29 novembre 2019

La littérature québécoise en Russie


Alexei Nikulin, un lecteur russe intéressé par la littérature québécoise, m’a envoyé quelques couvertures de livres québécois disponibles en Russie.

Avec sa permission, je le cite et je transmets les illustrations.

« J'étudie la littérature québécoise du 20ième siècle à l'Institut de la littérature mondiale de l'Académie des sciences de Russie (Moscou). Il y a trois ans, j'ai écrit une étude sur la poésie de René Chopin (Le cœur en exil exclusivement) à la faculté des lettres. »

« J'aime la littérature française, c'est pourquoi je cherchais un sujet d'étude qui pourrait être lié à cette littérature. Mais un sujet nouveau. Et j’ai pensé quelque chose comme ça : « Oh, bien ! C'est ce dont j'ai besoin - la littérature francophone, la littérature « du vieux Québec ». Après tout, qu'est-ce que c'est l'âme de la littérature? C'est sa langue.»

« Avec plaisir je vous envoie les photos des couvertures et des premières pages de livres québécois traduits en russe. Ce sont Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy, Salut, Galarneau ! de Jacques Godbout et Une chaîne dans le parc d’André Langevin. J’ai aussi quelques œuvres d’écrivains québécois en russe, mais tous ces textes sont contenus dans des recueils. Par exemple dans le recueil Histoire canadienne moderne (Moscou, 1985) on peut lire Poussière sur la ville de Langevin, Manuscrit de Pauline Archange de Marie-Claire Blais. »

Ci-dessous, vous verrez successivement Bonheur d'occasion, Salut Galarneau, Une chaîne dans le parc et Maria Chapdelaine.








22 novembre 2019

La mémoire innocente



Georges Dor, La mémoire innocente, Montréal, Éditions de L’Aube, [s.d. – 1956?], 60 pages (Préface d’Émile Legault)

« Il lance les Éditions de l’Aube. Pas à la manière d’un solitaire qui aurait besoin de s’admirer secrètement; plutôt comme un crieur de village qui veut alerter tous les moissonneurs, pour les inviter à partager avec lui la joie des blés, liés en bottes frémissantes ». À lire le père Legault, on a l’impression qu’on est devant un recueil du terroir. Rien de tel. Dor pratique la poésie intimiste. Il est vrai que tout cela est très simple, souvent dans le bon sens du mot, d’où sans doute la métaphore du moissonneur.

En simplifiant, disons qu’il y a deux types de poèmes chez Dor : ceux qui sentent le procédé et ceux plus inspirés. Dans la première catégorie on range ces poèmes qui emploient la répétition : « Tout est noir / Dans la mémoire // Tout est blanc / Dans le néant // Tout est bleu / … »  Mais on trouve aussi ce genre de petits poèmes courts, ramassés, bien tournés : « Un papier / Dans la rue / En forme de chat mort // Il neige / Une locomotive crie / Quelque part // C’est la nuit / Tout est blanc à s’y tromper // Vous souvenez-vous? »

Pour le reste, le poète essaie de se défaire d’une tristesse qui lui vient de son passé familial, mais aussi regrette ce qui aurait dû être cueilli et qui ne l’a pas été : « Efface lentement / Efface patiemment / Et recommence » Et encore : « Nous avons oublié / Dans les vergers d’automne / Tant de pommes aux pommiers ». Au fil des poèmes, on découvre un homme qui se cherche et son accomplissement semble tributaire de la présence d’une compagne : « Parce qu’au bout de moi-même / Au bout de tous les chemins / De moi-même / Je te trouve ».

Le recueil se termine par trois lettres écrites à une malade, lettres pleines de douceurs et de compassion. « Je veux vous aimer, vous aider et pourtant tout m’arrache à vous. Tout un monde s’ingénie à défaire le nœud de mon attention pour vous. La vie me réclame partout et l’oubli de votre malheur me poursuit. Le bonheur, mademoiselle, est une chose troublante, tant il y a de malheur sur la terre ».


15 novembre 2019

Ébauche d’un cri

Georges Larouche, Ébauche d’un cri, Jonquière, Édition Boréale, 1947, 142 pages.

Le recueil contient une préface et deux parties. La première n’a pas de titre et la seconde s’intitule « Décharge – Saguenay ». Les strophes sont généralement très courtes et plusieurs vers sont décalés.

Georges Larouche est connu comme le poète de Val-Menaud. Son recueil est très ancré dans ce lieu. En préface, il nous avertit que « puisqu’[il] ne peu[t] pas chanter / [il va] faire son possible pour crier », ce qui augure plutôt mal… Dans le second poème du recueil, « Rythmes divers », Larouche nous sert sa conception de la poésie. On pourrait dire qu’il décrit son recueil. D’abord, il n’aime pas les « esprits frisés », ceux et celles qui préfèrent « les dormants des /chemins de fer » à la liberté, tout ce qui tient de la mesure. Selon lui, rien ne sert de couper, il ne comprend pas qu’on puisse préférer « le lait condensé / au lait pur », il préfère la forêt à la pépinière, et il termine en répétant qu’il « n’aime pas couper un membre de son sujet / afin de la placer dans un / coffret! » Bref, il semble avouer que ses poèmes ne sont pas très travaillés, réfléchis, etc.

