30 juin 2023

Au temps des violettes

Marie Ratté, Au temps des violettes, Beauceville, L’éclaireur, 1928, 109 p.

Marie Ratté (1904-1961) a publié ce recueil de poésie et un roman, Les fils de Mammon. Compte tenu de son époque, on pourrait dire que cette femme a eu un parcours plus qu’intéressant. Née à Baie-des-Sables, elle a vécu l’essentiel de sa vie à New York et même une année à Paris pour étudier à la Sorbonne. Pour en savoir plus, consultez ce site.

 

Elle a 24 ans lorsqu’elle publie Au temps des violettes qu’elle dédie à ses parents. Ginevra (Georgiana  Lefebvre), avec qui elle a  collaboré au journal Le Soleil, signe une courte préface. Si on se fie au propos du poème liminaire, le recueil est davantage du côté de la lumière que de la noirceur. Il est divisé en « Violettes bleues » et en « Violettes blanches ».

 

Les violettes bleues

L’autrice, très jeune, découvre la poésie. Celle-ci sera pour elle un moyen d’appréhender et de dire le monde. « Comment pourrais-je te décrire / Archet puissant du coeur humain ? » On découvre rapidement une jeune femme, ardente et passionnée, qui attend beaucoup de la vie : « Et la tête est en feu, et le coeur est brûlant : / Qui donc empêchera le brasier du volcan ?  / Qui donc empêchera la verdure au printemps. / Et l’oiseau de chanter, et la sève d’éclore, / Et l’astre d’éblouir, et la raison sonore / De clamer la folie aveugle des vingt ans! » Tout au plus, à l’occasion percent quelques nuages vite balayés : « On dit, mais je ne puis le croire / Qu'un jour vient où le coeur est las / D'espérer, et qu’en sa mémoire / Il n'est plus de parfums, hélas ! » Un sentiment qui émane de plusieurs poèmes, c’est le reconnaissance, pour ses parents, pour Ginevra, pour son alma mater, pour la vie qu’on lui a permis de vivre : « Mon Dieu, qu’il fait bon vivre en ma chère maison / C’est ici l’oasis, où s'abrite la joie; / La paix et la douceur m’entourent à foison ». On lit aussi quelques poèmes moins personnels, d’inspiration terroiriste (le noble métier de laboureur, la transmission du bien paternel) et patriotique (l’amour de la patrie, de son histoire).

 

Les violettes blanches

La deuxième partie du recueil, d’inspiration religieuse, est beaucoup moins lumineuse. « En vain chercherait-on le bonheur ici-bas. / La souffrance est le lot, c'est une loi divine ». Heureusement, il y a Marie pour porter son espérance vers Dieu : « Je t’aime ô Vierge, ô reine, ô mère / Toi que l’Ange très saint révère / Et t’abandonne ma misère. // Et mes œuvres, mon avenir, / Seule tu peux toujours venir / À mon secours et me bénir ». L’autrice, après ses études chez les Ursulines, a vécu deux ans dans une communauté religieuse.

 

DOUCES FEMMES

Honneur à vous, vaillantes femmes!

Vous les anges de la maison,

Qui la gardiez des flots infâmes 

Et de l’ingrate trahison.

 

Vous savouriez les humbles tâches, 

Et ne rêviez rien d'aussi beau 

Que vos familiales attaches 

Et les poèmes du berceau…

 

Vos doigts savaient tirer l’aiguille, 

Auprès de l’âtre, bien souvent 

Vous reprisiez pour la famille 

Quand viennent la neige et le vent.

 

Le travail vous rendait joyeuses 

Vous aimiez d'un amour charmant 

La blanche laine floconneuse 

Joie et trésor du vêtement.

 

Salut à vous, femmes pudiques. 

Gloire à vos simples vêtements.

Ils avaient des grâces uniques 

Et vous seyaient infiniment.

 

Oui, gloire à vous, femmes bénies!

Par vous s’ouvrent les horizons 

Semence des joies infinies 

Qui s'abritaient en vos maisons.

16 juin 2023

Dans la brousse

Blanche Lamontagne, Dans la brousse, Montréal, Le Devoir, 1935, 215 pages.

