26 janvier 2024

Salut Galarneau

Jacques Godbout, Salut Galarneau, Paris, Seuil, 1967, 155 pages.

François Galarneau est né dans une famille dysfonctionnelle : ses parents sont en quelque sorte séparés même s’ils vivent sous le même toit. Le père fuit la maison et se réfugie sur son bateau avec ses maîtresses alors que la mère vit la nuit. C’est le grand-père Aldéric qui s’occupe de François et de ses deux frères, Jacques et Arthur. C’est lui qui les pousse à étudier. Les deux aînés se tailleront une place importante dans la société, mais non François qui abandonne l’école après ses Belles-Lettres (secondaire V) et qui végète.

Après son mariage désastreux avec une fille de Lévis, François revient à Montréal et ouvre, dans un « autobus à frites sur le bord d’une route à l’Île Perrot », un « snack bar » qu’il nomme AU ROI DU HOT DOG. Il vit dorénavant avec Marise. Parce qu’il semble désabusé et perdu, passant ses journées à lire en attendant les clients, elle lui suggère d’écrire. Ainsi est né le roman qu’on est en train de lire. Ce qui précède nous est livré par des retours en arrière. Marise finit par le quitter pour aller vivre avec son frère Jacques, lequel a mis de côté ses rêves artistiques, préférant la réussite sociale. Déprimé et dépité de la société, François fait construire un mur autour de sa maison et s’isole pour écrire. Ce livre lui permettra de trouver ses repères. Il sortira de la prison qu’il s’est construite, une fois son livre terminé (lire l’extrait).

Même si le personnage est sympathique, il faut reconnaître qu’au fond il est un raté. Ses deux relations amoureuses, ses occupations pour gagner sa vie, son parcours scolaire, rien ne lui réussit. Même s’il est tenté de s’embrigader dans la société, il finit par réaliser que ce monde qu’on lui impose à coups de publicités ne le rend pas heureux.  Il lui faut plus! À l’instar de son oncle Léo, il découvre que la création permet de quitter la médiocrité qu’est devenue sa vie, bref de se réaliser. Cependant, il comprend aussi qu’à un certain moment, il faut affronter le réel, sans s’y perdre.

Pour moi, il s’agit d’une relecture quelque 40 années plus tard. Le roman, qui fait une large part au langage oral, se lit encore très bien. Il me semble même en avance sur son temps (hormis quelques passages qui ne passeraient pas aujourd’hui). J’y lis une critique féroce de la société de la performance, une société où les gens ne sont plus formatés par la religion mais par la publicité et le dieu argent.

Extrait

J'ai des visions comme ça, des tas de visions, des rêves qui se bousculent dans le grenier. Je sais bien que de deux choses l'une : ou tu vis, ou tu écris. Moi je veux vécrire ; L'avantage, quand tu vécris, c’est que c’est toi le patron, tu te mets en chômage quand ça te plaît, tu te réembauches, tu élimines les pensées tristes ou tu t'y complais, tu te laisses mourir de faim ou tu te payes de mots, mais c’est voulu. Les mots, de toute manière, valent plus que toutes les monnaies. Et ils sont là, cordés comme du bois, dans le dictionnaire, tu n'as qu’à ouvrir au hasard :

DOMINER : avoir une puissance absolue. fig. l'ambition domine dans son cœur. Se trouver plus haut. Le château domine sur la plaine. Dominer sa colère. S’élever au-dessus de. La citadelle domine la ville ; se dominer, se rendre maître de soi…

Tu voyages, tu t’instruis, chaque mot, c’est une histoire qui surgit, comme un enfant masqué, dans ton dos, un soir d’halloween; j’y passe des heures, de surprise en surprise. Quant à moi, Jacques peut bien garder ma femme, la bichonner, la dorloter, lui faire des enfants blonds, les élever, écrire pour la télévision, faire de l'argent, il ne sait pas ce que c’est qu'un cahier dans lequel on s’étale comme en tombant sur la glace, dans lequel on se roule comme sur du gazon frais planté.

Ce midi dix-huit octobre, toutes les feuilles des arbres alentour sont tombées, et celles du salon aussi. Happy Birthday ! faut naître un jour ou l’autre.

Le soleil d'automne se lève plus tard maintenant, il se couche plus tôt, mais il monte droit devant la maison, comme une perdrix effarouchée. Il s'assied sur le mur, le soleil, il réchauffe notre carré de sol, il me regarde dans les yeux, il s'inquiétait peut-être de me voir lui préférer l'ombre. On ne s’était pas vus vraiment, depuis le départ de Marise Doucet, je le fuyais, mais plus maintenant, je ne le fuirai plus. Je reviendrai m'asseoir ici, à la table d'acajou, pour écrire d'autres cahiers, je vais en acheter dix chez Henault's, on sera deux à se lire, tu peux continuer ton tour de terre, cela va beaucoup mieux, merci (réchauffe Martyr en passant il doit être transi) je te verrai demain, j’emprunte l’échelle de Dugas, je fais un saut à l'hôtel Canada, et je m'en vais porter mon livre en ville pour que Jacques, Arthur, Marise, Aldéric, maman, Louise et tous les Gagnon de la terre le lisent... À demain vieille boule, salut Galarneau ! Stie. (p. 154-155)

Jacques Godbout sur Laurentiana

Les pavés secs

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