De quoi parlent ses poèmes? On peut imaginer un auteur, saisi d’émotion devant un paysage, et qui s’empresse de le coucher dans un poème.  Ça va de l’émerveillement le plus béat jusqu’aux détails les plus terre-à-terre.  Dans le poème « Orage », on lit : « Les éclairs sondent les montagnes / à jets de feu répétés »; on lit aussi : « Mon voisin Jean-Charles, / qui est habitué aux escapades / de ce grand, vaste et / merveilleux / ciel, / m’a déclaré n’avoir / encore rien / vu de pareil ». Tout n’est pas qu’émerveillements, loin de là! Le poète se bat contre la dépression : « Mon âme se maintient / presque tout le temps /  dans d’affreux tourments ».

Dans la deuxième partie, « Décharge » (l’ancien nom du village), l’inspiration est davantage portée vers le passé de son village, en partie disparu pour laisser la place à un barrage hydroélectrique. L’auteur, errant autour de la rivière maintenant harnachée, se fait porte-parole de celle-ci. Le ton est très lyrique, se veut même épique. Il s’agit de chanter un paysage plus grand que nature et seule une parole libre, capable de déverser le trop-plein, peut en rendre compte, semble nous dire Larouche.



8 novembre 2019

Nouveautés poétiques


Gilbert Langevin et al., Nouveautés poétiques, Montréal, Atys, 1958, n. p. (24 p.)

C’est le livre fondateur des éditions Atys de Gilbert Langevin. La plus grande part du recueil est consacrée au poète de Val-Menaud, Georges Larouche. Le recueil s’ouvre sur une étude de son œuvre (6 pages), signée Gyl Bergevin, hétéronyme de Gilbert Langevin. En fait, c’est moins une étude qu’une apologie de Georges Larouche. Langevin essaie de montrer que sa poésie est moderne et universelle. Disons que la démonstration n’est guère convaincante. 

À la suite de cette étude, on lit onze poèmes de Georges Larouche.  Voici quelques vers de « L’eau bizottée par le vent », écrit en 1949, à Val-Menaud : « L’eau bizottée par le vent / remontait le noir courant; / aucun flanc sombre / ne se baignait dans l’ombre / de l’eau / de Val-Menaud. / Une légère buée bleue / liait la terre aux cieux / et des nuages à forme d’œufs poilus / flottaient sur les crêtes à travers la nue ». Oui, des œufs poilus…
Pour le reste, on lit un poème de Roger Langevin primé au Premier grand concours poétique du Saguenay, un poème en prose de René Taillefer, un poème-texte-de-chanson de Xristian Larsen, un poème de Réal Ouellet, quatre courts poèmes de Réjean Lavoie D’Auteuil, un poème de Jean-Claude Hébert et un de Gyl Bergevin. Aucune de ces oeuvres ne mérite qu’on s’y attarde trop. 

La mise en page est très sommaire. Les marges et les interlignes se resserrent à l’occasion, comme si chaque texte devait tenir sur une page. 

Pour un bibliophile, la valeur de ce livre tient aux faits qu’il est le premier des éditions Atys et que c’est la première apparition de Gilbert Langevin dans notre paysage poétique.

1 novembre 2019

La bête errante

Louis-Frédéric Rouquette, ‎La bête errante, Paris, La Revue Française - Alexis Rédier, (vers 1930), 279 p. (coll. Le Paon Blanc) (lithographies en deux tons de Georges Tcherkessoff) (Édition originale : Ferenczi, 1923) — Le livre est de grande qualité. Papier vélin, bandeau au début de chacun des chapitres, en plus des lithographies.

L’action se situe dans le prolongement du Grand silence blanc que j’ai déjà blogué. Ce n’est pas, à proprement parler, un véritable Laurentiana, les Canadiens français n’étant que mentionnés ici et là et n’étant représentés que par un personnage secondaire.

Nous sommes au Yukon, aux alentours de 1920. La Ruée vers l’or est terminée depuis longtemps. Seuls quelques irréductibles persistent. L’histoire débute à Cariboo-kid, dans un camp de mineurs. Hurricane, un ancien étudiant de Berkeley, a quitté San Francisco et s’est fait chercheur d’or par amour pour Dolly. Il se lie d’amitié avec Gregory Land, le maître de poste, qui parcourt le Yukon pour distribuer le courrier. Quand ce dernier quitte Cariboo-Kid pour se rendre à Dawson, Hurricane décide de l’accompagner. Sur leur route, ils croisent un homme mort, assassiné. À Last-Chance, autre camp de mineurs, ils s’arrêtent : ils découvrent les deux meurtriers, qui seront pendus à la suite d’un procès expéditif. Dans l’altercation qui a eu lieu au moment de la dénonciation, Hurricane s’est démis une épaule. Après l’avoir soigné pendant quelque temps, Gregory doit reprendre sa route. Hurricane, guéri, exploite une mine dans la région avec un Cri nommé Billikins, mais n’en tire pas de grands revenus. L’hiver revient et la vie s’arrête. Quand Gregory, le maître postier, revient au printemps, Hurricane découvre qu’il n’a pas de lettres pour lui. Sa belle l’a oublié.

