19 juillet 2024

Or le cycle du sang dure donc

Raoul Duguay, Or le cycle du sang dure donc, Montréal, Éditions de l’Estérel, 1968, 97 p. (3 illustrations de Jacques Cleary)

Le recueil compte cinq parties : donc blues pour l’homme total à totems de - après les dieux de chair après - or psaume pour une putain car - et l’ève seconde et - or le cycle du sang dure donc.

Duguay est un philosophe qui cherche les causes et les finalités. Il se tient derrière les faits et gestes, les apparences et les façades. Ses poèmes se meuvent entre la philosophie, la biologie et la religion. L’amour entre une femme et un homme, cela va au-delà de l’érotisme, ils assurent la pérennité de la vie.

Il reprend un peu là où nous a laissés Ruts. Au départ, le focus est mis sur la femme et sa sexualité. Bienheureuse est la femme qui reçoit l’homme en elle, alors que « la vierge enfante le vide en elle », cette malheureuse que « jamais le baiser ni le halètement ne réchauffent [les] chairs ». La femme qui enfante, c’est le « cycle du sang qui dure ». Malgré les guerres, les destructions, l’instinct de vie finit par émerger.

« Après les dieux de chair », vient la parole car la vie se perpétue à travers la pensée, le poème : « visionner en l’Homme le / temps de sang l’espace de / chair vivre ne sert / qu’à éterniser son souffle en l’Homme par le / geste du verbe ».

Suit le « psaume pour une putain » : « tu dénoues la vie en chaque chair courbe et / serpentine ». Le Christ, s’il n’avait pas été « roi de l’esprit », aurait choisi la crevasse de [s]on corps pour enfanter son royaume de chair ». Même la putain participe au « cycle du sang qui dure ».

« Dans l’ève seconde », partie pleine de références religieuses, il réécrit en quelque sorte l’histoire de la naissance de l’Homme depuis le jardin d’Éden jusqu’à la mort du Christ sur la croix : « mange le fruit sacré qui te vient du / Père et qui se multiplie par / l’Esprit oublie tes yeux en / guise de lampions dans la nuit et ne parle plus que / d’amour à ceux qui te / crucifient ».

La dernière partie nous ramène à la première : l’homme et la femme qui font l’amour, le « cycle du sang qui dure » :

or l’aimée la belle trop pleine pleine de sang blanc le
change en chair blanche [(le vin vif en
pain) car il est dit que toute femme peut
(avant que l’ange ne l’appelle) nourrir le
christ le vrai celui qu’un homme sème avec sa
verge avec son verbe et celui qui apprivoise la
Colombe (mais ici les colombes sont
rouges)] car le cycle du sang dure donc donc donc

 

Comme on le voit dans ce poème, Duguay pratique toujours une coupe des vers assez déconcertante par moments. Et il a ajouté les propositions entre parenthèses, elles-mêmes encadrées de tirets à l’occasion, comme s’il n’arrivait pas à contenir sa pensée.

 

Raoul Duguay sur Laurentiana

Ruts

Or le cycle du sang dure donc

Lapokalypso

12 juillet 2024

Ruts


Raoul Duguay,
Ruts, Montréal, Éditions Estérel, 1966, 90 p.

Le recueil est dédié à Denise.

Ce qui retient d’abord l’attention, c’est la disposition des vers, souvent en escalier. En outre, ile s’enchaînent souvent par enjambements et même, parfois, par la coupe d’un mot sans utiliser de tirets. Autre singularité de la poésie de Ruts : Duguay crée un lien syntaxique entre les strophes d’un même poème.

  

Dernière particularité qu’on perçoit mieux à l’oral : il répète certaines syllabes comme s’il voulait rendre aux mots leur musicalité ou encore imiter le rythme syncopé du Bebop (rappel : Duguay est musicien). Le recueil est peut-être davantage influencé par le formalisme que par la contre-culture.