En 1935, l’heure de gloire de Blanche Lamontagne était chose du passé. La poétesse de 46 ans continuait de publier ses poèmes, toujours un peu les mêmes. Ce recueil au drôle de titre sera son dernier.

Il compte quatre « chapitres ». Le premier est de loin le plus intéressant. On y trouve un succédané de l’œuvre de l’autrice. Je vais donc m’attarder sur celui-ci et ne signaler que brièvement les trois autres.

Dans la brousse commence par un hymne à la nature et au paysage de la campagne : « Que j’ai de joie à vous revoir, ô paysage ». Au plaisir de la campagne, elle oppose la triste vie en ville : « Ah! Comme je vous plains, ô tacherons des villes ». Le motif du chant, omniprésent dans son œuvre, resurgit ici et là : « Chantez, ô gais oiseaux cachés dessous les branches /… / Chantons le bois d’érable et la gerbe de blé. » Un autre motif cher à l’autrice, c’est celui de la maison : « L’humble toit qui brille au fond de la vallée / …/ évoque à mes yeux la jeunesse envolée ». Comme toujours, la vie paysanne est magnifiée : « Au champ, quand tout est mûr, le bonheur nous inonde ». Le pays, pour la poétesse, a souvent pour nom « village » : « Qui dira la langueur sereine du village ». Hommage est rendu aux aïeux : « Il me semble qu’il est resté / Quelque chose de leur présence / Qui respire l’éternité. » Sans oublier le Créateur : « Au fond, ce n’est que Vous, c’est Vous seul que je chante ».

Voici un aperçu des trois derniers « chapitres ». L’hiver, ses beautés, le temps des Fêtes ont inspiré Quand mon pays est sous la neige. L’humble vie relate l’histoire d’amour entre François et Louise. Enfin, dans Au Canada, mon pays, mes amours, la poétesse redit encore une fois son amour du pays, un amour qui convie peu les figures historiques mais qui souligne le lien viscéral qu’elle entretient avec la nature canadienne.

En guise d’adieu, voici son dernier poème.


Blanche Lamontagne sur Laurentiana :

Dans la brousse

9 juin 2023

Ma Gaspésie

Blanche Lamontagne, Ma Gaspésie, Montréal, s.e., 1928, 160 pages. (Dessins de l’autrice)

Comme c’est le cas des auteurs qui écrivent beaucoup, Blanche Lamontagne a toujours ressassé les mêmes thèmes.  Dans ce recueil, elle reprend le sujet auquel elle est identifiée et qui l’a beaucoup servie : la Gaspésie. Rappelons que l’autrice est née aux Escoumins sur la Côte-Nord. Elle y a vécu jusqu’à 8 ans (1889-1897). Son expérience de la Gaspésie, elle l’a acquise à Cap-Chat à la fin de son enfance et dans sa jeunesse.

Le poème liminaire, qui donne son titre au recueil, débute par ce quatrain très représentatif : « Fille du Saint-Laurent aux magiques contours, / C’est un pays de monts, de coteaux pittoresques, / Où les rochers, flanqués de parois gigantesques, / Voisinent la montagne aux gracieux détours. »

Dans la première partie, intitulée Les horizons, l’autrice raconte la vie gaspésienne, aussi bien celle qui se déroule sur l’eau que celle qui se déploie sur le rivage.  Il y a surtout des pêcheurs mais aussi des bûcherons et des paysans. On lit un poème sur le Rocher Percé et un autre intitulé « La Gaspésie, terre du silence » : « Terre silencieuse, ô belle Gaspésie, / Par le pouvoir divin entre toutes choisie / Pour être fière, pour être un sol de beauté, / Pour éveiller en nous l’instinct d’Éternité ». Pour le reste, l’autrice reprend ses motifs habituels : la jeune fille amoureuse d’un marin, la maison hospitalière, l’église comme lieu de rassemblement, le passage des saisons…

Dans la partie intitulée La forêt, on s’éloigne juste un peu du fleuve et on accompagne les bûcherons dans les bois, on rencontre des bêtes et à peu près toutes les espèces d’arbres. « Bouleaux au teint de nacre, ormes au ton de marbre / Bois féconds et cachés, tous nous étaient connus. » À travers le thème de la forêt, l’autrice exprime ses croyances religieuses, la beauté de la nature, sa crainte du progrès…

La dernière partie, Souvenirs, donne dans la nostalgie de l’enfance et de la jeunesse perdues, et surtout dans la tristesse de constater les ravages du temps, comme l’illustre le poème « Regrets » : 

Regrets

Je songe à ce passé qui fut le mien, naguère,
Au grand fleuve roulant son sillage argenté,
Je songe au vieux bateau dormant sur la rivière;
Je songe aux soirs vermeils, écrasants de beauté...

