Michel Beaulieu, Charmes de la fureur, Montréal, Éd. Du jour, 1970, 75 p.
Le formalisme d’Érosions est presque disparu dans Charmes
de la fureur. Bien qu’ils ne s’approchent pas d’aussi près du réel et
soient moins narratifs, quelques poèmes annoncent le Beaulieu de Kaléidoscope
(1984). Il a cessé d’expérimenter, de chercher
l’inspiration dans les différents mouvements qui marquent les années 60-70. Il
écrit une poésie plus intime, du moins une poésie dont il est le sujet
principal, observateur et acteur. Il ne faut pas s’attendre à de grandes
effusions lyriques ou à quelques fulgurants désespoirs. Tout est dans la
manière, dans la « voix » et surtout dans l’approche. Une fine
sensibilité au monde immédiat mais aussi des impressions, des observations, parfois
quelques anecdotes, et bien entendu le « ressenti » seront le
matériau du poème. Allons y voir de plus près.
On dirait que le poète marche sur la ligne du temps en
essayant de retenir un peu de cette vie qui coule, insaisissable :
« ne vous méprenez pas ne vous méprenez plus / tout passe les glaces et
les aiguillons / que l'on dédore ou redore les blasons / l'heure tue avec la
précision des miniatures / l’espace délave ses attaches poudroie s’épand ».
Peut-être que l’écriture donne du poids au réel, comme si le poème attestait de
son existence : « je t’écris ces mots en volets contre la fenêtre / cette
nuit quand la pluie battra la vitre / souviens-toi de me répéter sur les lèvres
/ les mots mêmes que je t’écris ». Même le moment de l’écriture, il
essaie de le capturer : « si peu de temps coule entre les pages / si
peu de temps pour tant d’échéances / qu'il fallait le saisir au piège des
doigts ». Rien n’est jamais assuré, rien
ne dit que les mots réussiront à traduire fidèlement ce que le regard a
perçu :
on perd la mesure quand s’effrite l'os
les couleurs entre elles se neutralisent
on voit gris l’asphalte noir
on le sait la partie se joue en-dedans
sur le sable de nos arènes particulières
Il est bien évident que cette bataille est perdue d’avance,
ce dont le poète ne doute pas :
qui se souviendrait tout à fait
de ton visage contrefait
si je regarde une photographie
je sais qu'elle te ressemble à peine
qui se souviendrait tout à fait
dans le cercle des jours des semaines
de ton visage tes mains tes yeux
ils disparaissent avec les rumeurs
avec les couloirs des labyrinthes
Ce recueil m’a rappelé Sisyphe et son rocher. Un sentiment
d’impuissance émane de cette poésie. Rien n’est jamais acquis, on dirait
un éternel recommencement. On rencontre un être en retrait qui essaie de
s’accrocher à la vie, au réel et qui y parvient difficilement. Le dernier vers
du recueil : « Cou tranché dans les gorges de la ville » est assez dramatique.
La poésie de Beaulieu évolue vers la sobriété et un certain
détachement (son « tu »). Il faisait, en 1970, le pari de la poésie
intimiste, poésie qui deviendra la norme dans les années 1980.
Michel Beaulieu sur Laurentiana
Le pain quotidien
Trois
Érosions
Charmes de la fureur
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