24 avril 2025

Langage 4 : j'aime la littérature, elle est utile


Michel Garneau, Langage 4 : j'aime la littérature, elle est utile, Montréal, éditions de l’Aurore, 1974, n. p. (32 pages)
.

Les poèmes sont numérotés de e à g. Encore une fois, la recherche stylistique est pour ainsi dire inexistante, le sens se développe en reprises et redites, et le langage se rapproche de l’oral québécois.

Malgré le titre, ce petit recueil déborde le sujet de la littérature. Toute la première partie porte sur l’appréhension du réel, ce que le premier poème exprime bien.

quand je travaille je rêve plus que d’habitude
rêves dans l’eau de la nuit
comme rêves dans l’air du jour
[…]

une belle grande partie de mon travail dans la vie
c’est rencontrer la réalité dans le rêve
et la même chose à l’envers
parce que j’écris
voyez-vous et ma vie et mon travail se rejoignent
de plus en plus

Tout comme le rêve, la poésie peut modeler le réel, le créer. Comme le voulaient les « poètes de la parole », il faut nommer les choses pour qu’elles existent :

j’aime la littérature elle est utile
j’écris avec espoir pour tous
dans notre espace littéraire
humblement je travaille à écrire
pour faire ma part dans l’éclaircissement du langage

qu’il devienne commun
c’est au plus haut de moi-même que je tends
en écrivant fraternellement
pour parler de nous
dans le je que je vis

Le poète n’est surtout pas un être isolé qui se contente de jouer avec les mots : Étrangement / c’est souvent dans le dit de nos rêves / qu’on rejoint la réalité des autres.

 

Michel Garneau sur Laurentiana
Lan ga ge, 1962
Langage I : vous pouvez m'acheter pour 69 cents,1972
Langage II : blues des élections, 1972
Langage III : l'animal humain, 1972
Moments, 1973
Langage IV : j'aime la littérature, elle est utile, 1974
Langage V : politique, 1974.
La plus belle île, 1975
Les petits chevals amoureux, 1977

Élégie au génocide des nasopodes, 1975, 1979

17 avril 2025

Langage 3 : l'animal humain

Michel Garneau, Langage 3 : l'animal humain, Montréal, La Fabrique, 1972, n.p. (18 pages).

Ce court texte contient deux parties que je résume à gros traits.

Dans la première, Garneau questionne notre rapport au temps. Il essaie de cerner ce qui fait la plénitude de l’existence. Il semble qu’il faut réconcilier le présent, le passé et l’avenir.

« de notre passé immédiat / nous vient notre perception de l'instant / et c'est d'elle que nous faisons / découler notre avenir / et l'avenir l'avenir de tout et /de tous duquel nous participons // on ne prépare pas l'avenir / on transforme le présent / et nous laissons le présent / nous transformer »

Dans la seconde, il se demande comment l’humanité en est arrivé à un tel cul-de-sac. Il questionne nos rapports avec la nature, avec la technologie, avec notre humanité et il essaie de trouver des pistes qui pourraient nous permettre d’avancer.

« l’ennui avec la technologie / c’est son inefficacité / parce qu’on la vit dans la peur / l’ennui avec l’animalité / c’est notre fuite devant elle / parce qu’on la vit dans la peur / l’ennui avec l’humanité / c’est notre échec qui s’énormise / à chaque instant / parce qu’on la vit dans la peur / l’ennui avec la peur / c’est que c’est une ignorance / une aliénation / et vaincre une aliénation / c’est le plus grand combat / celui de l’esprit avec l’esprit / notre force doit être dans notre animalité / notre force doit être dans notre humanité / notre force est dans notre imagination ».

Le texte est plus philosophique que poétique, comme en témoignent les citations.

Michel Garneau sur Laurentiana
Lan ga ge
, 1962
Langage I : vous pouvez m'acheter pour 69 cents,1972
Langage II : blues des élections, 1972
Langage III : l'animal humain, 1972
Moments, 1973
Langage IV : j'aime la littérature, elle est utile, 1974
Langage V : politique, 1974.
La plus belle île, 1975
Les petits chevals amoureux, 1977

Élégie au génocide des nasopodes, 1979

13 avril 2025

Langage 2 : blues des élections

 

Michel Garneau, Langage 2 : blues des élections, Montréal, La Fabrique, 1972, n.p. (24 pages).

