28 septembre 2016

La lignée

Pays Gleba (Arthur Prévost), La lignée, Sorel, Édition du princeps, 1941, 71 pages.

On avait Jean Duterroir et Jean de la Glèbe, voici Pays Gléba, nom d’emprunt du journaliste et auteur Arthur Prévost (lire cet article d’Alain Stanké).

Le roman de Prévost apparaît assez tardivement dans le courant du terroir. Disons-le d’emblée, il présente de sérieuses lacunes à tout point de vue. L’édition est très modeste, probablement un compte d’auteur. Chacun des chapitres est précédé de quelques citations empruntées à Jean Giono. La copie presque phonétique du langage des paysans rend la lecture parfois difficile. Ceci dit, l’auteur connaît beaucoup de vieilles expressions qui pourraient intéresser les linguistes. 

Onésiphore Terrien (ne vous fiez pas au jeu de mots, le roman n’est pas humoristique) possède une terre qui a toujours appartenu à ses ancêtres. Vieux et veuf, il fait donation à son fils aîné Onésime qui doit en retour assurer ses vieux jours. Celui-ci entend dire que certains compatriotes sont partis en Alaska et en sont revenus couverts d’or. Un automne, trois ans après son mariage, plutôt que de prendre la route des chantiers, il décide d’aller tenter sa chance au Klondike. Il en revient un an plus tard, enrichi, mais entre-temps sa femme enceinte est morte avant même d’avoir mis au monde son enfant. Peu importe, un an plus tard il épouse sa belle-sœur Malvina. Comme il est riche, il doit s’occuper de son argent et il néglige sa terre. En fait, il est toujours en ville pour affaires. Sa femme, inquiète de le voir seul dans un tel lieu de perdition, lui propose de vendre la terre et de déménager à Québec. Quand le vieux Onésiphore apprend la nouvelle, il argumente tant qu’il peut pour que son fils change d’idée. Rien n’y fait, celui-ci est bien décidé. Le vieux en meurt.

On y trouve tous les clichés agriculturistes : le mariage du paysan avec sa terre, le lien entre la terre et le divin, le chapelet des générations, le devoir de mémoire, le désir du descendant mâle, la femme procréatrice, la ville corrompue...

La seule particularité du roman, c’est l’insistance sur l’incompatibilité entre la terre et l’argent. Mais encore une fois, c’est une vieille idée que les terroiristes ont développée pour garder les paysans en dehors des villes, canadiennes ou américaines.

Extraits

« On aime la terre ou on aime l’or.
Il est impossible d’aimer les deux à la fois.
Le cultivateur a beau être riche de terre, de soleil, de liberté, il n’est jamais riche d’or. Il sait que l’or, ça ne vaut rien. L’étalon-or ne l’intéresse pas, l’étalon tout court, oui. » (p. 19)

« Son homme, trop occupé par la question monétaire néglige celle qui a nourri toute la lignée. Cette pauvre terre soupire en silence de ne pas être fécondée, de pas être  déchirée par le socle de la charrue, comme elle l’a été depuis de très nombreuses années. Son sein ne renferme plus les produits qui la gonfle; orgueilleuse de son utilité, de son indispensabilité.
Onésime néglige autant sa femme que sa ferme. C’est à peine s’il a le temps de songer à se faire des héritiers. Depuis trois ans qu’il est marié Malvina, elle ne lui a donné qu’une fille, Marie-Blanche, à peine âgée d’un an. » (p. 44)

« L’or qui empêche la multiplication des sillons, des terres, des enfants, des familles, des paroisses. » (p. 48)

« Ce soir-là, la terre ne procure aucune jouissance, c’est qu’on la trompe, elle, la terre, elle qui pendant des années se laissa féconder en souriant pour enfanter le pain de l’hostie comme le pain de ménage, sans jamais regimber, en acceptant toujours son lot.
C’est que la terre tient rancune, elle tient rancune tant qu’on a pas fait la paix avec elle; tant qu'on ne l’a pas aidée à remplir la tâche qu’elle a à faire dans la création, la création perpétuelle. » (p. 60)

« Les gens d’la ville sont des dévergondés, des galvaudeux, des fainéanteux, des gambardeux. » (p.  63)

L’auteur cite Savard et Ringuet.
Il décrit une soirée d’élection.

16 septembre 2016

Fleurettes canadiennes

Oswald Mayrand, Fleurettes canadiennes, Chez l’auteur, Montréal, 1905, 88 p. (Portrait de l’auteur en frontispice) (illustré de planches hors texte d’Albert Ferland, Albert Samuel Brodeur, Georges Latour, Paul Caron, Edmond-Joseph Massicotte et Joseph Labelle.)

Oswald Myrand est le fils de Zéphirin.

