26 avril 2020

Recueils de poésie écrits par des femmes (1920-1950)


1920    LAMONTAGNE, Blanche, La vieille maison, Montréal, Bibliothèque de l'Action française, 219 p.
1923    LAMONTAGNE, Blanche, Les trois lyres, Montréal, Bibliothèque de l'Action française, 132 p.
1923    MILLICENT, Campanules, Montréal, Bien Public, 122 p. (Amélie Leclerc)
1923    PAYSE, D’Azur, de lys, de flamme, pensers en dentelles, Québec, Impr. de l'Action sociale, 141 p. (Mme L. J. Dugal)
1924    BERNIER, Jovette-Alice, Roulades, Rimouski, Vachon, 105 p.
1924    DUMAIS Marie, L'huis du passé, Montréal, s.n., 1924. 208 p. (Mme Boissonneault)
1924    CHARBONNEAU, Hélène, Opales, Montréal, G. Ducharme, 59 p. (Des Serres, Marthe)
1924    SYLVIA, Marie, Vers le beau, Ottawa, Impr. Le Courrier, 107 p.
1926    BERNIER, Jovette-Alice, Comme l’oiseau, Québec, L'Éclaireur, 110 p.
1926    LAMONTAGNE, Blanche, La moisson nouvelle, Montréal, Bibliothèque de l'Action française, 192 p.
1926    LEMIEUX, Alice, Heures effeuillées, Québec, Impr. E. Tremblay, 138 p.
1927    MONTREUIL, Gaëtane de, Les rêves morts, Montréal, s.n., 56 p. (Georgina Bélanger)
1927    SÉNÉCAL, Éva, Un peu d’angoisse… un peu de fièvre, Montréal, La Patrie, 73 p.
1928    LAMONTAGNE, Blanche, Ma Gaspésie, Montréal, s.n., 158 p.
1928    RATTÉ, Marie, Au temps des violettes, Beauceville, L'Éclaireur, 109 p.
1928    ROUTIER, Simone, L’immortel adolescent, Québec, Le Soleil, 190 p.
1928    SYLVIA, Marie, Vers le vrai, Montréal, New York, Carrier, Éd. du Mercure, 74 p.
1929    BERNIER, Jovette-Alice, Tout n’est pas dit, Montréal, Garand, 182 p.
1929    LEMIEUX, Alice, Poèmes, Montréal, Librairie d'action canadienne-française, 164 p.
1929    SAINT-EPHREM, Marie, Immortel amour, Sillery, Couvent de Jésus-Marie, 188 p.
1929    SÉNÉCAL, Éva, La course dans l’aurore, Sherbrooke, La Tribune, 157 p.
1930    LANCTOT, Clara, Visions encloses, Victoriaville, La Voix des Bois-Francs, 144 p.
1930    SAINT-JEAN, Idola, Morceaux à dire, Montréal, Granger, 215 p.
1931    ROUTIER, Simone, Ceux qui seront aimés, Paris, Éditions P. Roger, 31 p.
1932    BERNIER, Jovette-Alice, Les masques déchirés, Montréal, Albert Lévesque,
1933    GRISÉ-ALLARD, Jeanne, Médailles de cire, Montréal, Librairie Granger Frères, 156 p.
1934    ATALA, Feuilles tombées, Montréal, Librairie Beauchemin, 84 p. (Léonise Valois)
1934    ATALA, Fleurs sauvages, 2e éd. [1910], Montréal, Librairie Beauchemin, 90 p. (Léonise Valois)
1934    ROUTIER, Simone, Les tentations, Paris, Éditions de la Caravelle, 195 p.
1934    VÉZINA, Medjé, Chaque heure a son visage, Montréal, Éditions du Totem, 159 p.
1934    HARVEY-JELLIE, Nora, Le merle dans le cerisier, Montréal, Librairie Beauchemin, 72 p.
1934    L’ARCHEVÊQUE-DUGUAY, Jeanne, Écrin, Trois-Rivières, Éditions du Bien public, 86 p.
1934    OLIER, Moïsette, Cha8nigane, Trois-Rivières, Éditions du Bien public, 66 p.
1935    FRANCOEUR, Jacqueline, Aux sources claires, Montréal, Albert Lévesque, 147 p.
1935    GUERTIN, Raphaelle-Berthe, Confidences, Joliette, Action populaire, 127 p.