Je songe à ce passé baigné de solitude,
Aux courses du matin dans l’herbe des sillons;
À ces jours où je n’eus pour toute inquiétude 
Que de prendre en mes doigts les légers papillons...

Maintenant que mon rêve en son vol se déploie
Et que tout de la vie hélas! m’est découvert,
Je regrette ces jours d’innocence et de joie
Où je marchais, pieds nus, sur les bords de la mer!...

Je voudrais oublier le visage des foules 
Qui vont, portant le lourd fardeau de tous les jours, 
Et les pavés brûlants de la rue, et les houles 
De ces peuples obscurs qui cheminent toujours;

Je voudrais oublier ces fronts mornes et pâles 
Qui passent, tourmentés d’un éternel tourment;
Ce fard qui cache en lui les détresses morales,
Ce sourire qui pleure et ce rire qui ment...

Je voudrais revenir aux jours de ma jeunesse 
Où je n’avais rien vu de triste ni de laid,
Où, seule, rayonnait dans le jour en liesse 
La voile du bateau léger qui s’en allait...

O charme d’autrefois! O mer harmonieuse!
Matin réjouissant, midi vibrant et clair!
Je voudrais retrouver cette heure radieuse
Où je marchais, pieds nus, sur les bords de la mer !...
(p. 113-114)


Blanche Lamontagne sur Laurentiana :


       


4 juin 2023

Les trois lyres

Blanche Lamontagne, Les trois lyres, Montréal, L’action française, 1923, 129 pages (Illustrations de Berthe LeMoyne)

Si vous avez le moindrement fréquenté la poésie de Blanche Lamontagne, vous êtes en mesure de deviner quelles sont les trois lyres suggérées par le titre. Sans surprise, il s’agit de l’amour, de la famille et de la patrie. Chaque lyre donne lieu à une partie. 

L’amour est venu lorsqu’elle ne l’attendait plus : « Or, un beau soir, — c’était un de ces soirs d’automne, / Dont la sombre splendeur nous charme et nous étonne / Vers moi tu vins avec des larmes dans la voix, / Courbe sous le fardeau des rêves d’autrefois, / Posant sur moi tes yeux tout remplis de tendresse, / Tu murmuras avec un geste de caresse, / D’un regard où tremblaient la joie et le souci: / - C’est moi que vous cherchez; je vous cherchais aussi. » 

La famille, ce sont la maison natale, les souvenirs d’enfance, la Gaspésie, sa mère : « Des cheveux blancs ornant sa tempe, / Ta mère dans ce coin, sans bruit, / Reprisait le soir, sous la lampe, / Et cousait bien tard dans la nuit... / Lorsque la nuit, tissant sa trame, / Venait dans l'ombre tournoyer, / Ta mère, ange aux traits d’une femme. / Veillait sur son humble foyer... » 

La patrie de Lamontagne, contrairement à ce que l’on a si souvent lu, n’a rien à voir avec les figures historiques. Celle de Blanche Lamontagne tient davantage à la langue française, aux traditions qui se perpétuent, à la manière de vivre des campagnards : « La maison du colon fume sur les sommets... / Que tu me parais belle, ô maison des collines, / Blanche sur la verdeur des savanes voisines ! / Le ciel semble écouter ta respiration; / Tu règnes sur le cœur de notre nation... / Car c’est de toi, colon, que nous vient l’espérance / D’un avenir puissant, de cette survivance / Qui consacre une race au sein de l’univers, / Et fait un peuple fort devant tous les revers. »

 

Blanche Lamontagne sur Laurentiana :