Le livre est richement illustré. Cependant, Stéphanie Danaux  (L'iconographie d'une littérature) a raison de déplorer le « manque d’unité visuelle », « la médiocrité de la reproduction photomécanique » et de conclure que « Fleurettes canadiennes reste une édition mineure, tant du point de vue littéraire qu’artistique ».

Le recueil compte trois parties : Chants d’enthousiasme, Histoire et légende, Vers plus intimes.

Dans un poème liminaire, le poète énumère tous les gens à qui il dédie son recueil.

Chants d’enthousiasme
Le poète a réuni des poèmes qui témoignent de ses exaltations, de ses plaisirs, de ses émotions. Cela va de la femme idéale jusqu’à la patrie en passant par la nature, la liberté et la fête de Noël.  « Un front majestueux où plane le génie, / Des yeux illuminés par le feu d'un grand cœur, / Une bouche au sourire exempt de tour moqueur, / Une voix dont le calme exhale l'harmonie »

Histoire et légende
Le titre m’apparait plus ou moins juste. Il évoque la bataille de Saint-Eustache et la guerre de 1870 contre les Prussiens. Les éducateurs de Ferme-Neuve ont droit à ses éloges. Enfin, il y a la « Légende des guérets » : un laboureur qui ne respecte pas le repos obligatoire du dimanche est englouti sous une avalanche de pierres. « La terre tressaillit sous l’œil du Créateur : /  Ouvrant son sein d’argile au vil blasphémateur ».

Vers plus intimes
Le titre aurait aussi pu être « Vers plus personnels », personnels dans le sens qu’ils sont souvent des vers de circonstances : deux acrostiches sont dédiés à des jeunes filles, quelques poèmes à ses amis dont un qui fut frappé par la foudre, l’un à une religieuse, etc. Le meilleur poème et le seul qui mérite un petit détour, c’est celui qui clôt le recueil. Le voici.


PENSÉE ULTIME

À toi que j'estimais le meilleur de moi-même,
En qui j'avais rêvé d'éterniser mon nom,
À toi, Georges, mon fils, cette page suprême
D'un si lugubre ton.

Jusqu'à ce vingt novembre, en l'an dix-neuf-cent-quatre,
Jamais je n'avais vu mourir un être humain.
Près du mien, le premier ton cœur cessa de battre:
Douloureux lendemain !

J'appris comment on meurt, c'est toi qui fus mon maître
Enfant, dors doucement le sommeil du tombeau,
En attendant le jour où nous pourrons connaître
L’éternel renouveau.


Montréal, 20 novembre 1904.



Gerbes d'automne

 Zéphirin Mayrand, Gerbes d’automne, Chez l’auteur, Montréal, 1906, 110 pages.

Le recueil est coiffé de trois hors-textes : il est dédicacé à «  l’honorable J. E. Robidoux », président de l’Alliance française de Montréal. Suivent une « Appréciation » de Robidoux et une espèce de préface de Mayrand.  Ce dernier considère son recueil comme un acte patriotique : « Si je puis contribuer à répandre le goût de la littérature nationale, j’aurai fait un acte de patriotisme. »

Comment l’auteur a-t-il choisi  l’ordre des poèmes, je ne saurais dire. Ce n’est ni chronologique, ni  thématique, ni formel. Le recueil s’ouvre sur une « Hymne à Pie X » qui date de 1860! Suit un poème de dépit amoureux, « Le regret », daté de 1864. Un poème est même daté de 1855. C’est donc le recueil d’une vie que le notaire versificateur Zéphirin Mayrand publie en 1906. Il était venu le temps de récolter ces « gerbes d’automne ».

L’essentiel est composé de « poèmes de circonstances », ce que disent bien les titres : « Sainte-Anne-de Beaupré »;  « Alma mater »; « L’exposition colombienne »; « Le nouvel an »; « La messe de minuit »…  Plus loin, ce sont Léon XIII, la reine Victoria, Wilfrid Laurier, Pie X, Monseigneur Archambault qui se voient gratifier d’un poème.

On trouve aussi plusieurs poèmes  qui évoquent la nature : « L’érablière canadienne! », « Le soleil de mars », « Le retour des oiseaux ». « À mon orme » : « Ormes aux puissants rameaux, vaillante sentinelle / Tu gardes mon chalet contre les chauds rayons ». Ouf!

L’aspect religieux est très présent. Un poème s’adresse à un jeune homme qui entre en religion,  « Le sacerdoce »; et un autre donne la parole à une jeune fille de 17 ans qui entre chez les religieuses, « Adieu d’une jeune fille au monde » : « Je suis jeune, il est vrai, pour me faire novice / Fuir tout ce qui sourit, ah! Quel grand sacrifice! »

Bref, tout cela est très convenu, sans surprise. Des strophes régulières (presque toujours des quatrains de douze pieds), quelques sonnets.

