25 février 2022

Les hanches mauves

Yves-Gabriel Brunet, Les hanches mauves, Montréal, Atys, 1961, 78 p.
(Couverture de Germain)

Le recueil est « dédié entièrement » à Antonin Artaud. Dès la première phrase de la préface, la violence est au menu : « Les corbeaux errent à l’aise dans le moulin de mon cerveau, mais la nuit porte l’haleine des faux et déploie sur eux son aile d’assassin ». Avec Brunet, le poète entre en guerre : « lever l’arme contre les salauds, ainsi va de la mission du poète ». Le poète devient en quelque sorte un héros-résistant contre un monde de salauds qui s’ignorent : « Assassinez-vous entre vous si vous le voulez; mais si vous décidez de tourner vos épées contre moi, soyez au moins des assassins dignes de ce nom. »

Le recueil contient quatre parties sans titre, mais chacune introduite par une citation d’Artaud. Les relations « amoureuses » me semblent le thème de la première partie. Le tout baigne dans une climat de cruauté, comme si la femme n’était qu’un sexe: « Les filles laisse-les pisser / elles ont le cul cousu et les cuisses striées […] Pourquoi sont-elles sur terre // Elles vous poussent / elles vous tirent / elles vous saignent / on rit on sourit on les embrasse / on baise avec pourquoi ».

Dans la deuxième partie, le poète essaie de comprendre (ou d’exprimer) comment il en est arrivé à cette vision apocalyptique du monde : « Alors ce matin-là / ce matin-là est entré un corbeau / un corbeau noir / avec une demi-pelure de pamplemousse / ouverte en parapluie / c’est vrai il pleuvait // Et moi j’avais soif / il m’a ouvert les veines / non une veine / et j’ai bu de mon sang // Et du sang c’est noir / et c’est pour ça que ça goûte bon ».

Bien malin qui pourrait nous dire le thème de la troisième partie. Elle est introduite par ces vers d’Artaud : « Quand on creuse le caca de l`ÊTRE et de son LANGAGE, il faut que le POÈME sente MAUVAIS. » Brunet laisse libre cours à son inspiration, juste pour le plaisir des associations de mots qui vont secouer le lecteur et brasser ses certitudes esthétiques et humanistes. Le monde tel qu’il est, il faut le détruire : « Avec trente-huit couteaux / du feu de l’orient / avec trente-huit couteaux / pour fendre les idées / avec trente-huit couteaux Corbeau / ta voix de mâle me fascine / autant que ton ombre sans espoir ».

La dernière partie est beaucoup plus lisible. Le poète s’adresse directement au lecteur, l’invective, le somme de reconnaitre son aliénation, de bouger. « Déshabillez-vous sortez-vous le ventre pour ne jamais / jamais plus le recoudre laissez libre cours à vos boyaux / ils ont faim de liberté ». Cet extrait provient du poème « Libération » qui se termine ainsi : « Mais, bon sang, CREVEZ-VOUS! »

Contrairement à ce qu’on va lire chez les poètes de l’Hexagone, il n’y a pas chez Brunet la dichotomie oppresseurs/opprimés. Si j’ai bien compris, on est tous oppresseurs de soi-même et des autres… les poètes exceptés.

Disons-le, à part Gauvreau, rien n’existait d’aussi virulent au Québec en 1961. Cette poésie bruyante fait certainement le pont avec Parti pris et le mouvement de la contre-culture qui va naitre quelques années plus tard. Cependant, ne serait-ce qu’en raison de la représentation de la femme, j’ai l’impression qu’elle doit mal passer la rampe depuis les années 70.

18 février 2022

Cendres de sang

Jean Gauguet-Larouche, Cendres de sang, Montréal, Atys, 1961, s. p. (Collection Silex) (Le dessin de l’auteur sur la quatrième de couverture est d’Ernest Aubin)

Le recueil est dédié à Noëlla, à sa famille et à la terre.

Tout est modeste dans ce livre : d’abord ses dimensions 13 x 15 cm, puis le nombre de pages (une trentaine) et même l’inspiration (dix-sept poèmes). Le livre est broché à l’intérieur d’une couverture à rabats.

Les sept premiers poèmes évoquent plutôt des malaises. « je suis érable au sol de rien / pollen opaque de ville / souches de misère / ombres passagères ».

Les dix derniers célèbrent l’amour. Dans certains, comme celui que je présente, Gauguet-Larouche s’adresse à la femme aimée.

