18 octobre 2021

Les naufrages du St-Laurent

Eugène Achard, Les naufrages du St-Laurent, Montréal, Librairie générale canadienne, 1943, 128 pages. (Illustrateur non identifié)

Achard a souvent repris des histoires qui avaient été publiées dont il faisait des condensés pour la jeunesse. Son public cible était l’élève de la fin du primaire ou du début du secondaire. Le style de l’auteur se démarque par sa simplicité et son efficacité. Dans le présent recueil, il raconte quatre naufrages, les deux premiers étant très connus. Ce sont des récits historiques, racontés sans lourdeur, dont le sujet contient un contenu dramatique qui peut retenir l’attention du jeune lecteur… ou d’un adulte pressé.

Le naufrage de « La Renommée » sur les Côtes de l’Île d’Anticosti en 1736 a déjà fait l’objet d’un livre signé par le père Crespel, le principal protagoniste du récit. (voir ici) Faucher de Saint-Maurice en a fait aussi la narration dans De tribord à bâbord en 1877. Le sujet : des naufragés passent tout un hiver sur l’Île d’Anticosti avant de rejoindre la Côte-Nord au printemps.

Le naufrage de la flotte de l’amiral Walker sur les récifs de l’Île-aux-œufs en 1711 a aussi été raconté par Faucher de Saint-Maurice dans De tribord à bâbord en 1877. Walker, venu pour attaquer Québec, perd l’essentiel de sa flotte par une nuit de tempête sur des récifs de la Côte-Nord et n’a d’autres choix que de rentrer bredouille en Angleterre.

Un naufrage dans le golfe Saint-Laurent en 1780 est moins connu. On est en pleine guerre d’Indépendance des États-Unis. Le récit est raconté au « je » puisque Achard avoue s’être « inspiré » du journal laissé par l’officier S. W. Prentice. Celui-ci avait été chargé par le gouverneur Haldimand, posté à Québec, de rejoindre les forces britanniques à New York pour leur communiquer le plan des actions militaires à venir. Le départ de la mission a lieu en novembre 1780. Le navire fait naufrage et les 16 rescapés se retrouvent sur l’Île du Cap-Breton. Un petit détachement, parti à la recherche d’une présence humaine, au bout de quelques mois, finit par rencontrer des Autochtones qui les sauvent d’une mort certaine. Après un séjour de deux mois à Halifax, Prentice finit par joindre New York et par transmettre les documents dont il était porteur.

Le naufrage de l’Empress of Irland en 1914. Le récit est on ne peut plus sommaire. Un reportage journalistique de 7 pages. L’Empress of Irland, parti de Québec le matin même, entre en collision avec un charbonnier devant Rimouski à cause de la brume. Le bateau coule en 10 minutes et 1030 personnes périssent.

Extrait

C’est donc avec cette misérable ration d’un quart de livre de bœuf par jour pour six semaines, un frêle esquif revêtu d’un enduit incertain, que la moindre vague, le moindre vent pourrait renverser, le moindre écueil mettre en pièces; c’est au milieu de masses énormes de glaces flottantes, sur une plage inconnue, semée de rochers, et à l’époque la plus rigoureuse de l’année, que nous allions tenter une entreprise dont seul un désespoir aveugle avait pu inspirer le projet. Mais nous étions rendus à ce point, qu’il était moins téméraire d’affronter tous les dangers possibles, avec la plus faible lueur d’espérance, que de s’exposer, par une lâche inaction, au danger presque inévitable de périr de misère et de faim, dans ce lieu inhabité.  

L’année 1781 venait de s’ouvrir sur notre triste position. Notre dessein était de partir le jour suivant, 2 janvier, mais un vent fougueux qui venait du golfe, nous retint jusqu’à l’après-midi du 4. Son impétuosité s’étant alors calmée, nous embarquâmes nos provisions, avec quelques livres de chandelle, ainsi que les petits effets qui pourraient nous être utiles et nous prîmes congé de nos compagnons qui avaient ordre de quitter le camp en laissant une note, si quelque opportunité favorable se présentait à eux. (p. 89-90)

6 octobre 2021

Bertha et Rosette

Laurent Barré, Bertha et RosetteL’emprise, Saint-Hyacinthe, s. e., 1929, 224 pages. 

