27 novembre 2020

Cantate pour une joie

Gabriel Charpentier, Cantate pour une joie, Montréal, Erta, 1956, n.p. [8 pages].

« Inspiré par Ravel et Honegger, il [Pierre Mercure] compose Cantate pour une joie, en 1955, sur sept poèmes de Gabriel Charpentier – qui est l’un de ses amis. Cette oeuvre pour soprano, chœur et orchestre constitue sa première création majeure. Intégrant des oeuvres plus anciennes, Ils ont détruit la ville et les trois mélodies de Dissidence, Cantate pour une joie célèbre les temps modernes avec fougue et lyrisme.» (Savoirs libres, 4 décembre 2016)

Le recueil contient sept poèmes. Le premier évoque une petite fin du monde : « les lions jaunes hurlent dans le sable / l’épouvante est dans la ville / et les ténèbres entourent ma demeure / tout le monde a peur ». Dans sa traversée de ce décor d’épouvante, le poète trouve un ami, « une main tendue où [il] peu[t] tendre sa main ». Il parcourt les restes d’une ville anéantie : « ils ont détruit la ville / dans l’eau les pierres les rats les hommes les femmes ». Son existence est misérable. « Hélas je ne suis / je ne suis qu’en désirance / et me retrouve clown / ou pierrot sans lune ». Pourtant, « son corps [ayant été] purifié par les brumes souterraines », le joie surgit : « le cri de joie est sorti de ma bouche / tout le monde danse sur les places / et les colonnes chavirent / le cri de joie est en avant de moi / je le prends avec moi / il m’illumine de lumière ».

On peut certes interpréter cette courte suite de poèmes de différentes façons. Ce qui me vient le plus facilement, c’est le schème religieux : l’apocalypse, un sauveur, la traversée du désert, la grâce et le paradis retrouvé. Sans être neuve, cette poésie simple et accessible se prêtait bien à la mise en musique.

Consulter
La semaine à Radio-Canada, 1950-1966 
Ici Radio-Canada, 1966-1985, 20 octobre 1966 (Le décès de Pierre Mercure) 
Écouter Cantate pour une joie   (Pierre Mercure dirige l’orchestre)

20 novembre 2020

Le dit de l’enfant mort

Gabriel Charpentier, Le dit de l’enfant mort, Paris, Pierre Seghers, 1954, 35 pages.

Dans le dernier poème, Charpentier donne la clé de son recueil : « Au fond / c’est l’histoire d’un petit mort comme vous et moi / d’un petit mort bien ordinaire ».

Ce « petit mort bien ordinaire » est un être seul qui fuit tant bien que mal son malheur et qui rencontre de temps à autre un « naufragé » comme lui : « Cauchemar sur la route / la mort m’entoure de ses bras / […] /je suis perdu dans les herbes hautes/ […] / je crie ». Sa fuite éperdue ne semble mener nulle part : « A marché, pendant de longues journées, a traversé de vastes marécages, a fui, a dormi sous les arbres morts, a gardé son agonie, ses songeries, a fermé ses mains ses yeux ses bras ». Comme le titre et certains passages le suggèrent, il se pourrait bien que l’objet de cette fuite soit relié à l’enfance : « C’est le rêve d’un enfant que je porte dans ma main. […] où est l’enfant mort? Qui est cet enfant? Invention! Invention! Ne m’abandonne pas. Je me livre à eux. Je leur donne mon bateau. Mon âme est morte ce matin, bien loin, loin, sur la mer, doucement, sans fermer les yeux. » Certains passages font état d’une grande violence : « ils me défigurent/ ils m’enlèvent de toi / ils me frappent / ils me frappent / ils me frappent / ils m’entourent / ils me brûlent ». Compte tenu de tout cela, le petit poème cité au début de ce billet est pour le moins déconcertant.


13 novembre 2020

Heures perdues

Adolphe Poisson, Heures perdues, Québec, Imprimerie générale A. Côté, 1895, 256 pages. (1ère édition : 1894)

 

Étonnant de constater que ce recueil connaît une deuxième édition seulement un an après la première ! En plus on apprend que 1000 exemplaires ont été écoulés. Poisson avoue dans la préface que ce n’est pas tant la qualité de sa poésie qu’un soudain « goût pour les choses de l’esprit » qui explique son succès.

 

Le recueuil contient 39 poèmes, plutôt longs. On vogue d’un sujet à l’autre, le recueil n’ayant aucune structure. 

 

L’inspiration en est variée.  Poisson célèbre des personnages publics  : Louis-Napoléon Bonaparte, Léon XIII, Jacques Cartier, Longfellow. Quelques poèmes appartiennent au courant patriotique. D’autres évoquent des expériences plus personnelles, comme le décès de son père, de sa sœur Juliette et de son petit frère. Enfin, on a droit à des réflexions sur le temps qui fuit, sur la vie après la vie, sur l’inspiration, etc. 

 

Poisson est davantage un rimailleur qu’un poète. Certains poèmes, qui réfèrent à des événements de son époque, sont très datés et peu significatifs pour un lecteur contemporain. Bandeaux et culs-de-lampe agrémentent le recueil.



6 novembre 2020

Les soirées du château de Ramezay

L’École littéraire de Montréal, Les soirées du château de Ramezay, Montréal, Eusèbe Sénéchal, 1900, 402 pages.

 

Ce recueil fut publié à la suite des quatre séances publiques tenues par l’École littéraire de Montréal au Château de Ramezay, en 1898-1899, séances qui eurent beaucoup de succès. 