1935    LAMONTAGNE-BEAUREGARD, Blanche, Dans la brousse, Montréal, Granger frères, 215 p.
1935    LAVALLÉE, Jeannine, Mea culpa, Montréal, Rénovation, éditions littéraires et musicales 177 p.
1935    DENECHAUD-LARUE, Marie, La Voix du cœur, Québec, Imprimerie Laflamme, s.n.,141 p.
1935    LANCTÔT, Alberte, La vie s'ouvre... intimités, Montréal, Éditions du Devoir, 151 p.
1936    L'ARCHEVÊQUE-DUGUAY, Jeanne, Cantilènes, Montréal, Librairie Beauchemin, 187 p.
1937    BRÉGENT, France, En attendant chez le docteur, Montréal, Thérien frères limitée, 148 p.
1938    BRUNEAU, Estelle, Nostalgies, Sherbrooke, La Tribune Ltée, 159 p. (Jean Dollens)
1938    LAVALLÉE, Jeannine, Vice versa, Montréal, Rénovation, éditions littéraires et musicales, 105 p.
1939    FORTIN, Marie-Anna, Bleu poudre. Le Credo du matin, Montréal, Éditions du Devoir, 142 p.
1939    LASNIER, Rina, Féérie indienne, Saint-Jean, Éditions du Richelieu, 71 p.
1939    MALOUIN, Reine, Les murmures, Québec, Institut Saint-Jean Bosco, 158 p.
1939    DOYLE, ÉVA O., Le livre d’une mère, Québec, Imprimerie Ernest Tremblay, s.n., 141 p. (Éva Ouellet)
1940    CHABOT, Cécile, Vitrail, Montréal, Valiquette, 116 p.
1940    MALO, Laurette, L’âme sentimentale, Montréal, s.n., 124 p.
1940    BRÉGENT, France, Ramilles et En attendant chez le docteur, 2e éd. rev. et augm. [1937], Montréal, Thérien frères limitée, 182 p.
1940    TURCOT, Marie-Rose, Le maître, Hull, Éditions de l’Éclair, 121 p.
1941    BÉLANGER, Janine, Stances à l’éternel absent, Hull, Éditions de l’Éclair, 150 p.
1941    L'ARCHEVÊQUE-DUGUAY, Jeanne, Comme nous sommes heureux! Trois-Rivières, Bien Public, 117 p.
1941    LASNIER, Rina, Images et proses, Saint-Jean, Éditions du Richelieu, 118 p.
1941    MILLICENT, Campanules, Trois-Rivières, Éditions du Bien Public, 122 p. (Amélie Leclerc)
1941    FORTIN, Odette-Marie-des-Neiges, Dans le calme des soirs. (Au pays de Maria   Chapdelaine), Hull, Éditions l’Éclair, 126 p.
1942    CHABOT, Cécile, Légende mystique, Montréal, La société des écrivains canadiens, 43 p.
1942    HÉBERT, Anne, Les songes en équilibre, Montréal, L’Arbre, 156 p.
1942    LANCTÔT, Alberte, Les joies certaines, Montréal, Éditions du Devoir, 201 p.
1942    LANGLAIS-CAMPAGNA, Alberte, Petits poèmes domestiques, Montréal, L'Institut familial, Éditions Fides, 219 p.
1942    L'ARCHEVÊQUE-DUGUAY, Jeanne, Cinq petits enfants..., Montréal, Éditions Fides, 29 p.
1942    L'ARCHEVÊQUE-DUGUAY, Jeanne, Offrande, Montréal, Éditions Fides, (Trois-Rivières : Imprimerie du Bien public, 1942), 108 p.
1942    ROUSSEAU, Julie-Anna, Vers l'idéal, Québec, s.n., 141 p.
1943    LANGLAIS-CAMPAGNA, Alberte, Vie. Contemplations, dessins de Cécile Chabot, Montréal, l'Institut familial, 98 p.
1943    MILLICENT, Roses de joie, de souffrance et de gloire, Trois-Rivières, Monastère du Précieux-Sang, 86 p. (Amélie Leclerc)
1943    CHAPUT-ROLLAND, Solange, Fumées, Montréal, Beauchemin, 64 p.
1943    DUGUAY, Thérèse, Joies d'enfants, Montréal, Éditions Fides, 31 p.
