Jean Charbonneau, L’École littéraire de Montréal, Montréal, Albert Lévesque, 1935, 320 p.
Voici quelques passages du livre :
Voici quelques passages du livre :
Ses origines
«C'est à cet endroit (le café Ayotte) que notre génération tenait généralement ses conciliabules et fulminait contre l'état lamentable de notre littérature. C'est là que se rendirent Jean Charbonneau et Paul de Martigny.
Comme on peut s'en douter, ils ne manquèrent pas de se confondre en protestations véhémentes contre les tortionnaires de la belle langue française qu'ils venaient de subir (ils viennent d’assister à une assemblée politique). Leur indignation était à son comble. Longuement et avec une marque de profonde tristesse, ils s'apitoyèrent sur l'avenir intellectuel de notre pays; ils déplorèrent avec amertume la solitude déprimante dont étaient obligés de s’entourer nos écrivains clamant leur détresse du haut de leur tour d'ivoire.
Ils se disaient : "Mais au banc de la société, reniés par nos propres concitoyens, enlisés dans l'inaction, subissant le contact déprimant d'un mercantilisme envahisseur, ne faisons-nous pas figure de parents pauvres à qui on refuse obstinément le bénéfice du talent ? Que deviendra notre province dans cinquante ans si nous continuons ainsi à sacrifier les intérêts de notre langue aux nécessités matérielles du moment ? Que deviendra notre jeunesse perdue dans le désert de l'indifférence et du dédain ? N'a-t-elle pas le droit, comme dans toute nation civilisée, de s’insurger contre les attaques journellement répétées des philistins dont la bêtise solennelle la fait pâlir de rage et d'impuissance ?
Pourrait-on lui enlever le privilège de travailler librement au perfectionnement de ses valeurs ? N'a-t-elle pas assez souffert des quolibets blessants à l'adresse des « écrivailleurs imbéciles » — c'est l'expression dont on se sert — passant leurs jours et leurs nuits à coucher du noir sur du blanc sans toucher « le moindre maravedis » pour le fruit de leurs sacrifices vains et de leur inutile labeur? N’a-t-elle pas pour divine mission — elle le croit du moins — de répandre le culte des lettres et de leur brûler l'encens sacré ? L'heure n'a-t-elle pas sonné où il faudrait tenter un ralliement des intelligences, des bonnes volontés, de les grouper solidement et de leur imposer la tâche — en dépit des défaitistes et des éteigneurs d'étoiles — de travailler à sauver notre langue française du marasme où elle est malheureusement plongée ?"
Tels furent à peu près les propos que se tinrent jusqu'à une heure fort avancée d'une nuit de novembre, en l'année 1895, Jean Charbonneau et Paul de Martigny, animés de cette foi ardente qui pousse les conquistadors à la recherche des mondes nouveaux, sans s'inquiéter des tempêtes futures.
De cet entretien était née l'École littéraire de Montréal.» (p. 25-26)
Les débuts
«Le magistrat B.-A.-T. de Montigny, magistrat intègre, écrivain estimé de sa génération, devant les instances de son fils Louvigny, nous fit autoriser à tenir une première réunion dans la salle des audiences de la Cour du Recorder, située alors en l'hôtel de ville de Montréal.
Par un soir de novembre 1895, Jean Charbonneau y exposa les grandes lignes d'un programme futur. Un comité fut chargé de rédiger une constitution. L'assemblée était présidée par J.-G. Boissonneault, un poète d'occasion complètement oublié aujourd'hui. Quelques jours plus tard, à une séance présidée par J.-W. Poitras, le comité fit rapport de son travail; mais ce projet de constitution relaté dans de nouvelles archives fut irrémédiablement perdu avec ces dernières dont nous avons tenté en vain de retrouver les vestiges.
Dans cette enceinte d'une cour de délinquants où s'étalait la misère, où défilaient tant de déshérités, des jeunes hommes, épris d'idéal, venaient sacrifier sur l'autel de l'Art. Devant ce tribunal arrosé de tant de larmes, des esthètes remplis d'espoir, clamaient leurs droits à la vie, chantaient leur joie et vantaient les satisfactions promises aux amants des belles illusions. Divin mirage ! Quelle mystérieuse et grande force emporte la jeunesse vers l'inconnu !» (p. 27-28)
«La génération de 1895 savait à quoi n'en tenir sur l'état des esprits à ce moment, mais elle semblait planer au dessus des quolibets de la foule. Elle se sentait confiante en l’avenir et proclamait hautement ses droits à la défense de la langue française en ce pays. Ce fut peut-être son plus beau titre de gloire. À cette volonté de servir, elle ajoute la prétention et la juste ambition de créer des œuvres et de surpasser ses aînés. Dans un mouvement lyrique, elle le proclame fièrement en ces soirs de novembre 1895 devant trente ou quarante jeunes hommes, la plupart des moins de vingt-cinq ans qui, presque tous, s’étaient rendus à l'appel des fondateurs du groupe pour satisfaire une simple curiosité de spectateur, et dont le grand nombre, d'ailleurs, ne revint plus aux réunions suivantes. Faut-il s'en étonner ?» (p. 29)
Ses animateurs
«Après une première réunion, tenue en novembre 1895, une dizaine de camarades, au plus, étaient restés fidèles à l'École littéraire en formation. Comme on le verra dans la suite, s'ils en furent les inspirateurs, ils en restèrent aussi les animateurs.