 


L’amour et l’érotisme, le plus souvent de concert, parcourent tout le recueil. Duguay n’étant pas Vanier ou Geoffroy, l’amour physique est aussi tendresse amoureuse. Parfois, il se permet l’humour, comme dans le poème « Entre deux seins ».

Son recueil comprend cinq parties : résurrection du corps, de l’éros à la mort, journelles, reliques, désame du pays etChacune décline différemment le thème amoureux en passant de l’amour fou à l’amour-femme-pays, en passant par la recherche, les tâtonnements, la découverte, la déception, la peine, la libération amoureuse.

En 1967, Raoul Duguay et Walter Boudreau fondent L’Infonie, un groupe hors-norme qui marie plusieurs arts (musique, poésie, danse…) et dont les spectacles prennent la forme du happening. Sa participation très voyante à la Nuit de la poésie, en 1970, et le succès de la Bittt à Tibi ont pu laisser la fausse impression qu’il n’était qu’un amuseur public. Il suffit de lire ses poèmes pour prendre la mesure du personnage. 

5 juillet 2024

x

Michel Beaulieu, X, Montréal, l’Obscène Nyctalope, 1968, n. p. [32 p.] (livre non relié, tiré à 60 exemplaires, 4 cahiers sous couverture rempliée).

Une lecture d’une dizaine de minutes tout au plus.

En 27 petites séquences, titrées de « a » à « z », le narrateur décrit sa rencontre avec une inconnue et leurs ébats sexuels.

EXTRAITS

q

Derrière elle, je regardais ses cuisses fermes l’une après l’autre, marche à marche, relâchées l’une après l’autre, le balancement des fesses l’une contre l’autre et le pli de la robe entre elles, la taille cambrée, à peine devinée, avec la seule envie d’y porter la main de nouveau, de la glisser de nouveau entre les cuisses vers les nymphes et leur sommet innervé.

r

La porte refermée, elle s’étendit sur le tapis du salon.

  Prends-moi, dit-elle.
  Pas encore.
  Ne me fais pas attendre.
Puis, après plusieurs secondes:
  J’ai envie de me goûter.
Je retirai mes doigts d’entre ses jambes et les lui tendis.
  Non. Pas comme ça.

s
Je me déshabillai, m’agenouillai près d’elle.
—  Étends-toi.
Elle me caressait du bout des doigts, enduisant de sperme le ventre et le haut des cuisses.
Je bandai de nouveau.

1 juillet 2024

Être ange étrange, érostase

Louis Geoffroy, Être ange étrange, érostase, Montréal, Éditions Danielle Laliberté, 1974. 138 p. (Couverture : Roger DeRoches d’après un dessin d’Emmanuelle Septembre; illustrations d’Emmanuelle Septembre)

(J’ai souvent lu le recueil en diagonale.)

Voici un deuxième livre que Geoffroy consacre presque en entier à Emmanuelle Septembre. Cette fois-ci, ce sont des récits dans lesquels l’action est bien mince et le discours poétique omniprésent. Le recueil contient trois parties. Dans la dernière, la femme aimée est devenue « ELLE ».

L’action se passe à Montréal, mais aussi à New York où ils assistent à un concert des Grateful dead.  La sexualité est omniprésente, sans qu’il y ait de vulgarité. La drogue et surtout la musique (Mingus, M. Davis, Ray Charles) sont sources d’inspiration et, le plus souvent, accompagnent les ébats sexuels.