1943    GAUDET-SMET, Françoise, Heures d'amour, Drummondville, La Parole, 1943, 166 p. (rééd. de Montréal, Éditions Fides, [1936, 1939]).
1944    LASNIER, Rina, Madones canadiennes, Montréal, Beauchemin, 289 p. (avec Marius Barbeau)
1944    LANCTÔT, Clara, Poèmes inédits [braille], Longueuil, Institut Nazareth et Louis-Braille, 23 p.
1944    DUCHESNAY, Alice, Bestiaire familier, Québec, Éditions Garneau, 1944, 47 p.
1944    PARÉ, Simone, Sur les routes de mon pays, Ottawa / Montréal, Éditions du Lévrier,  ([s.l.] : Charrier et Dugal limitée), 110 p.
1945    BERNIER, Jovette-Alice, Mon deuil en rouge, Montréal, Serge Brousseau, 90 p.
1945    LAFLEUR-HÉTU, Ruth, Le conte des sept glaives, Montréal, Éditions du Lévrier, 91 p.
1945    CHARLAND-OSTIGUY, Ella, Muse en prière, Québec Imprimeries des S.S. franciscaines M. de Marie, 220 p.
1945    IZDEBSKA, Halina, Cri d'alarme, Montréal, Lucien Parizeau & compagnie, 162 p.
1945    SYLVIA, Marie, Reflets d'opales, Montréal, s.n., 219 p.
1945    TREMBLAY, Marguerite, Contes blancs, Québec, Éditions de l'Agence laurentienne, ([Québec] : Charrier et Dugal limitée), 138 p.
1946    BERTRAND, Janette, Mon cœur et mes chansons, Montréal, Pascal, 92 p.
1946    LAFLEUR-HÉTU, Ruth, Le conte de la roseraie, Montréal Ottawa, Éditions du Lévrier, 107 p.
1946    L’ARCHEVÊQUE-DUGUAY, Jeanne, Mater, Montréal, La Famille, ([Trois-Rivières], Imprimerie du Bien public), 110 p.
1947    RENAUD, Thérèse, Les sables du rêve, Montréal, Cahiers de la file indienne, 37 p.
1947    GRISÉ-ALLARD, Jeanne, Mystères... Mystères joyeux, mystères douloureux, mystères glorieux de la maternité, Montréal, s.n., 172 p.
1947    LASNIER, Rina, Le chant de la montée, Montréal, Librairie Beauchemin, 120 p.
1947    LEGRIS, Isabelle, Ma vie tragique. Poèmes de la douleur et du sang, Montréal, Éditions du Mausolée, 158 p.
1947    LALIBERTÉ, Madame, Proses et pensées de ma mère, Québec, P.-E. Laliberté, éditeur, 80 p.
1947    ROUTIER, Simone, Le long voyage, Saint-Quentin, France, Éditions de la Lyre et de la Croix, 153 p.
1947    ROUTIER, Simone, Les psaumes du jardin clos, Montréal, Éditions du Lévrier, 43 p.
1947    SÉGUIN, Camélienne, Nous, les petits. Poésies pour enfants de trois à dix ans, Montréal, Éditions Fernand Pilon, 189 p.
1948    VIEN-BEAUDET, Liliane, Pater : en souvenir de la Grande Mission, Montréal, Éditions de l’atelier, 45 p.
1948    MARYLÈNE, Papillons noir, Montréal, Serge Brousseau, 90 p. (Lucienne Morin)
1948    VIEN-BEAUDET, Liliane, Pater, Montréal, Fernand Pilon, 125 p.
1948    LAFLEUR-HÉTU, Ruth, Le conte du pèlerin, Montréal, Éd. du Lévrier, 365 p.
1948    MILLICENT, Flots d’encens, Ottawa, s.n., 149 p. (Amélie Leclerc)
1949    CHARLAND-OSTIGUY, Ella, Au fil du temps, Québec, Éd. de la revue eucharistique et antonienne, 147 p.
1950    LASNIER, Rina, Escales, Trois-Rivières, Le Bien Public, 149 p.
1950    MALOUIN, Reine, Inviolata, poème allégorique, Québec, Le Soleil, 153 p.
1950    VAILLANCOURT, Emma, De l'aube au couchant, Québec, s.n., 154 p.

