(Texte publié en 2003 sur Cyberscol, site disparu — première version à la fin des années 1990)
Gaston Miron est
né en 1928 à Sainte-Agathe-des-Monts : « je suis né ton fils en-haut là-bas / dans les
vieilles montagnes râpées du nord » (L’octobre) Il passera
quelques vacances d’été à Saint-Agricole et au Lac-de-l’Orignal, dans le canton
de l’Archambault, lieu évoqué dans son oeuvre : « Pays de jointures et de
fractures / vallée de l’Archambault / étroite comme les hanches d’une
femme maigre » (Fragment de la vallée) Tout jeune, il vit son
premier choc culturel : il découvre que son grand-père, qu’il admire,
patauge dans le plus « noir analphabète ».
Aîné d’une
famille de cinq enfants, il a 12 ans lorsque son père décède. Dans la lignée
paternelle, on est charpentier de père en fils et ce n’est pas sans regret que
Miron délaisse cette tradition : « dans
un autre temps mon père est devenu du sol / il s’avance en moi avec
le goût du fils et des outils » (Art poétique) À
Sainte-Agathe, qui se transforme l’été en centre de villégiature pour fortunés
anglophones, il fait une première expérience de son « bilinguisme de naissance » : la langue du majoritaire,
qui est celle de l’argent, plonge les siens dans un état de dépendance servile.
Son secondaire, il le fait à Granby dans un juvénat des Frères du Sacré-Cœur. On l’initie à la poésie d’Octave Crémazie, de Pamphile le May, de Nérée Beauchemin… Entre-temps, sa mère « avec ses mains d’obscures tendresses » se remarie et la famille déménage à Saint-Jérôme. Il la rejoint à la fin de ses études et travaille un an comme manœuvre auprès des plombiers. À 19 ans, il quitte le milieu familial et s’installe à Montréal. Le choc est brutal :
or je suis dans la ville opulente
la grande Ste. Catherine Street galope et claque
dans les Mille et Une Nuits des néons
moi je gis, muré dans la boîte crânienne
dépoétisé dans ma langue et mon appartenance
déphasé et décentré dans ma coïncidence
(Monologues de l’aliénation délirante)
Le jour, il
exerce un peu tous les métiers : commis de bureau, instituteur, serveur...
Le soir, il étudie les sciences sociales à l’Université de Montréal et
rencontre Olivier Marchand qui le met en contact avec la poésie moderne : Eluard, Desnos,
Aragon… Ce même Marchand l’introduit à l’Ordre de Bon Temps. Ce mouvement, issu
de la JEC (Jeunesse étudiante catholique) et voué à la défense du folklore
canadien-français, tente de développer l’esprit d’initiative chez les jeunes.
Le Devoir et Amérique française publient ses premiers poèmes en 1949.
À l’Ordre de Bon
Temps, en plus d’Olivier Marchand, il rencontre Gilles Carle, Louis Portugais,
Mathilde Ganzini et Jean-Claude Rinfret, les personnes qui vont devenir ses
premiers compagnons de route. En 1953, ce groupe fonde l’Hexagone, une maison
d’édition mais aussi un lieu de rassemblement pour les poètes et les artistes.
Miron choisit le nom. « Nous étions six le jour où nous en avons décidé la
création. » Ce mouvement, que Miron dirige et anime jusqu’en 1983, fera
date dans l’histoire de la littérature québécoise. La même année, Miron et Marchand
publient conjointement Deux Sangs. Pour financer l’entreprise, le groupe
lance une souscription auprès d’amis et fabrique de façon artisanale le
recueil, tiré à 500 exemplaires, dont 200 « autographiés par les auteurs, [et]
spécialement destinés à ceux dont la confiance et le soutien [ont permis] la
présente édition ».
Dès 1954, Miron
commence à rédiger ses grands cycles poétiques : « La vie agonique », « La marche à l’amour » et « La batèche ». De 1954 à 1958, les poètes de
l’Hexagone (auxquels se sont joints Jean-Guy Pilon, Fernand Ouellet, Paul-Marie
Lapointe...) donnent plusieurs récitals, ici et là au Québec.
Miron adhère au
Parti social démocratique en 1955 et est candidat défait dans Outremont en
1957. Il collabore à la fondation de la revue Liberté en 1959. La même année, il quitte le Québec et va
étudier les techniques de l’édition à l’école Estienne à Paris. Il visite
l’Europe et fait beaucoup de rencontres décisives parmi les poètes
français : André Frénaud, Eugène Guillevic, Robert Marteau, Michel Deguy,
Édouard Glissant, Maurice Roche, Jean-Pierre Faye… Pourtant, lui-même abandonne
pour ainsi dire l’écriture, à cause de l’isolement social qu’elle confère, pour se consacrer
tout entier à l’action.