Geoffroy adore Emmanuelle Septembre, il le répète. On dirait que son discours n’arrive pas à cerner cet attachement, d’où les multiples reprises. Il aime son corps, sa beauté, l’érotisme qu’elle dégage, une certaine indépendance qui la rend attirante. Il voudrait littéralement  la « posséder » : « écrire que tu as les plus beaux seins du monde alors que je ne connais pas les seins du monde, cependant le plaisir du livre du corps ne peut plus me saisir sans le dressement diaphane et subtil de ton mamelon couronné de foliacées noirâtres, prolongement de ton pelvis, te souviens-tu de cette gravure de Léonard de Vinci et la chaîne nerveuse prolongeant le clitoris jusqu’au bout du sein où je me perds en caresses alors que ma tendresse devient possession, je voudrais t’arracher les seins, t’arracher le corps pour l’avoir toujours près de moi et je voudrais t’arracher l’intelligence pour l’avoir toujours près de moi. »

Au fond, Geoffroy focalise davantage sur sa propre sexualité, ses fantasmes, son « cerveau-sexe » hyperbolique :

« Mon sexe en réaction nucléaire se dresse comme le télescope du Mont Palomar ou une batterie de fusées 1CBM Sprint vers le ciel où je la vois tourner et le plus petit mouvement d’elle peut me faire dégorger toutes les énergies amassées, je demeure dur comme un granit artistique et aussi fragile qu’une délicate statue de marbre tout le temps qu’elle passe là-haut et que du bas, absorbant le même carburant pour essayer d’éprouver les sensations qu’elle connaît, je la regarde évoluer comme un condor charognard en vol rectiligne. » (p. 35)

« Je la vois les jambes écartées par-dessus la ville, comme le ciel, le sexe ouvert pour tous les gratte-ciel-phallus et dans Greenwich Village au début d’une nuit à l’hôtel Valencia sur St-Mark’s Place, au coin de la Troisième Avenue, je la regarde agir, je vois New-York se transformer en ville humaine, les briques devenir cellules protoplasmiques, en fait, transmutation de pouvoir, je me sens devenir New-York pour pénétrer son ombre au-dessus de moi, l’avion qui m’a emmené à La Guardia lui caresse le front. » (p. 83)

« Oh, son long corps mince et ces seins volcaniques, je lui lance mon cerveau-sexe au-dessous du volcan pendant que ses poils frissonnent autour des cratères, et ce sexe univers, voie lactée et toutes galaxies dans un seul liquide, profondeur de sa mince fente jusqu’au septième ciel et aux quatre dimensions et ces jambes-rayons de tous les soleils de midi et de minuit, que j’aimerais devenir la peau autour d’Emmanuelle. » (p. 95)

Il cite Beauté baroque de Gauvreau. Chez ce dernier, la femme aimée était un être complexe qu’on découvrait petit à petit. J’ignore qui était Emmanuelle Septembre et je ne le sais toujours pas à la fin de ce recueil.

28 juin 2024

LSD, voyage

Louis Geoffroy, LSD, voyage, Montréal, Éditions Québécoises, 1974, 58 p. (Coll. Poésie 0) (Illustrations de Jean Lepage)

Le recueil est dédié à Emmanuelle Septembre, dont la photo apparaît en couverture. Il est daté de 1974, mais il aurait été terminé en 1969. Geoffroy cite un passage de Georges Bataille en exergue.

Dans un texte très dense, dont les vers semblent se précipiter les uns contre les autres, Louis Geoffroy raconte son « amour fou » pour Emmanuelle Septembre, nommée à quelques reprises dans le texte. Malgré quelques coupures, engendrées par la présence de quelques photos et des illustrations de Lepage, le texte est continu. Le titre et quelques passages nous laissent penser qu’il a été écrit sous l’effet de l’acide.