Pour la suite :
Voir les années 50-60

24 avril 2020

La fin de la joie

Jacqueline Mabit, La fin de la joie, Montréal, Parizeau, 1945, 227 pages. (Préface d’Augustin Deslauriers)

Ce livre est sans doute le premier roman lesbien écrit au Québec. Jacqueline Mabit, épouse de Pierre Baillargeon, est une autrice française qui n’a vécu que quelques années au Québec.

Le récit se passe en France, à Paris pour la plus grande partie. Les deux héroïnes s’appellent Laure et Danielle et finissent leur lycée. Elles souhaitent toutes les deux se diriger vers l’enseignement. Elles s’aiment, se l’avouent, échangent des baisers et des câlins, mais n’ont pas de relations sexuelles. Ce sont des intellectuelles qui se posent des questions philosophiques sur l’essence de l’amour, l’existence de Dieu, la responsabilité sociale…

Elles se quittent pendant l’été, Laure devant retrouver sa famille dans le sud de la France. Elles échangent des lettres, puis bientôt Laure cesse d’écrire. Danielle vit le reste de l’été dans un doute douloureux. Viennent octobre et la rentrée universitaire. Laure et Danielle, sans qu’elles se soient consultées, ont décidé d’entrer en médecine. Elles se retrouvent dans la même école, dans les mêmes cours. Danielle a tôt fait de sentir que Laure n’est plus la même et la vérité finit par éclater. « Le ressort est cassé », lui dit laconiquement Laure comme explication. Danielle fait une tentative de suicide.  Pour dompter sa douleur, elle s'abîme dans le travail et dans sa recherche d’un sens à la vie qui mélange quête spirituelle et grands principes scientifiques. Lentement, elle retrouve une harmonie intérieure.

On peut supposer que l’action se situe dans les années 30, puisque aucune mention n’est faite de la guerre ou de ses préparatifs. Le roman est purement sentimental. Mabit ne se sent pas tenue de défendre les « amours défendues », de faire état des préjugés de la société, elle se contente de raconter l’histoire. Ce qui ne veut pas dire que les deux femmes ne réalisent pas que leur orientation sexuelle pourrait leur valoir certains problèmes. Ce roman devance donc de quatre ans Orage sur mon corps (1949) d’André Béland, premier roman qui traitait de l’homosexualité au Québec.

Extrait
L’image était très simple, le langage précis, et pourtant Danielle ne comprit pas. « Le ressort est cassé », cette phrase que Laure venait de froidement de prononcer, avait fait le vide en l’âme de Danielle. Elle n’était plus rien, assommée. Cependant, tout le jour, son corps survit. Elle marchait, fit même l’aumône à une Italienne qu’elle croisa sur son chemin, lui sourit.
À cette première phase d’hébétement absolu succéda vers le soir la période compréhension, c’est-à-dire, désespoir.

Elle avait quitté Laure après le déjeuner. Toute l’après-midi, elle marcha, au hasard. Par deux fois ce hasard la ramena au carrefour où elles venaient de se séparer. Comme une chienne trop fidèle qui pleure la laisse. Et, chaque fois, les mots réapparaissaient lancinants comme les premières notes d’une symphonie, plus clairs à mesure qu’elles les réentendaient, plus forts. Elle allait comprendre. Avec son intelligence, se réveillait son cœur. Puis ce fut   l’affolement, le désespoir, la souffrance d’autant plus ardente que le sens de la phrase lui paraissait maintenant sensible. Ce langage scientifique lui était familier. Aussi en éprouvait-elle toute la sauvage exactitude. Sa peine fut précise, aussi forte que le coup avait porté direct : « Le ressort est cassé. » Eh bien, oui, l’irrémédiable s’accomplissait. Cette fin que, de ses deux bras jeunes, Danielle voulait repousser aux confins de l’éternité, soudain elle la heurtait, elle se meurtrissait dessus ! Désespoir du chagrin solitaire lorsqu’on fut toujours deux dans le bonheur ! Égalité rompue, déséquilibre douloureux de la nouvelle réalité ! « Il faut y échapper, coûte que coûte, » se disait-elle. Curieux comme, au bas fond de l’égarement, on peut encore être logique. « Réfléchissons. Échapper au réel, cela veut dire, ne plus voir Laure. Non, je suis ma seule réalité. Fuir le réel, c’est donc me fuir, me déshabiter. Trouver un havre comme la barque hantée ? Mon Dieu, Voudriez-vous de moi ? Me permettez-vous de vous rejoindre tout de suite, de vous remettre cette jeunesse dont je n’ai plus que faire, ce cœur pourri, cette tête mauvaise qui doute encore de Vous alors que je Vous parle... Me permettez-vous de finir ma vie tout de suite ? Je préfère Votre néant à la route que j’ai suivie. Elle mène aux larmes. Tandis que Vous, vous êtes le soir bienheureux... Aura-t-elle de la peine si je me tue ? Peut-être alors m’aimera-t-elle ? Il faut donc, Laure adorée, que je te donne cette preuve ! Je suis prête. » Le cœur est un muscle, il inspire parfois les pas : la Seine était proche. Il n’y avait qu’une rue à traverser et la terre finissait. 

