19 septembre 2021

Ciels nouveaux

Claude-Bernard Trudeau, Ciels nouveaux, Montréal, Les éditions du diamant, 1948, 107 p. (Préface de Cécile Chabot et 12 dessins de l’auteur) 

Claude Bernard Trudeau (1922-1972) était peintre, poète et bibliothécaire. 

 

Le recueil débute ainsi : « Un souffle m’a dit : « Songe à l’antique nacelle / Qui ravit les désirs vers l’azur triomphant, / Éther voluptueux de l’éternel Enfant, / Où brille encor le feu des ferventes prunelles. » Disons que « ça augure plutôt mal ». C’est très daté, exagérément poétique. Heureusement, tous les poèmes ne sont pas aussi « éthérés ». Le poète nous parle aussi de sa mémé, de sa mère, d’une amoureuse. 

 

Les poèmes sont tantôt courts tantôt longs. Certains sont versifiés à l’ancienne, certains sont composés de plusieurs petites séquences, d’autres sont plus théâtraux et écrits pour être dits, accompagnés d’une musique.

 

La plupart du temps, dans Ciels nouveaux, le lecteur est plongé dans un monde évanescent, spirituel ou esthétique. On comprend vite que Trudeau est un idéaliste, un rêveur qui préfère l’illusion à la réalité. L’art en général, et la musique en particulier, sont des sources d’inspiration, comme thèmes mais aussi comme modèles de création. Trudeau évoque le jazz mais aussi des musiciens modernes tels Stravinsky et Schoenberg. Il apprécie l’explosion des sons, des couleurs dans l’art moderne. Dans le poème « Il y a un monde et il y a l’autre », l’auteur essaie de traduire la frénésie du monde moderne, les sollicitations de toutes parts et le besoin d’échapper aux contingences matérielles. 

 

Dans la dernière partie, composée de courtes séquences en prose qui n’ont rien de poétiques, Trudeau définit sa conception de la poésie : « Un poème n’est que le commencement ou la fin d’un climat unique laissant transparaître des mondes jusque là cachés, aux correspondances éternellement fraîches. »  Il ne suffit pas d’évoquer l’azur, l’Idéal, l’infini, l’horizon ou le rêve pour faire surgir les vérités cachées. On nous l’a trop souvent fait! 

 

Bref, ce recueil n’a pas vraiment d’unité, aussi bien au point de formel que thématique. Trudeau est attiré par la modernité, mais cet aspect de son recueil est noyé dans des thématiques du dix-neuvième siècle. 

 

Claude-Bernard Trudeau sur Laurentiana

Ciels nouveaux

Dans les jardins de la vie et de l’amour

 

Vague et contrevague

Ce soir, je veux garder longtemps

sur mon épaule immense

la courbe irisée de ton cou,

m'effrayer dans tes cheveux

comme un enfant dans une forêt mystérieuse.

Mes bras, cerceaux de volupté,

renverse ton corps en une gerbe de chair idéale,

et sur tes lèvres bohèmes

je cueille la moisson rouge des baisers.

Ah, que tes yeux d'amante 

amphores de tendresse, 

versent leurs vins d'améthyste 

jusqu'au plus profond de mon être 

pour y bercer mon délire.

 

Maintenant l'ombre calme est notre empire, 

et fait tournoyer dans l'air 

des parfums mourants de toi.

 

Écoute. Nos cœurs envoûtés 

pleurent subtilement . . .




8 septembre 2021

Jean Rhobin

Justin Lefebvre, Jean Rhobin, MontréalSerge Brousseau, 1946, 145 pages. 

Jean Rhobin est né à La Baie, près du lac St-Pierre. Le jour de sa naissance, le docteur Blondin qui ne croit pas « à l’hérédité, mais aux présages », prédit qu’il deviendra politicailleur puisqu’un chien hurlait et des dindes caquetaient lors de sa naissance. Il faut dire que Rhobin est né dans une famille qui pratique la politique partisane comme d’autres vénèrent la religion. Le jeune Jean grandit et révèle tous ses talents lors de ses études classiques : plusieurs lui prédisent un brillant avenir, même si certains esprits critiques décèlent en lui un arriviste : « Ses confrères de collège le voyaient déjà député et ministre. Surtout ils attendaient de lui de grandes choses. L’œil, plus sceptique, de ses maîtres n’attendait de lui rien qui vaille. Il était déjà promis aux succès faciles. Comme tant de nos grands hommes il préférait toujours un mot d ’esprit à une bonne œuvre, une bonne blague à une bonne loi. »

 

Aux termes de ses études, il conclut un pacte avec son amoureuse. Il ira à New York poursuivre des études de chimiste et quand sa situation financière le lui permettra, il l’épousera. Quelques années passent et son amoureuse décède de tuberculose, sans qu’il la revoie. Jean revient dans sa région et finit par se lancer en politique en mettant de côté tous les beaux principes qui l’avaient déjà inspiré. « Il sacrifiera le devoir à la partisannerie; et, c’est dans ce domaine que Jean Rhobin, par son manque de caractère, trahira comme tant de ses pareils. »

 

Ce roman est un long requisitoire contre la politique telle qu’on la pratiquait au Québec à l’époque. Un trop long requisitoire qui écrase souvent le roman qui le porte. Lefebvre critique la formation des élites, dénonce leur manque d’idéal, pour tout dire leur aliénation.


Extraits

 

« Dans trop de collèges de notre province on refait depuis trente ans les mêmes discours. On s’imagine parler de quelque chose et croire à un avenir quelconque. On se livre en fait à un dévergondage de creuse éloquence qui masque trop souvent les réalités actuelles. » 

 

« Peu à peu se dessinait en Jean Rhobin ce phénomène d’usure rapide de l’idéal qui ne se produit que trop rapidement en notre pays. Il devenait affairiste, terre à terre, homme d’argent avant tout. » 

 

« Nous avons trop chez nous de Jean Rhobin et peut-être pas assez de docteurs Blondin. Ce qui nous manque terriblement en tout cas, c’est le type intermédiaire, ni visionnaire, ni fanatique, l’homme qui sait se dévouer, se donner, s’oublier lui-même au service d’une cause, en se débarrassant des préjugés séculaires. »