Le titre parle de lui-même. Il s’agit des élections d’avril 1970, qui ont mené au pouvoir Robert Bourassa et ses « 100 000 emplois » : « on était une gagne devant quatre téléviseurs / chez fernand y'avait de la bière pis des chips / mais c'était pas plus drôle que ça / c'est-à-dire que personne riait ». Il nomme les partis en liste, le parti québécois faisant partie des « autres » : « sur l'échiquier truqué galopent les tristes picouilles / libérales les vieux poneys de l'union nationale / s'enfargent dans leurs propres jarrets le ralliement / credit-card continue de donner un sens tout croche / aux mots de la tribu les staphylocoques dorés du npd / s'ennuient de l'université / et les autres les autres c'est nous-autres / nous-autres on est au moins des chevreux ».

Il s’en prend ouvertement à Frank Hanley, à Peter Pan (Trudeau), à « Bourasse » « l’éconotechnocrasse ».

Pour le reste, c’est la déception et le questionnement : « je rêve d'un langage clair qui serait une rencontre // combien de fois encore jouerons-nous / aux petits papiers truqués / jusqu'à quel écœurement serons-nous manipulés // j’en ai mon voyage / de me voter des nuits de quatre ans // notre non-violence / finit / par être / violence / contre nous-mêmes ».

« Un jour / nous serons / assez nombreux / pour vaincre / même la violence ».

 

Michel Garneau sur Laurentiana
Lan ga ge
, 1962
Langage I : vous pouvez m'acheter pour 69 cents,1972
Langage II : blues des élections, 1972
Langage III : l'animal humain, 1972
Moments, 1973
Langage IV : j'aime la littérature, elle est utile, 1974
Langage V : politique, 1974.
La plus belle île, 1975
Les petits chevals amoureux, 1977
Élégie au génocide des nasopodes, 1979

11 avril 2025

Langage 1 : Vous pouvez m’acheter pour 69c


 Michel Garneau, Langage 1 : Vous pouvez m’acheter pour 69c, Montréal, La Fabrique, 1972, n. p. (30 pages).

Michel Garneau, entre 1972 et 1974 va publier cinq petits livres très modestes (10,5 x 19 cm); on dirait  des fascicules, si ce n’était du papier de qualité. Leur titre est tout aussi modeste : de Langage 1 à Langage  5.

Dans Langage 1, le ton est très différent de celui dans Lan ga ge. Il faut dire que 10 ans ont passé (si on excepte sa contribution au collectif Le pays) et que Garneau s’est retrouvé en prison pendant la Crise d’octobre en 1970. Dès les premiers vers, il apostrophe le lecteur : « la vie est une braise de beauté / et si vous croyez la braise douce / prenez-la donc entre vos doigts / envoyez prenez-la bande de lâches ». Il ne faut pas croire que Garneau s’attaque aux autres, car ces « autres », c’est aussi « lui » : « parfois je ne peux pas regarder mes amis en face tant ils me ressemblent / tant vraiment je leur ressemble / et même l'amour dont je me suis ébloui / et dont j'ai été d'une fierté naïve / et même l’amour prend le chemin de tout le monde / dans l'échec et le rejet ».

Malgré sa colère, il ne se place jamais au-dessus du lot. Il remet en question sa (notre) façon de vivre, sa (notre) complaisance :

c'est moi que je refuse
moi et mon envie d'être aimé
moi et mes crasseuses obsessions sexuelles
nourries aux expressions des vôtres
moi et mes commerciaux lubriques
et mon voyeurisme cinématographique
moi et ma gluante ivrognerie
quand je n'ai plus la force que ressembler
et que je mouille le feu de mon énergie
moi disc-jockey de la poésie gentille
moi le québécois    prévu

Garneau manifeste bruyamment son urgent besoin de sortir des cases dans lesquelles il s’est (on l’a) enfermé, y compris en ce qui a trait à la poésie. Sans donner dans le joual, le langage utilisé se rapproche du québécois.

Michel Garneau sur Laurentiana 
Lan ga ge, 1962
Langage I : vous pouvez m'acheter pour 69 cents,1972
Langage II : blues des élections, 1972
Langage III : l'animal humain, 1972
Moments, 1973
Langage IV : j'aime la littérature, elle est utile, 1974
Langage V : politique, 1974.
La plus belle île, 1975
Les petits chevals amoureux, 1977
Élégie au génocide des nasopodes, 1979