Roberval 1914. Bertha et Augustin sont amoureux. Ce dernier n’a qu’un défaut, il aime trop le gin. Et un soir où il avait bu, on l’a enrôlé contre son gré. Le voici catapulté dans la guerre des tranchées en Europe. Pendant son absence, Bertha s’ennuie. Sam, un jeune Américain, dont l’oncle lorgne les cours d’eau du Lac-Saint-Jean pour les harnacher, lui fait la cour. Elle vient bien près de flancher mais monsieur le curé et la Sainte-Vierge sont là pour la remettre sur le droit chemin. 

 

Bertha a une cousine : Rosette. Celle-ci, instruite, lève le nez sur les cultivateurs et bûcherons du coin, car elle compte bien épouser un « monsieur ». Et ce « monsieur », ce sera Sam, éconduit par Bertha. Mais Sam est protestant, ce qui constitue un obstacle pour sa famille. Rosette, à bout d’arguments et de patience, décide de fuir avec son bellâtre. On apprend qu’il l’a bien vite abandonnée à Montréal et qu’elle se prostitue pour survivre. 

 

Après avoir été tenu pour mort, puis fait prisonnier, Augustin finit par rentrer au pays et par épouser Bertha. 

 

Le roman est très moralisateur. C’est la thèse classique du roman du terroir : restons dans notre milieu, entre nous, près de nos églises, loin de la ville et de ses attraits, loin des Anglo-Saxons qui représentent le mercantilisme sans âme. C’était déjà le message de Damase Potvin dans Restons chez nous, en 1908. Là où Barré va plus loin, c’est quand il dénonce l’instruction pour les filles. Si Rosette n’avait pas été instruite, elle aurait trouvé son bonheur dans son patelin, nous dit-il. (lire l’extrait)

 

Les meilleurs passages du livre ont trait à la guerre. Barré raconte bien la misère des soldats dans les tranchées de la Première guerre mondiale. Il s’oppose aussi furieusement à la participation des Canadiens français dans une guerre qui ne les regarde pas. 

 

Extrait

Mais une fois installée dans un banc en compagnie de ce bel Américain, si empressé, si galant, elle oublia tout : sa foi, sa nationalité, les leçons de droiture et d’honneur reçues dans la maison paternelle et au couvent.

Son pays si beau ; le lac majestueux sur les bords duquel, elle avait passé son enfance. Le lac, miroir merveilleux où se voyaient le vert des champs, des bois et des montagnes. Son village, l’église coquette où elle avait reçu les sacrements de l’Église, où elle avait prié son Dieu avec la ferveur coutumière à ceux de son peuple. Pour la malheureuse perdue d’orgueil et d’ambition, tout cela ne comptait plus.

Pauvre elle ! Elle ne pensait qu’à une chose : elle était aimée, elle aimait. Et celui qu’elle avait pu ainsi conquérir, c’était un Monsieur.

À la ville, au milieu du luxe que procure l’argent, elle vivrait heureuse, loin de ces travaux des champs qu’elle méprisait, et auxquels tant de femmes de cultivateurs sont condamnées.

Grâce à son habileté, elle était délivrée du cauchemar d’avoir à partager la vie de l’un de ces rustres sans éducation et sans savoir. Enfin, elle l’avait le mari idéal, l’homme supérieur.

Il n’était pas son mari, mais peu lui importait. Ce n’était qu’une question de jours, de quelques jours tout au plus ; et puis Sam ne disait-il pas que le oui sacramentel n’était qu’une formalité.

[…]

De sa honte, de son malheur, de sa déchéance, nous ne parlerons que pour dire à ses sœurs, nos fillettes canadiennes : Prenez garde au serpent.

Un jour nous retrouverons Rose Sanschagrin sur le pavé, avec d’autres malheureuses victimes de leur inexpérience, de leur engouement pour ce qui brille, victimes surtout d’une éducation fausse, tendant à faire des filles de mon pays, ce qu’elles ne peuvent et ne doivent pas être. (p. 137-139)