Cet amour fou (Geoffroy emploie l’expression) n’a rien d’éthéré, on pourrait même parler d’un  violent corps à corps érotique : « je te piétine de mon amour / je te foule au pied de ma tendresse / je te botte de ma communion de toi / je te tue de ma vie / et de long en large avec frénésie je t’ouvre le sexe à coups de hach pour que tout mon corps y pénètre mon âme me regardant agir sans remords / j’ai la violence de la soif / et ta photo / la photo de toi qu’est ton corps ne suffit plus aux papilles monstrueuses qui m’envahissent le cerveau ». Comme le veulent les artistes de la contreculture, le sexe est un des moyens d’accéder à l’extase qui pousse l’humain au-delà de ses limites : « Emmanuelle / … / l’Empire State Building c’est ma queue que je plante en toute ouverture vers la connaissance de moi et de toi / vers la connaissance du monde échevelé ». Ou encore : « mon âme quitte mon corps sept fois pour retrouver le grand Manitou de son esprit ». Mais cette sexualité débridée est aussi une forme de révolte contre la société bien pensante : « à moi la violence / à moi les cris / spations / fermement décidé à gémir de toutes mes cambrures / fermement décidé à colorer les archétypes déformés de ta vie quotidienne / fermement décidé à demeurer fermement décidé outre mesure avec excès ». Contrairement aux activistes sociaux, il croit que la libération de l’individu (et donc de la société) commence par la liberté sexuelle : « Et la liberté s’est mise à naître ».

En plus de Bataille, il cite les Fugs, les Doors, Procol Harum, Albert Ayler, Andy Warhol, Godard (Anticipation), bref des artistes de la marge.

Je cite les derniers vers du recueil en guise d’extrait :

L’acide était bon cette fois-ci Emmanuelle où regarde-moi m’avancer avec les mains moites de tendresse pour découvrir que jeu violet de tes yeux

est-ce qui me reste d’acide

la musique de ton corps ouvert me défait bribe par brique


Louis Geoffroy sur Laurentiana

Les nymphes cambrées

Empire States. Coca cola blues

Totem. Poings fermés

Max-Walter Swanberg



 

25 juin 2024

Max-Walter Swanberg

 

Louis Geoffroy, Max-Walter Swanberg. Conte érotique, Montréal, L’obscène nyctalope, 1972, 41 p. (Le texte a été imprimé par André Goulet) (Les illustrations sont de Max Walter Swanberg)

C’est un tout petit livre (in-12 - 16 x 13 cm).

Max Walter Svanberg (1912-1994) est un peintre surréaliste suédois (pour en savoir plus) dont les peintures font une large part à l’érotisme. (Geoffroy écrit Swanberg au lieu de Svanberg).

Encore un recueil dont la date d’écriture précède de quelques années la parution. Il aurait été écrit en 1965. (Se peut-il que Geoffroy ait avancé quelques dates?) 

Une prostituée, ayant visité une Rétrospective de Svanberg au Musée surréaliste, revient chez elle et s’offre en spectacle dans la vitrine (comme un tableau) aux clients du bordel :

« Les peintures de l'exposition conservaient leur emprise hypnotique et incantatoire, dans sa mémoire et son âme, continuaient à créer de plus en plus profondément comme de plus en plus subtilement, avec fragrance, le malaise du beau, de l'ésotérique et par là même, grâce à ce malaise, le décor, le domestique, le réel et vrai, le quotidien, dans son esprit aéroforme, par la magie de l'impression intellectuelle, dans cet univers pictural où elle se complaisait avec volupté, devenait ésotérique. Il se formait en elle la certitude que plus tard, par la fenêtre laissée ouverte, entre les rideaux opaques et écartés, comme ses bras pour accueillir le corps et les épaules du bien-aimé, entrerait l'homme dressé dans sa chair; elle en sentait la présence, si elle ne le voyait pas, et sa chair à elle-même se dressait. » (p. 21-22)




Louis Geoffroy sur Laurentiana

Les nymphes cambrées

Empire States. Coca cola blues

Totem. Poings fermés

23 juin 2024

Compagnon des Amériques (bis)

Bonne Saint-Jean!

Le mot « patrie », qu’on retrouvait à toutes les sauces dans notre histoire littéraire, a été remplacé par le mot « pays » autour des années 60.

« Patrie : Communauté politique, nation à laquelle on appartient ou à laquelle on a le sentiment d’appartenir. » (Antidote)

On ne l’entend plus.  Serait-ce parce qu’il traîne les vieilles connotations du nationalisme canadien-français à saveur religieuse ? Ou son étymologie est-elle devenue dérangeante (du latin « patria » pays du père ») ? On disait aussi, si je me souviens bien, peut-être pour compenser, « notre mère patrie ».