Germain Beaulieu, Jean Charbonneau, Georges-W. Dumont, Albert Ferland, Paul de Martigny, Gustave Comte, Émile Nelligan, Hector Demers, Charles Gill, Gonzalve Désaulniers, W.-A. Baker, Albert Laberge, Henri Desjardins, Joseph Mélançon (Lucien Rainier), Wilfrid La-rose, Arthur de Bussières, Englebert Galèze (Lionel Léveillé), Alphonse Beauregard, Albert Dreux (Albert Maillé), Jules Tremblay, Ernest Tremblay, Joseph Lapointe, Léon Lorrain, Damase Potvin sont les noms inséparables de l'existence de l'École littéraire, à son origine et plus tard. Aux diverses époques où nous la voyons évoluer, ils l’ont sauvée d’une mort certaine et ont perpétué, dans nos fastes littéraires où elle restera, à n’en pas douter, une des pages émouvantes de la vie intellectuelle du Canada français…» (p. 30-31)
«C'est à cet endroit (le café Ayotte) que notre génération tenait généralement ses conciliabules et fulminait contre l'état lamentable de notre littérature. C'est là que se rendirent Jean Charbonneau et Paul de Martigny.
Comme on peut s'en douter, ils ne manquèrent pas de se confondre en protestations véhémentes contre les tortionnaires de la belle langue française qu'ils venaient de subir (ils viennent d’assister à une assemblée politique). Leur indignation était à son comble. Longuement et avec une marque de profonde tristesse, ils s'apitoyèrent sur l'avenir intellectuel de notre pays; ils déplorèrent avec amertume la solitude déprimante dont étaient obligés de s’entourer nos écrivains clamant leur détresse du haut de leur tour d'ivoire.
Ils se disaient : "Mais au banc de la société, reniés par nos propres concitoyens, enlisés dans l'inaction, subissant le contact déprimant d'un mercantilisme envahisseur, ne faisons-nous pas figure de parents pauvres à qui on refuse obstinément le bénéfice du talent ? Que deviendra notre province dans cinquante ans si nous continuons ainsi à sacrifier les intérêts de notre langue aux nécessités matérielles du moment ? Que deviendra notre jeunesse perdue dans le désert de l'indifférence et du dédain ? N'a-t-elle pas le droit, comme dans toute nation civilisée, de s’insurger contre les attaques journellement répétées des philistins dont la bêtise solennelle la fait pâlir de rage et d'impuissance ?
Pourrait-on lui enlever le privilège de travailler librement au perfectionnement de ses valeurs ? N'a-t-elle pas assez souffert des quolibets blessants à l'adresse des « écrivailleurs imbéciles » — c'est l'expression dont on se sert — passant leurs jours et leurs nuits à coucher du noir sur du blanc sans toucher « le moindre maravedis » pour le fruit de leurs sacrifices vains et de leur inutile labeur? N’a-t-elle pas pour divine mission — elle le croit du moins — de répandre le culte des lettres et de leur brûler l'encens sacré ? L'heure n'a-t-elle pas sonné où il faudrait tenter un ralliement des intelligences, des bonnes volontés, de les grouper solidement et de leur imposer la tâche — en dépit des défaitistes et des éteigneurs d'étoiles — de travailler à sauver notre langue française du marasme où elle est malheureusement plongée ?"
Tels furent à peu près les propos que se tinrent jusqu'à une heure fort avancée d'une nuit de novembre, en l'année 1895, Jean Charbonneau et Paul de Martigny, animés de cette foi ardente qui pousse les conquistadors à la recherche des mondes nouveaux, sans s'inquiéter des tempêtes futures.
De cet entretien était née l'École littéraire de Montréal.» (p. 25-26)
Les débuts
«Le magistrat B.-A.-T. de Montigny, magistrat intègre, écrivain estimé de sa génération, devant les instances de son fils Louvigny, nous fit autoriser à tenir une première réunion dans la salle des audiences de la Cour du Recorder, située alors en l'hôtel de ville de Montréal.
Par un soir de novembre 1895, Jean Charbonneau y exposa les grandes lignes d'un programme futur. Un comité fut chargé de rédiger une constitution. L'assemblée était présidée par J.-G. Boissonneault, un poète d'occasion complètement oublié aujourd'hui. Quelques jours plus tard, à une séance présidée par J.-W. Poitras, le comité fit rapport de son travail; mais ce projet de constitution relaté dans de nouvelles archives fut irrémédiablement perdu avec ces dernières dont nous avons tenté en vain de retrouver les vestiges.
