville tombe aussi amoureux de la belle naufragée et voyant qu’il est repoussé, il décide de se venger. Pendant que Gaétane dort avec une amie dans un sous-marin, il détache celui-ci de la ville et les deux jeunes filles partent à la dérive. Le sous-marin finit pas s’amarrer sur une île volcanique où nos deux jeunes « robinson(nes) » se débrouillent plutôt bien. Après bien des recherches, Roger finit par retrouver sa Gaétane et le vilain est sévèrement puni. Mais coup de théâtre, Roger et ses comparses décident que la ville sous-marine a assez duré; il la coule et retourne dans le monde des terriens.


Rare roman de science-fiction dans la littérature québécoise. L’auteur ne s’embarrasse pas d’explications pseudo-scientifiques et le récit tourne assez vite en récit sentimental. Lacerte décrit un monde utopique où tout le monde est beau (sauf le docteur); indirectement, elle critique la mesquinerie du monde des « terriens ». 

« En 1891, Emma-Adèle Bourgeois (1870-1935), épouse d'Alide Lacerte, s'établit à Ottawa. Elle est née à Saint-Hyacinthe, mais elle a étudié à Trois-Rivières, où elle a pu croiser le poète de Yamachiche, Nérée Beauchemin, qui a probablement dédié un poème au couple, « Épithalame », en l'honneur de leur mariage, poème que l'on retrouve dans son recueil Les Floraisons matutinales (1897). Au début du vingtième siècle, Emma rend hommage à ses lectures de jeunesse en signant une suite de L'Île mystérieuse de Jules Verne, Némoville (1917), qui pourrait être le premier roman de science-fiction franco-ontarien. Comme l'a découvert Mario Rendace, elle continue d'ailleurs à creuser le filon vernien, signant « L'évadé de Minoussinsk » en 1925, qui prolonge plus ou moins Michel Strogoff. » (Trudel, Culture des futurs)

7 octobre 2016

Ballades de la petite extrace

Alphonse Piché, Ballades de la petite extrace, Montréal, Fernand Pilon, 1946, 99 pages (préface de Clément Marchand, dessins d’Aline Piché)

Le recueil d’Alphonse Piché, prix David 1947, contient 34 ballades. La ballade est un poème à forme fixe que Francois Villon a rendu célèbre avec « La ballade des pendus ».  Tous les poèmes du recueil (sauf un) contiennent trois strophes de huit vers (des huitains) suivies d’un envoi de quatre vers. En théorie, le dernier vers, comme un refrain, est identique dans les quatre strophes. L’envoi doit toujours débuter par un vocatif. La ballade constituée de huitains est construite sur trois rimes.  Finalement, le nombre de vers de la strophe est égal au nombre de syllabes par vers (dans un huitain, huit syllabes). Disons que Piché prend tout au plus quelques libertés avec ces règles.

Clément Marchand emploie presque toute sa préface à vanter le « naturel » de l’auteur en dépit de la facture très classique de sa poésie. « Ce qui me plait dans ces frustres ballades d’Alphonse Piché, où plus d’un vers pourtant gauchit et se béquille, c’est un accent de sincérité qui ignore les feintes et les réticences. »

L’archaïque « extrace » du titre a probablement été emprunté à Villon : «  Pauvre je suis de ma jeunesse, / De pauvre et de petite extrace ». Aujourd’hui on emploierait les mots « extraction » ou « origine ».  

C’est à Jean Narrache qu’on pense en lisant ces ballades,  même si le langage est moins oral, plus recherché et parfois précieux quand il aborde le thème amoureux : « Douce Mignonne qu’aime tant, / Douce Mignone, fraîche et bonne ».  

Sur les 34 ballades, j’en n'ai relevé qu’une qui soit franchement optimiste : « Le printemps nait pour tous les cœurs » (Printemps). Tout le reste constitue une vision assez noire de l’humanité. Piché — tout comme Marchand, Coderre et Desrochers — s’intéresse aux petites gens : ouvriers, commis, vendeurs de journaux (les toppeux), chiffonniers; mais aussi aux vieux qui errent en attendant la mort et aux vieilles qui hantent les églises. Il décrit ceux et celles qui vivent à l’ombre des grands bourgeois, qui mènent une vie sans espoir dans des quartiers pauvres, dans les ruelles urbaines. « Qu’elle est dure cette existence / Aux petites gens des trottoirs »; « Nous voilà bien, gens de bureaux, / Figure blême et maigrelette »; « Comme les rats sur les parquets, / … / Les toppeux courent, gringalets ».

Son discours s’universalise parfois et c’est sur la destinée humaine qu’il se penche. Encore ici, la vision est plutôt désespérante. Plusieurs poèmes se terminent par l’évocation de la mort, parfois même de façon très naturaliste : « Dans une boîte de valeur / Nous voilà tassé le physique ». Quelques poèmes abordent respectueusement le thème religieux et Piché adopte l’attitude du pauvre ou vilain pécheur repentant, indigne de l’amour de Dieu. « Mon Dieu, recevez la prière / D’un pauvre pécheur maladroit ». Deux poèmes font allusion à la guerre qui vient de se terminer pour dénoncer le sort qui est fait aux soldats : « Blessés, crevés, vétérans, hères ». Quelques poèmes abordent le thème amoureux : la femme est inaccessible et le poète, rejeté.

Comme le dit Marchand dans sa préface, la syntaxe est parfois approximative, mais on sent que le « message est authentique et vrai ». Il faut considérer le parti-pris de dérision du poète pour bien mesurer son pessimisme, comme ce me semble très clair dans le grotesque du poème suivant :

La bière

Frères, buvons à plein gosier,
Buvons avec inconséquence
Ainsi que poissons et noyés
Et honni soit qui mal y pense!
Buvons la bière à pleine panse
Sous les bons ordres du Bon Dieu
Qui fit pour nous fortes dépenses,
Buvons la bière à qui mieux-mieux.

Allons, crevons tous les celliers,
Buvons chopes en abondance;
Sans crainte, arrosons le brasier,
Noyons remords et conscience,
Noyons misère et indigence,
Qu'enfin de ce monde ennuyeux
S'échappe un peu notre existence
Buvons la bière à qui mieux-mieux.

Buvons, chantons sous les rosiers,
Étouffons toute souvenance,
Saoûlons nos rêves estropiés
Qui nous sont tristes doléances
Les jours de jeûne et d'abstinence;
Chantons en chœur, buvons joyeux
Demain nous guette la souffrance.
Buvons la bière à qui mieux-mieux.

ENVOI
Buvons à perdre toute science,
Les artistes ne sont heureux
Que défunts ou sans connaissance.
Buvons la bière à qui mieux-mieux.

1 octobre 2016

Triste

Triste événement, triste pour Monsieur Dostie, triste pour les archives littéraires québécoises.