Miron, notre grand poète national, l’emploie encore dans « Compagnon des Amériques », un poème dont la première mouture date des années 50. Ici, la version publiée à L’Hexagone en 1993.

COMPAGNON DES AMÉRIQUES

Québec ma terre amère ma terre amande
ma patrie d’haleine dans la touffe des vents
j’ai de toi la difficile et poignante présence
avec une large blessure d’espace au front
dans une vivante agonie de roseaux au visage
 
je parle avec les mots noueux de nos endurances
nous avons soif de toutes les eaux du monde
nous avons faim de toutes les terres du monde
dans la liberté criée de débris d’embâcle
nos feux de position s’allument vers le large
l’aïeule prière à nos doigts défaillante

la pauvreté luisant comme des fers à nos chevilles 
mais cargue-moi en toi pays, cargue-moi
et marche au rompt le cœur de tes écorces tendres
marche à l’arête de tes dures plaies d’érosion
marche à tes pas réveillés des sommeils d’ornières
et marche à ta force épissure des bras à ton sol

mais chante plus haut l’amour en moi, chante
je me ferai passion de ta face
je me ferai porteur de ton espérance
veilleur, guetteur, coureur, haleur de ton avènement
un homme de ton réquisitoire
un homme de ta patience raboteuse et varlopeuse
un homme de ta commisération infinie
          l’homme artériel de tes gigues
dans le poitrail effervescent de tes poudreries
dans la grande artillerie de tes couleurs d’automne
dans tes hanches de montagne
dans l’accord comète de tes plaines
dans l’artésienne vigueur de tes villes
dans toutes les litanies
          de chats-huants qui huent dans la lune
devant toutes les compromissions en peaux de vison
devant les héros de la bonne conscience
les émancipés malingres
          les insectes des belles manières
devant tous les commandeurs de ton exploitation
de ta chair à pavé
          de ta sueur à gages
 
mais donne la main à toutes les rencontres, pays
toi qui apparais
          par tous les chemins défoncés de ton histoire
aux hommes debout dans l’horizon de la justice
qui te saluent
salut à toi territoire de ma poésie
salut les hommes et les femmes
des pères et mères de l’aventure

Pour connaître l’histoire de ce poème.

18 juin 2024

Totem poing fermé

Louis Geoffroy, Totem poing fermé, Montréal, L’Hexagone, 1973, 59 p.

« Louis Geoffroy appartient à cette nouvelle période de la littérature québécoise qui s’est dessinée vers les années 1965-66 et dont l’éventail des tendances, en poésie, va de la poésie-langage à la poésie-expérience.

Dans Totem Poing Fermé, il libère une immense poésie hétéroclite, où percute la vie moderne nord-américaine sur la toile de fond d’une époque en devenir avec ses chevauchées d’idéalisme, de passions, de sexe, de gadgets et de révoltes, et où catapulte l’émergence du phénomène québécois.

C’est une œuvre audacieuse qui charrie emmêlés le meilleur et le pire: à prendre ou à laisser. Un lexique baroque. Un discours multiple et baroque itou. Violence et tendresse. Une torrentielle ferveur même dans le trivial. La chaotique nécessité de naître à demain. » (Quatrième de couverture)

Encore une fois, un livre qui rassemble des poèmes écrits antérieurement.


BAGATELLES POUR UN MASSACRE (1964)

Cinq poèmes pour décrire un monde apocalyptique. Le mort de l’humanité annoncée : « fauchées / fauchées / elles se sont couchées sans pudeur / molles / flasques / et les mots durs giclent de partout batouque de mon corps ».

MÉDITATIONS (Mai 1968)

Contrebasse, saxophone, flûte, piano et batterie : cinq instruments de musique et une suite d’impressions discontinues qu’ils lui inspirent. Ainsi pour la flûte : « ô douleur de la beauté de ton corps musique / mon sexe est ta flûte rouge où tu siffles un blues / pendant que je m’élève vers des concepts d'absolu et d’éternité // ô beauté de la douceur de tes lèvres ».