Dans cette enceinte d'une cour de délinquants où s'étalait la misère, où défilaient tant de déshérités, des jeunes hommes, épris d'idéal, venaient sacrifier sur l'autel de l'Art. Devant ce tribunal arrosé de tant de larmes, des esthètes remplis d'espoir, clamaient leurs droits à la vie, chantaient leur joie et vantaient les satisfactions promises aux amants des belles illusions. Divin mirage ! Quelle mystérieuse et grande force emporte la jeunesse vers l'inconnu !» (p. 27-28)
«La génération de 1895 savait à quoi n'en tenir sur l'état des esprits à ce moment, mais elle semblait planer au dessus des quolibets de la foule. Elle se sentait confiante en l’avenir et proclamait hautement ses droits à la défense de la langue française en ce pays. Ce fut peut-être son plus beau titre de gloire. À cette volonté de servir, elle ajoute la prétention et la juste ambition de créer des œuvres et de surpasser ses aînés. Dans un mouvement lyrique, elle le proclame fièrement en ces soirs de novembre 1895 devant trente ou quarante jeunes hommes, la plupart des moins de vingt-cinq ans qui, presque tous, s’étaient rendus à l'appel des fondateurs du groupe pour satisfaire une simple curiosité de spectateur, et dont le grand nombre, d'ailleurs, ne revint plus aux réunions suivantes. Faut-il s'en étonner ?» (p. 29)
Ses animateurs
«Après une première réunion, tenue en novembre 1895, une dizaine de camarades, au plus, étaient restés fidèles à l'École littéraire en formation. Comme on le verra dans la suite, s'ils en furent les inspirateurs, ils en restèrent aussi les animateurs.
Germain Beaulieu, Jean Charbonneau, Georges-W. Dumont, Albert Ferland, Paul de Martigny, Gustave Comte, Émile Nelligan, Hector Demers, Charles Gill, Gonzalve Désaulniers, W.-A. Baker, Albert Laberge, Henri Desjardins, Joseph Mélançon (Lucien Rainier), Wilfrid La-rose, Arthur de Bussières, Englebert Galèze (Lionel Léveillé), Alphonse Beauregard, Albert Dreux (Albert Maillé), Jules Tremblay, Ernest Tremblay, Joseph Lapointe, Léon Lorrain, Damase Potvin sont les noms inséparables de l'existence de l'École littéraire, à son origine et plus tard. Aux diverses époques où nous la voyons évoluer, ils l’ont sauvée d’une mort certaine et ont perpétué, dans nos fastes littéraires où elle restera, à n’en pas douter, une des pages émouvantes de la vie intellectuelle du Canada français…» (p. 30-31)
Son influence
«Nous parlions plus haut de l'état des esprits vers 1895, ne serait-il pas à propos d'y revenir? Conformément à une opinion déjà exprimée, l'origine de l'École s'explique par un fait de grande importance : les jeunes écrivains d'alors veulent se libérer de formules périmées et préparer une époque de transition.
Cette génération, il va sans dire, déplore «la soumission et l'obédience» de notre littérature reflet des épigones du romantisme expirant. Elle s'en indigne, car elle peut en être victime, et elle pense qu'en un jour prochain, brisant ses entraves, elle pourra s'affranchir des procédés poncifs et des influences néfastes.
Elle se dit que si le complet épanouissement de la littérature se manifeste chez les peuples arrivés à un très haut degré de civilisation, il ne faudrait pas quand même refuser à un peuple à son berceau le privilège de se créer un milieu propice au développement de ses facultés intellectuelles; […] Dans un autre ordre d'idées, l'École trouve aussi la raison de s'insurger contre le déplorable isolement où toute une génération, la sienne, est forcément tenue Les bibliothèques, les conférences, les milieux lui manquent. […]
Tous ces moyens nous manquaient à la fin du XIXe siècle. Nous n'étions pas seulement privés du pain de l’esprit, mais plongés dans un abandon voisin de la mort. Nous restions confinés dans une sorte de réclusion, dans un cercle vicieux; nous étions devenus des sortes de phénomènes, des êtres à part. À l'impécuniosité des moyens chez nous, puisque nous en parlons, venaient s'ajouter des raisons d'ordre pratique. Un jeune homme que sa famille destinait à une profession quelconque et qui, clandestinement, «faisait de la littérature», avait besoin d'être mis sous observation comme s'il était atteint d'une maladie mentale. Beaucoup en étaient convaincus. Ces préjugés — nous n'exagérons rien — existaient chez nous depuis longtemps.» (p. 281-283)
Voici une présentation succincte et éclairante du livre de Charbonneau. Je vais l'indiquer à mes étudiants.
RépondreEffacerMerci.