8 juin 2007

Le Terroir

Albert Ferland, Le Canada chanté. Le terroir, Montréal, Déom frères, 1909, 29 p.
(Illustrations de l’auteur)


Voici le second tome du Canada chanté, entrepris l’année précédente avec Les Horizons. Le recueil est dédié à « sa grandeur Paul Bruchési », un « noble et généreux bienfaiteur ». Le nom des donateurs, dont Sir Wilfrid Laurier, figure à la fin du recueil. En exergue, on lit un texte de Charles Ab Der Halden, dont voici la première partie : « Pareille à l’hirondelle des Mille-Isles, ne cherche pas les lointains pays. Ne nous promène pas en Espagne, en Italie, en Égypte. Au Gange, préfère le Saint-Laurent… Dis-nous les splendides paysages du pays natal, fais chanter l’âme de tes compatriotes. Tu pourras en tirer les éternels accents de l’âme humaine… » On croirait entendre Camille Roy, semonçant Paul Morin deux ans avant la publication du Paon d'émail. Le recueil de Ferland ne compte que dix poèmes.

Au Dieu des solitudes
Prière du pénitent récité sous le couvert des grands pins, prière à la gloire de Dieu dans la solitude des bois. « Seigneur, je viens prier dans la terre sauvage, / Où, noirs témoins des jours, solennels et puissants, / Fidèles à garder la nuit dans leur branchage, / les pins ont raciné depuis des milliers d’années. » Quatre quintets. Le cinquième vers reprend le premier. Style incantatoire.

Pâques dans les bois
Les corneilles qui exultent, la libération des âmes, le plaisir du culte, la douceur et l’amour.

Espoir du nord
Le poème est dédié à ses parents. Le poète demande au Soleil de réveiller la nature, de fertiliser les champs, de régénérer les forêts. « L’érable a son amour, et, sur les monts, les pins / De leurs bras ténébreux appellent ta lumière. »

Prière d’un Huron
En exergue un texte du Père Vimont dans lequel il cite une prière en langue huronne. Le poème serait une traduction de cette prière. C’est en quelque sorte la louange qu’un vieil Autochtone, converti au catholicisme, adresse à Dieu, son « maître », au seuil de sa mort.

Les Pins qui chantent
Célébration des pins qui chantent dans le soir, dans le ciel. À contre-jour, en contre-plongée. Célébration de la « terre du Nord ». Élévation, aspiration vers l’idéal. « Regarde ces géants profilés sur le ciel. » Meilleur poème du recueil.


La Passante
Image d’une femme aperçue au cours d’une promenade. Souvenir persistant de tristesse.

Berceuse Atoena

Chant d’une Autochtone Atoena à son fils. La femme, abandonnée par son mari parti chasser le renne, dit sa solitude, son ennui.

Soir pourpre
Nostalgie que lui inspire le soir. Le temps perdu, la beauté du couchant. « Là-bas un paysan fixe le rouge abîme. / Sa stature à demi surgit d’un guéret noir. »

La patrie au poète
« Poète, mon enfant, tu me chantes en vain. / Je suis la terre ingrate où creva Crémazie. » Cette terre que les poètes chantent pour l’ennoblir, paradoxalement, leur est refusée.

À ma patrie
Vision plus traditionnelle du patriotisme, bien que Ferland ne statufie personne. Hommage aux fondateurs, aux colons, aux laboureurs, aux croyants. Le relais des générations et le dédain du matérialisme.

Très beau recueil, magnifiquement illustré. Malgré son titre, Le Terroir, titre qui sera repris par l’École littéraire de Montréal, et qui deviendra l'emblème de toute une gamme de littérateurs traditionnels, le recueil de Ferland ne donne pas dans le terroir traditionnel. On est très loin des Rivard, Potvin, Grignon... Ferland annonce Desrochers, un certain Savard et même Miron, Lapointe. Ferland aime la grande nature sauvage, celle des Autochtones, celle encore habitée par les grands pins séculaires, la nature inviolée du Nouveau Monde. On regrette seulement que l’inspiration soit aussi courte.

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