De retour en
1961, il travaille dans l’édition. En même temps, il participe activement à la
Révolution tranquille. En fait, il est de tous les combats : il milite
tour à tour dans le R. I. N., le M. L. P. (Mouvement de
libération populaire), le P. S. Q. (Parti socialiste québécois), le
M. U. F. Q. (Mouvement pour l’unilinguisme français au Québec),
le F. Q. F. (Front du Québec français). En 1963, il est membre de
l’équipe de Parti pris, revue et maison d’édition dans la lignée de
l’Hexagone, avec un discours social et artistique beaucoup plus véhément
toutefois.
Il renoue avec
la poésie et publie des fragments de ses grands cycles poétiques : « La marche à l’amour » est publiée en 1962
dans Le Nouveau Journal, « La vie
agonique » et « La batèche » le
sont en 1963 dans Liberté, « L’amour
et le militant » en 1963 chez Parti pris, « Les poèmes de
l’amour en sursis » en 1967 dans Liberté.
En 1966, une
conférence de Jacques Brault, intitulée Miron le magnifique, atteste de
l’estime que l’on voue au personnage. « Qui parmi nous ne connaît pas
Gaston Miron? Cet homme répandu comme une légende, animateur et agitateur de
première force, dont le visage se confond presque avec le visage de notre
société... » Miron est déjà un mythe, même s’il refuse de publier, lui qui
retouche sans cesse ses poèmes, luttant contre les mots, « comme un cheval de trait / tel
celui-là de jadis dans les labours du fond ». (Paris)
En 1969 naît sa
fille Emmanuelle qu’il élève seul et à qui il dédiera L’Homme rapaillé. « Dans
la floraison du songe / Emmanuelle ma fille / je te donne ce que je réapprends ».
(L’héritage et la descendance)
Son travail dans
l’édition l’amène souvent en Europe et il en profite pour faire connaître la
littérature québécoise. Il participe à l’organisation de la « Rencontre
des poètes canadiens » en 1968 et à celle de la célèbre « Nuit de la
poésie » présentée au Gésù en mars 1970. En avril de la même année, poussé
par Georges-André Vachon et Jacques Brault, Miron finit par rassembler ses
poèmes et quelques textes en prose et publie L’Homme
rapaillé aux Presses de l’Université de Montréal. Phénomène jamais vu au Québec, le recueil
figure sur la liste des best-sellers. En octobre, il fait partie des 350
personnes arrêtées en vertu de la Loi des mesures de guerre. Il passe 13 jours
en prison : « je crache sur votre argent en chien de
fusil / sur vos polices et vos lois d’exception » (Séquences).
Quelques jours après sa sortie de prison, il reçoit le prix France-Québec. Ce
recueil lui vaut aussi le prix de la revue Études françaises en 1970,
celui de la ville de Montréal en 1971 et le prix Belgique-Canada en 1972.
Toujours dans
les années 1970, il est écrivain résident aux universités d’Ottawa et de
Sherbrooke, il enseigne à l’école nationale de Théâtre de Montréal et il travaille
aux éditions Leméac. En 1975, il publie un deuxième recueil, Courtepointes.
En 1977, il entre à l’Académie Mallarmé (fondée en 1937 pour honorer la mémoire
du grand poète symboliste).
Dans les années
1980, il donne de multiples lectures de ses poèmes, ici, mais aussi en Europe
et aux États-Unis. En 1981, une nouvelle version de L’Homme rapaillé est publiée aux éditions Maspero à Paris et, la
même année, il reçoit le prix Guillaume-Apollinaire. C’est la consécration internationale. Dans cette édition sont insérés
les poèmes de Courtepointes.
Plusieurs
grandes récompenses couronnent cette oeuvre exceptionnelle : le prix
Duvernay (1977), le prix Athanase-David (1983), le prix Molson du conseil des
arts du Canada (1985). On lui décerne aussi la médaille de l’Ordre des
francophones d’Amérique en 1991 et les insignes de Commandeur des Arts et des
Lettres de la République française en 1993.
Miron a
également participé à l'élaboration de deux anthologies : Écrivains contemporains du Québec en
1989 avec Lise Gauvin et Les Grands
Textes indépendantistes en 1992 avec Andrée Ferretti. Il a écrit beaucoup
d'articles dans les revues et les journaux. Un échange épistolaire, À bout portant, qu'il a tenu avec Claude
Haeffely, a également été publié en 1989. À partir de 1991, il donne un peu
partout, accompagné de musiciens, un spectacle poétique, La Marche à l’amour.
Il meurt le 14 décembre 1996. Tout le Québec reconnaît en lui le grand écrivain mais aussi
l’ambassadeur infatigable de la culture québécoise et pour en témoigner, on lui
offre des obsèques nationales. Il est inhumé au cimetière de Sainte-Agathe,
près des siens. « Ci-gît, rien que
pour la frime / ici ne gît pas, mais dans sa
langue / Archaïque Miron / enterré nulle part / comme
le vent. » (Stèle)
En 1998, un
colloque international, « Miron ou la marche à l’amour… en
poésie », est tenu à l’Université de Toronto.