 

Les membres de l’École littéraire étaient déjà actifs depuis 1895. Charles Gill, dans « Un mot au lecteur », nous offre un aperçu de ces rencontres : « Celui qui passerait un vendredi soir, devant le Château de Ramezay, cette ancienne résidence des gouverneurs convertie en Musée des antiquités nationales, trouverait, contre l’habitude, la grille extérieure ouverte, et s’étonnerait, sans doute, de voir filtrer la lumière par la porte entre-bâillée. Si la curiosité le poussait à entrer, après avoir traversé un sombre couloir garni de portraits, de flèches et de tomahawks, il pénètrerait dans une pièce étroite où il apercevrait quatre avocats, un graveur, deux journalistes, un médecin, un libraire, cinq étudiants, un notaire et un peintre réunis autour d’un tapis vert jonché de manuscrits : c’est l’École Littéraire à laquelle le vieux château donne asile ce soir-là. » / « Il ne s'agit pas de s'admirer. Les pièces qui figurent dans ce recueil ont été lues, analysées et critiquées au cours de nos soirées dit vendredi où les absents se font rares. C'est une école sans maître que l'École Littéraire ; nul n'a le droit d'y élever la voix plus haut que son voisin. Et comme il n'y a d'autre honneur à briguer que les applaudissements des camarades… » 

 

Seize membres ont fourni des textes, en plus de ceux du président d’honneur, Louis Fréchette (extrait du drame Veronica et deux contes). Il s’agit de Wilfrid Larose (5 textes en prose, dont le discours d’inauguration et des récits-essais moralisateurs), Charles Gill (16 poèmes et trois récits), Gonzalve Désaulniers (10 poèmes), E.-Z. Massicotte (6 poèmes et 10 textes en prose très brefs, des « croquis »), Jean Charbonneau (4 poèmes et un long essai sur le symbolisme), Germain Beaulieu (9 poèmes et 2 récits descriptifs), Albert Ferland (11 poèmes), Henri Desjardins (7 poèmes et 1 dialogue), Émile Nelligan (17 poèmes, dont « La romance du vin »), G. A. Dumont (1 texte poétique et 1 texte historique), Arthur de Buissières (7 poèmes), Pierre Bédard (1 conte sentimental très bref), Hector Demers (2 scènes dramatiques versifiées, 1 poème et 1 récit), Antonio Pelletier (3 poèmes), H. de Trémaudan (1 poème), Albert Lozeau (7 poèmes).

 

Ce livre témoigne de la volonté d’une certaine jeunesse de s’éloigner du courant romantico-patriotique qui dominait à l’époque. Même si la poésie est le genre le mieux représenté, on découvre des textes qui s’en éloignent de beaucoup. Je pense au texte « Les cicindélides du Canada » de Germain Beaulieu,  à « L’Amérique primitive » de G. A. Dumont et au texte « Le tir au pigeon » de Hector Demers.  Des textes scientifiques, historiques, naturalistes. 

 

La décision de publier ce recueil collectif date du début de l’année 1899. Pour le reste, je laisse la parole à Jean Charbonneau qui a raconté comment ont été sélectionnés les textes et les difficultés entourant la publication du recueil :

 

« Chacun de ses membres devra présenter des travaux de tendances et de formes variées, en prose ou en vers, et qui seront lus aux séances ultérieures. […]  Il s’effectue un substantiel labeur, puisqu’il a été décidé de publier un volume collectif dont le titre choisi est d’abord « L’École littéraire, 1898-99 », mais qui deviendra définitivement « Les Soirées du Château de Ramezay ».

Sans interruption jusqu'en juin, un grand nombre de pièces de tous genres sont soumises, critiquées, acceptées ou refusées. La publication prochaine d’un livre est pour nous un véritable stimulant. Tous, dans la mesure de notre talent, nous voulons y figurer avec honneur. Aussi, l’émulation ne manque pas de faire naître un bon esprit de cohésion et maintient la ferme volonté de provoquer un événement littéraire d’une importance exceptionnelle. 

[…]  Un comité de critiques est chargé de juger en dernier ressort les travaux qui devront faire partie du prochain volume. Il se compose de Wilfrid Larose, de E.-Z. Massicotte, de Jean Charbonneau, de Charles Gill auxquels on adjoint Germain Beaulieu, de nouveau revenu, après une longue absence forcée. En même temps, on décide que seuls les membres de notre groupe auront le privilège de collaborer à ce livre qui devra, annonce le président, paraître aux environs de janvier 1900. Le comité travaille sans relâche. Toutefois, […], comme certains retards se produisent dans l’apport des pièces promises, et afin de hâter la publication du livre, il est proposé que Wilfrid Larose, le président, en assumera les responsabilités financières. Il en aura la propriété exclusive, moyennant l’obligation de sa part d’en distribuer certains exemplaires aux collaborateurs et une centaine aux journaux. Mais en dépit de toute la vigilance apportée à sa mise en page, le livre ne paraîtra qu’au printemps de 1900.

« Les Soirées du Château de Ramesay », recueil de forme anthologique, et considéré dans le recul des ans, présente plutôt un intérêt de curiosité. En réalité, il ne donne que l’impression d’une suite d’essais trahissant pour la plupart l’inexpérience de la jeunesse. Il ne s’applique à défendre ni système ni aucune école en particulier : il est éclectique et dénote des tendances diverses. Nous pourrions peut-être risquer l’opinion qu’il ouvre une ère nouvelle, si l’on fait le procès de cette époque où notre littérature croupit dans un état voisin de l’inertie. (L’école littéraire de Montréal , p. 53-55)

 

Lire Les soirées du château de Ramezay

Voir aussi L’école littéraire de Montréal