LA VICTOIRE AUX POINGS NOIRCIS (1968-69)

Long poème décousu, suite de vers garrochés les uns après les autres, où on sent le désarroi, la peur, une tension difficile à affronter. « lundis désolants où s’arrêtent les joies de courir en proie / les minutes véhiculent les carnets de bals sommaires / et la robe animale luit de ses feux chatoyants / comme une autre saison aux prémices de la feuille / parallèles dansent verticalement aux orifices secrets / les âmes déployées au velours de conduits souterrains // vous remettrez-vous jamais des valorisations tentées ».

HOMME ID-ENTITÉ (6 octobre 1969)

Suite d’images, davantage à portée sociale, que lui inspire le monde qui nous entoure mais aussi plongées dans l’histoire. Passages qui font référence au Québec : 

PETITE ENQUÊTE SOCIOLOGIQUE

ne pousse-t-il dans les mémoires que des arbres de hockey de presse de montréal-matin de minuit d'arctic power de beaux-sapins-rois-des-forêts-que- ta-verdure-nous-est-chère de mainn de camp-dans-le- nord de job stèdé pis de bon boss de pierre lalonde et michèle richard d’agent X-13 de chanteur-français-à- la-belle-gueule-vantée-par-jacques-matti-et-michel-girouard de briques rouge et de petits jésus de vierge marie à saint-bruno et de crédit social à Ottawa de dany aubé à musique-aux-rameaux cochoncetés à qui mieux mieux d’expos cosmomorphiques de tampax sur les cordes à linge de beurre de pinottes et de fèves aux lard à la madame x?

répondons franchement avant que l’éternité ne m’entraîne dans des spéculations moroses.

disons-nous que nous devons retourner à confesse pour mieux baiser les émoluments distingués et hebdomadaires que la beauté du diable nous donne en pâture.

âme ma belle âme ne vois-tu rien venir?

15 juin 2024

Empire State. Coca Blues

Louis Geoffroy, Empire State. Coca Blues : triptyque 1963-1966, Montréal, Éditions du Jour, 1971, 75 p. (Coll. Les poètes du Jour)

Les poèmes d’Empire state. Coca blues auraient été écrits entre 1963 et 1966. Louis Geoffroy étant né en 1947, on peut dire que ce sont les poèmes d’un grand adolescent.

Selon Geoffroy, son recueil comprend trois volets, en fait quatre puisque le premier en contient deux.

Empire state. Coca blues (1963) — Le premier vers donne le ton « je me saoule à la banane » et l’effet de cette saoulerie est exploréen : « et je bitube / et tibute / surtout dans des mots comme dans un bloc / de tibume ». Le deuxième poème commence ainsi : « j’ai lu quelque chose / sur le peyotl » et l’effet ici aussi est surprenant : « au paradis terrestre de ton con / il n’y a plus de soleil ». Au-delà du sexe et de la drogue, il y a New York et une certaine conscience sociale : le procès qu’on a fait à Henry Miller, la mort de Malcolm X.

Miss Emma blues (1964) — En trois motifs : le jazz, Kerouac et la nostalgie (le blues) d’un amour perdu. « le pianiste noir / ressemblait à tes cheveux / et ses triolets be-bop en cascade / riaient comme tes dents / la musique glissait / longue et légère / sur mon corps ».