XV

tu es là dans le sang de ma vie
j’entends tes pas
ah !    vernis indiscrets

bavards corps à corps
j’accueille l’écho de ton corps
sans frapper     j’entre
le beau temps    la sève n’aiment pas attendre
nos bouches se gavent de baisers perdus
                                                      affolés
                                          embaumés
par les cordons mouillés d’une blanche salive
qui recouvre nos corps d’un linceul de joie

 

11 février 2022

Le vertige de sourire

Gilbert Langevin, Le vertige de sourire, Montréal, Atys, 1960, 4 pages. (Feuillet 4 pages sous chemise. Imprimé à l'Atelier Pierre Guillaume.) (Exemplaire de la BAnQ)

Le vertige de sourire ne contient qu’un poème, mais quel poème! On dirait que Langevin, lui qui nous a habitués aux poèmes plutôt courts, vient de découvrir le surréalisme et qu’il s’amuse comme un enfant devant son nouveau jouet. 

 

On y lit :


Des images empruntées à des thématiques assez éloignées : 

« tonneaux de larmes pentecôte ou menottes

morsure à cul de planète

sous le miel trop de vinaigre »

 

des enchaînements plutôt tortueux : 

« mes péchés printaniers mes péchés de velour

vomissures d’étoile sperme ventriloque

la vitre se laisse lécher hublots sur absence

quoi de plus doux que la langue d’un fou

discordance

fouillis gélatineux des sacristies panorama de chair »

 

Mais au-delà de cette liberté verbale, on a un homme avec ses complexes, sa culpabilité, ses restes de croyances religieuses, et aussi un révolté…

« ah que mon regard à ce trop loin de la main s’embarque

chandelle d’œil-en-ciel     flamme éteinte

découvrir tant de choses

l'imposition des chaînes de la connerie

les lois de pesanteur

la constellation des jalousies

le sang qui se répand

cet essor éperdu qu’on perd à tout instant

dans le bonheur     dans la torture »

 

… avec cette volonté de trouver des alliés : 

« mais dans mon exil volontaire

il y a les poissons     il y a la tortue

il y a le chat     il y a les oiseaux

eux aussi sont mes frères

j’en ai même aux lèvres le sourire

le vertige de sourire face au vide »

4 février 2022

Silex 2

Louis Caron, Pierre Chatillon et Olivier Marchand, Silex 2, Montréal, Atys, 1960, n. p. (24 p.]

Parmi les publications d’Atys, cinq s’inscrivent dans la collection « Silex » : Nouveautés poétiquesSilex 2Cendres de sang (1961), Le froid se meurt (1961) et Les cahiers fraternalistes (1964). Pourquoi ces recueils et non pas les autres? Ça reste un mystère. Trois sont des collaborations, deux ont un auteur unique. 

« Silex 2 » est parfois renommé « Silex 60 » dans des promotions d’Atys. Le titre est emprunté à un poème d’Olivier Marchand publié dans Crier que je vis. Plus que le titre, le poème lui-même figure au début du recueil (M. Marchand m’a confié qu’il l’ignorait), ce qui ressemble à une épigraphe. Dans son poème « Silex », Marchand nous dit qu’il n’y a pas de raison de nous taire, qu’il faut « parler tout haut », idée qui devait plaire à Langevin.

Le recueil contient 10 poèmes et des publicités. Les cinq poèmes de Pierre Chatillon oscillent entre l’intime et le social. « À bord / du grand vaisseau pourri de mes bottines, / j’ai mouillé l’ancre en la misère de la ville. »; « Et j’ai passé / dans le parfum profond et noir de tes cheveux / une puissante, épaisse nuit / Tous au fond de la mer. »

Les cinq poèmes de Caron sont à la fois fantaisistes et quelque peu misérabilistes : « la colline était la vache / qui mâche son foin / et les roches bleues / geignent sous les pas »; « si près de nous la mort / et la misère dans nos barbes / qu’on n’a pas de raisons / de ne pas essayer un peu / d’être un peu heureux… »

Les cinq dernières pages du recueil sont des « petites annonces ». On rappelle l’existence de « Nouveautés poétiques » tout en mentionnant que le recueil est épuisé, on annonce la parution prochaine du Journal d’un inquisiteur de Gilles Leclerc (« L’ironie au service de l’hérésie ») et on fait une publicité pour « Rythmes et couleurs » une revue parisienne dirigée par François Hertel (« représentant d’Atys à Paris »).