17 avril 2020

Mélodies poétiques


Albert Ferland, Mélodies poétiques, Montréal, P. J. Bédard, 1893, 141 pages.
(Préface des Rémi Tremblay et photo de l’auteur en frontispice).

Albert Ferland est né en 1872. Mélodies poétiques est son premier recueil. Poète autodidacte et illustrateur, il fera partie de L’École littéraire de Montréal en 1895. Auparavant, il s’était fait la main dans le « groupe de Sainte-Cunégonde », lequel réunissait de jeunes artistes, comme Germain Beaulieu et Edouard-Zotique Massicotte.

Son recueil est très découpé.

Vers l’idéal
Dans un style somptueux, le poète se décrit comme le messager de Dieu, un Dieu qui s’incarne dans la majesté de l’univers.

Croquis et pastels
Le ton est beaucoup plus léger dans les six poèmes qui composent cette partie. Une jeune fille, des jeux d’enfants, l’aurore, le printemps en sont les principaux thèmes. « Qu’elle est gentille et qu’on l’admire / Cette blonde aux airs gracieux! / Son œil, où son âme se mire, / Semble un tout petit coin des cieux. »

Fantaisies
Une clochette, des bulles de savon et un cerf-volant inspirent des poèmes dont la métrique ne dépasse pas trois pieds. Tout cela est bien léger. Suit un poème d’inspiration fantastique, lugubre, dans lequel le démon côtoie les farfadets. Autre genre de fantaisie, on l’aura compris.

Mélancolies
Le passé, l’enfance, les morts, la nature lui inspirent tristesse et mélancolie. « Oh! Que le bonheur passe vite! / Je n’ai pas encore vingt ans, / Et déjà ma barque s’agite / Sous le souffle des noirs autans. »

Sur les fibres du cœur
L’amour est de tous les vers de cette partie. Des bluettes, comme on disait à l’époque. Un amour adolescent, idéalisé, parfois en harmonie avec le divin. Et pourtant, malgré la légèreté, ce sont peut-être les poèmes les plus intéressants du recueil. Le vers, tout simple, coule de source : « Oh ! que ton œil rempli d’amour / Facilement se fait comprendre / Et comme il sait bien, tout à tour, / Se faire charmant, doux et tendre! »

Voix intérieures
« Comment! Je suis poète et je n’oserai dire, / De peur que les pervers, les sots puissent en rire, / Que je reconnais Dieu pour le Maître éternel / Que j’adore son nom, que je le crains et l’aime »

D’ici de là
Le recueil se termine par cinq poèmes adressés à des personnes, dont trois à des Françaises.

Il est bien évident que ce recueil est une œuvre de jeunesse. Ferland reprend des sujets très connus et les traite de façon attendue.  On trouve beaucoup de naïvetés et de maladresses, des fautes de grammaire et de syntaxe, des coquilles. Une quinzaine d’années plus tard, il publiera Le Canada chanté, son œuvre la plus pertinente.

Albert Ferland sur le site de la BANQ

Albert Ferland sur Laurentiana

10 avril 2020

Thermidor

Guy Gervais, Thermidor, Montréal, édition de l’Alicante, 1958, 27 feuillets sous couverture rempliée.

Guy Gervais, né à Montréal en 1937, n’avait que 21 ans lorsqu’il publie ce recueil, et il en était déjà à son second livre, Le froid et le fer ayant été publié en 1956.

Le livre est sous une couverture repliée. Les feuillets ne sont pas paginés, ni titrés, donc impossible de connaître l’ordre des poèmes de l’édition originale. Le papier est de qualité et on doit le fond sur lequel sont imprimés les poèmes aux Ateliers Pierre Guillaume.

Pour se faire une idée de la manière et de la matière du recueil, on va se concentrer sur ce poème choisi au hasard.

au souffle mûri des lacs révulsés
survient l’envol incendié lourd
et la curieuse pluie roidissante des fièvres
le corps suri, la mer sans repos des sables
la mort d’eau de l’iris
au vent de l’os stérile médullaire des lassitudes
cuire jusqu’au silice d’assouvissement
crouler où l’amer frisson induisant les soifs nues réclusives
le sel prasin sous la peau solitaire
pour le vertige hurlant de l’équinoxe dissout autant que la jeune vive »

pour férir sans rose
après l’empyème désertique
après, l’éphémère imprégné d’odeurs
la constance d’éther cru

On le comprend, il s’agit de choisir des mots, de préférence des adjectifs, qui désignent ou connotent des situations fortes, pour donner du poids à son discours : « révulsés, envol, incendié, fièvres, mer, mort, stérile, silice, crouler, vertige, hurlant ». On malmène la syntaxe et on refuse tout enchaînement logique. On réunit verbalement ce que le réel sépare. Au final, on obtient un texte qui cultive l’amalgame, les paradoxes, le non-sens.

