22 août 2017

Salut, Réjean !


Photo : BAnQ

J'ai ouvert le livre et je suis tombé sur ce passage : « J'apprends à dédaigner ce qui d'abord me plaît. Je m'exerce à rechercher ce qui d'abord me porte à chercher ailleurs. Les choses et les personnes auxquelles on ne trouve pas de beauté ne font pas souffrir. C'est ridicule. Mais c'est moins ridicule que d'obéir sans se méfier à la voix de ses sentiments, sentiments qui ne viennent de nulle part. Ils sont sortis du néant, ils se sont éveillés, ils ont trouvé des sentiments dans leur âme, et ils disent : « Ce sont mes sentiments. » Ce qui importe, c'est vouloir, c'est avoir l'âme qu'on s'est faite, c'est avoir ce qu'on veut dans l'âme. Ils se demandent d'où ils viennent. Quand on vient de soi, on sait d'où l'on vient. Il faut tourner le dos au destin qui nous mène et nous en faire un autre. Pour ça, il faut contredire sans arrêt  les forces inconnues, les impulsions déclenchées par autre chose que soi-même. Il faut se recréer, se remettre au monde. On naît comme naissent les statues. On vient au monde statue : quelque chose nous a fait et on n'a plus qu'à vivre comme on est fait. C'est facile. Je suis une statue qui travaille à se changer, qui se sculpte elle-même en quelque chose d'autre. Quand on s'est fait soi-même, on sait qui on est. L'orgueil exige qu'on soit ce qu'on veut être. Ce qui importe, c'est la satisfaction de l'orgueil, c'est ne pas perdre la face devant soi-même, c'est la majesté devant un miroir, c'est l'honneur et la dignité entretenus au détriment des puissances étrangères dont l'âme naissante est infestée. Ce qui compte, c'est se savoir responsable de chaque acte qu'on pose, c'est vivre contre ce qu'une nature trouvée en nous nous condamnait à vivre. Il faut, à l'exemple du géant noir gardien des génies malfaisants, se faire fouetter pour ne pas s'endormir. S'il le faut, pour garder mes paupières ouvertes, j'arracherai mes paupières. Je choisirai le sol de chacun de mes pas. À partir du peu d'orgueil que j'ai, je me réinventerai. » (L'avalée des avalés, p. 31-32)