Lamourlanimale (1965-66) — Le premier poème s’intitule « L’obsession sexuelle ». Le sexe est souvent violent et associé à la mort : « j’arrache l’écume et me coule sur ton corps lave volcan satanique / jazz sur le sable sur un mont de chair je me coule et te tue / d’un seul coup / pour dans le plaisir nu y mourir aussi / que ton amour est sanguinolent de mon corps ! »

Livre-amour (1966) — Un long poème d’amour, plein de bruits et de fureur : « toi oh oui toi que j’aime seule drogue nécessaire à m’intoxiquer sans fin me barbiturer me construire ». Ou encore l’érotisme comme moyen de briser toutes les barrières, d’habiter pleinement le monde qui nous entoure :

« écarte tes jambes je veux aller jusqu’à tes pensers de moi ou d’ailleurs
écarte tes jambes je veux t’enlever des épaules le fardeau brûlant de passés ésotériques
écarte tes jambes je veux m’enfoncer en ta ville y lancer toutes les projections esthétiques d’images de nous d’anticipations de nous
écarte tes jambes que je te remplace par mon sexe l’espace et le temps d’un temps et d’un espace sensoriel te retrouver ensuite un peu plus enfoncé en toi toi m’ayant absorbé un peu plus
et tes yeux pour dessiner sur tous les tableaux du monde leur utilité devant nos yeux
et tes mains pour me retenir de mourir et ton amour pour me retenir de mourir
ET TON AMOUR POUR VIVRE »

12 juin 2024

Les nymphes cabrées

 

Louis Geoffroy, Les nymphes cabrées, Montréal, L'Obscène nyctalope, 1968, n. p.
(livre non relié, tiré à 80 exemplaires, 4 cahiers sous couverture rempliée).

La poésie de Geoffroy dit peu de choses, tout est dans l’effet qu’elle veut produire (On est en 1968). Il est évident qu’il veut transgresser des interdits (ou du moins malmener une idée qu’on se fait de la bienséance dans les rapports amoureux) en décrivant de façon crue sa sexualité, une sexualité dépouillée de tout romantisme, au ras de la peau, du côté des fluides et des odeurs. « viens chercher mes odeurs diaphanes / et l'entremêle de chemises vaines / poussiéreux l'oubli vomit tout / mes lèvres tentent les saveurs séminales ».

La femme est présentée comme un objet sexuel : « tes maudites belles cuisses la / route qui serpente / je viens de fracasser un arbre / aux pylônes en désinvolture / et j'agrippe la corde raide / pour sauter vers ta bouche terrassée / de verdure ». Le discours n’est pas toujours subtil, comme le veut la pensée contre-culturelle : « soyons logiquement plat avec nous même / et dans ma quête de ton âme / je te regarde chier les facondes odorantes / que la mer regarde / s'emporter et bramer plus que de / coutume ». De temps à autre le propos déborde du champ de la sexualité… mais si peu : « j'ai le Québec dans la poche moi / New-York dans la prostate / mon cœur c'est Cuba / et le F.L.Q. me fait bander ».

Geoffroy se permet la liberté des surréalistes : son discours est souvent discontinu et gratuit. Voici le dernier poème du recueil.

ah cibouère que ma queue dans ta queue
que ton con dans mon con
sont les éclairs de l'immortalité
que je recherche enfin comme le carton
rouge

Geoffroy sur le Net

Louis Geoffroy, à tombeau ouvert | Le Devoir

Lafrenière & Poésie

8 juin 2024

Le repas est servi

Claude Péloquin, Le repas est servi, Montréal, Chez l’auteur, 1970, 125 p. (illustrations des couvertures : Robert Rondeau et Antoine Désilets)

J’ai lu et relu le recueil en diagonale. 


Péloquin nous sert de courts essais et même parfois des « pensées ». À vue d’œil, ce qui occupe son esprit, ce sont le français normatif, la folie, les femmes et, surtout, la mort (au sens existentialiste). Il rouspète contre tout ce qui est contraignant, normatif, pondéré. Il se désole que la plupart des gens se contentent d’une vie rapetissée. Comme dernière phrase, il nous ressert son « Vous êtes pas écœurés de mourir, bande de caves, C’EST ASSEZ! »

 

Claude Péloquin sur Laurentiana

Jericho

Manifeste infra

Les essais rouges

Les mondes assujettis

Le repas est servi