On pourrait penser que le poète veut seulement signifier un mal-être qu’il n’arrive pas à nommer. On comprend que l’eau et le feu ne font pas bon ménage et qu’ils témoignent ici de la difficulté de sa quête, celle-ci bien mal définie. Mais comment un lecteur peut-il se projeter dans un tel texte? 

Le mot « Thermidor » évoque la révolution. Je ne crois pas qu’il y ait de révolution dans ce recueil. Il y a surtout un grand désir de se démarquer, de s’éloigner de tous les poncifs connus, de se laisser aller à toutes les expérimentations, ce qui n’est pas mal en soi. Gauvreau recherchait aussi cette différence, mais sa poésie produisait beaucoup de sens, ce qui n’est pas le cas de Thermidor.

8 avril 2020

Pascal Berthiaume

Francis Desroches, Pascal Berthiaume, Québec, L’Agence Élite, 1932, 155 pages.

Pascal Berthiaume, 50 ans, est le maire et le maître des Trois-Moulins depuis 18 ans. Vindicatif, il n’admet pas qu’un électeur puisse se présenter contre lui. Il a réussi jusqu’ici par l’intimidation à écarter tout adversaire politique jusqu’à ce qu’un petit docteur, Georges Dupire, arrivé depuis deux ans dans la paroisse, ose lui contester la mairie. Il lui offre la main de sa fille Colette, sachant que le médecin en est amoureux. Mais cela ne suffit pas. Les élections ont lieu et Dupire remporte une nette victoire. Il lui reste à conquérir Colette que Berthiaume refuse de lui donner (elle est mineure), malgré toutes ses tentatives pour flatter son ego. Par exemple, il le nomme directeur et contremaître de la future compagnie d’électricité que la Coop du village met en place. Il vante ses mérites à un journaliste et même au ministre qui vient étrenner le projet. Berthiaume finira par céder quand le curé s’en mêlera et qu'on lui offrira le vieux fauteuil sur lequel il a trôné pendant ses années à la mairie.

Le récit romantico-politique est mené sur le ton humoristique. L’auteur, par des interventions, nous fait comprendre assez vite que son histoire sera loufoque. Compte tenu de cela, on peut peut-être lui pardonner les invraisemblances et les raccourcis dont son récit est truffé. Ce que le lecteur contemporain lui pardonnera plus difficilement toutefois, c’est la misogynie du récit. Les femmes sont belles et désirables quand elles sont jeunes et des commères en vieillissant. Autre aspect qui a de quoi étonner. Dans le village, il y a un fier-à-bras que tout le monde craint : quand Dupire réussit à l’enlever à Berthiaume, la joute politique penche de son côté.

Le début du roman
Pascal Berthiaume, maire des Trois-Moulins, courtisait la cinquantaine... Quelques fils blancs seulement se voyaient ici et là dans sa chevelure épaisse et noire qu’il portait rejetée en crinière, ce qui lui donnait, quand il se fâchait, l’aspect d’un lion irrité... Car il se fâchait, le maire des Trois-Moulins, et la chose lui arrivait plus souvent qu’à son tour, au conseil municipal, par exemple, où l’on montrait avec un certain orgueil aux très rares citadins qui venaient passer l’été dans le village, un fauteuil poussiéreux, relégué dans un coin de la salle, pauvre invalide victime de la colère de cet homme énergique et sévère qui administrait en dictateur, depuis dix-huit ans, les destinées des Trois-Moulins.
Les gens renseignés — il s’en trouve toujours — racontaient avec quelques variantes naturellement, qu’un soir Pascal Berthiaume était entré au conseil en faisant claquer la porte, signe précurseur de l’orage. Il avait pris place dans le fauteuil présidentiel, un fort beau fauteuil, ma foi ! pesant et moelleux, capitonné de cuir fauve, où il était à son aise pour sommeiller quand la discussion ne T'intéressait pas... Aussitôt la séance ouverte, il s’était lancé dans une attaque à fond de train contre un des conseillers qui avait eu le malheur de laisser entendre, et pas plus, qu’il se présenterait peut-être à la mairie, aux prochaines élections...