Hurricane part avec Gregory à Dawson. On y présente un film dans lequel Dolly joue. Fou de rage, Hurricane s’engage dans une bataille dont il sort sérieusement blessé. Une dancing-girl, Flossie, le soigne. Il avait aidé cette fille lorsqu’ils étaient tous deux à Cariboo-Kid. Gregory doit continuer la distribution du courrier plus au nord, jusqu’à Forty Miles. Hurricane, Flossie et Billikins l’accompagnent. Pour leur malheur, Gregory décide de prendre un raccourci et ils se perdent. Pendant cinq semaines, ils se battent pour leur vie. Billikins meurt et les trois autres attendent pour ainsi dire la mort dans un igloo de fortune. Deux chiens, Tempest et Hurricane-chien décident de « prendre les choses en main ». Ils découvrent le campement de deux chasseurs, dont l’un est Freddy, le héros du Grand silence blanc et l’ancien maître de Tempest. Les chasseurs les retrouvent et les ramènent à Dawson. Hurricane décide alors de retourner à San Francisco pour revoir son ancienne amoureuse. Mais il a vite fait de constater qu’il n’a plus rien en commun avec elle. Il s’installe dans le Nevada. Et un jour, Flossie revient porteuse d’une nouvelle : elle a vendu la mine de Hurricane et il est millionnaire. Pendant deux ans, les deux travaillent sur le ranch. Mais Hurricane s’ennuie et il décide de repartir au Yukon.  Lors d’une randonnée sur la grande Trail, il croise Flossie qui a pris la même décision. Les deux repartent ensemble.

À lire le résumé, on pourrait penser qu’on se trouve devant un roman d’aventures. En fait, le roman est lent, l’essentiel n’étant pas dans l’action. Comme le titre l’insinue, La bête errante est un roman sur l’errance. Oui, ces hommes et femmes espèrent trouver une fortune en grattant le sol, mais tous savent que la ruée vers l’or, c’est de l’histoire ancienne. À moins d’une chance inouïe, tout au plus réussiront-ils à grappiller quelques parcelles d’or qui leur permettront de survivre. Reste donc le bonheur de vivre dans un monde en dehors du monde, loin de la civilisation et de ses contraintes. Et de parcourir un pays sauvage, non dépourvu d’humanité tout de même : toutes les difficultés qu’ils rencontrent dans cette nature impitoyable obligent les êtres - et même les bêtes - à se serrer les coudes, à dévoiler ce qu’il y a de meilleur en eux.

Rouquette est un romancier, mais aussi un poète, comme le démontrent sa description des lieux et du climat, ses incursions dans la tête de ces rudes gaillards. Le chapitre XXIX, dans lequel il décrit les cinq semaines d’errance de Gregory et ses amis, est particulièrement brillant.

Extrait
Les chiens de Gregory mettent de la vie dans la mort du paysage. C’est vers cette vie qu’il va avec entêtement.
La nuit l’environne, les bêtes puantes le guettent, non, c’est la théorie des blonds archanges dont a parlé Flossie et, pour lui donner raison, le ciel se déchire. Des rubans blanchâtres se dénouent, un à un, qui, formant des faisceaux et des gerbes, s’allument de mille paillettes.
Au ras de l’horizon se déroule une banderole de lumière atténuée, un immense anneau se forme dans lequel s’inscrit une croix, puis la croix s’efface, un serpent se love; souple, fuyant, il passe au travers des cercles bleus et roses.
La terre est comme baignée de lune. Chaque chose se détache avec une netteté singulière.
Les chiens sont arrêtés, museaux levés. On les croirait découpés au ciseau, de même Gregory, de même les rochers.
Derrière les scintillations qui s’élèvent, de bas en haut, on aperçoit le clignotement des étoiles, des étoiles disparues depuis plusieurs semaines et qui disent clairement : « Votre destin vous mène au Nord et c’est à l’Ouest que vous alliez ! »
L’erreur est humaine, la nature seule poursuit le cycle de son immuable révolution prévue dans les siècles des siècles.
Que pèse le vouloir des hommes !
Mais la nature leur permet l’illusion de la volonté pour les aider à vivre... et à mourir.
Et à ceux qui vont mourir, elle dévoile sa beauté. Un halo monte dans la transparence céleste, ses hachures dorées descendent comme une pluie de feu, d’un feu très doux, très pâle, dont les flammes s’intensifient peu à peu et qui, rouges à la base, jaunes au milieu, sont vertes au sommet, et, à nouveau, dans une circonférence parfaite, une croix apparaît.
La croix de mort ou la croix d’espérance? (p. 190-191)