On le sait, plusieurs notaires, en attendant les clients, « versicottaient ». Mayrand et son fils s’inscrivent sous cette bannière. Zéphirin a poussé l’exercice un peu plus loin en écrivant un poème sur le métier de notaire :

LE PARFAIT NOTAIRE
Au cercle des notaires
Ma muse m’a suivi,
Et malgré mes colères
Ne bouge pas d’ici.

Je crains, je la redoute :
Elle dira beaucoup,
Babillera sans doute,
Surtout prenant un coup.

Elle dit que nous sommes
Tous de braves garçons,
De parfaits gentilshommes
De sages tabellions ;

Que notre ministère
Est entouré de paix ;
Qu’il est tout débonnaire,
Ennemi des procès.

[…]

L’allégresse accompagne
Le vrai tabellion ;
Banquettant au champagne,
Il signe à sa façon.

Est-il un seul confrère
Qui ne soit par devant ?
Non, jamais par derrière ;
Bon courage ! en avant !

En bonne compagnie
Il aime le plaisir ;
Il sait goûter la vie
Et bien se divertir.

Puis au travail austère
Il consacre son temps :
Il est parfait notaire
Et tout à ses clients.


Montréal, 6 février 1899.

8 septembre 2016

Au diable vert

Armand Yon, Au diable vert, Paris, éditons Spes, 1928, 255 pages.

Première partie
La population de Marsouins (Marsoui) attend M. Ernest Lalonde, un Montréalais qui s’est porté acquéreur de la scierie locale.  Celui-ci doit étrenner un nouveau tronçon de route, ce que le jeune Félix Gervais, 16 ans, attend impatiemment lui qui n’est jamais sorti de son village. M. Lalonde, un veuf, est accompagnée de sa sœur et de sa fille de 13 ans Edna, une jeune demoiselle gâtée et pas très commode.  L'industriel passe l’été à Marsouins pour remettre en marche l’usine. Avant de retourner en ville, il promet au jeune Félix de prendre en charge ses études.

Deuxième partie
Un an plus tard, Félix débarque à Montréal, habite chez son bienfaiteur, poursuit des  études commerciales. Monsieur Lalonde agit comme un véritable père pour le jeune homme. Trois ans passent, Félix s’ennuie fermement, mais réussit fort bien ses études, au terme desquelles il rêve de revenir chez lui. Monsieur Lalonde s’ouvre sur ses projets : il aimerait que Felix épouse sa fille et prenne sa suite. Un vol se produit chez les Lalonde.

Troisième partie
Beaucoup d’indices laissent croire que Félix pourrait être l’auteur du vol, ce que M. Lalonde peine à croire.  Félix n’est pas là pour se défendre, car il a dû interrompre ses études et retourner à Marsouins où son père est très malade. Quelque mois plus tard, M. Lalonde, par hasard, découvre les objets qui ont servi au vol dans la commode de sa fille, qui a agi par jalousie. Pour la punir, il décide de se remarier. Et, à l’été, il  se rend à Marsouins, avec sa nouvelle épouse, pour servir de père à Félix qui doit épouser la maîtresse d’école. M. Lalonde le nomme aux commandes de sa scierie à Marsouins.

C’est un roman d’une extrême sobriété, pour ne pas dire sans éclats, sans relief. L’auteur s’adresse aux lecteurs européens et beaucoup de passages didactiques leur expliquent le mode de vie et le langage des Canadiens. D’ailleurs, dans l’intro, Yon explique aux Européens pourquoi le Québec ne saurait se réduire à Maria Chapdelaine. Les agriculteurs de 1928 n’ont plus rien à voir avec l’irréductible défricheur qu’incarnait Samuel Chapdelaine : « ils dorment sous un toit fixe, et l’effort initial de leur pères leur vaut déjà une certaine aisance ». On est quand même surpris qu’un roman campé en Gaspésie donne aussi peu d’importance, à la pêche et au fleuve.

L’abbé Armand Yon vivait en France quand il a écrit de roman. Il avait passé des vacances à Marsouins.

Extrait
Une ère nouvelle allait donc s’ouvrir pour Marsouins, qui ne recevait en toute saison que de rares voyageurs de commerce et, pendant les mois d’été, quelques touristes séduits par l’étonnante beauté du paysage. Un riche industriel de Montréal, M. Ernest Lalonde, venait d’acheter récemment de la Duchesnay lumber C° sa scierie — ou son moulin à scie, comme on dit là-bas — fermée depuis la guerre. Félix voyait déjà les billots descendre en files pressées le cours de la Rivière aux Marsouins ; il entendait le sifflement des scies rondes, alors que de nombreuses goélettes se balançaient au quai, attendant leurs cargaisons de madriers, de planches, de lattes, de bardeaux...

Et il avait confiance que les gains de son père lui permettraient d’aller étudier à Québec ou à Montréal — son rêve !

— J’en ai assez, se disait-il, j’en ai assez de notre petite école. Renoter toujours la même chose, cela devient achalant !

Plutôt délicat, quoique bien musclé, Félix paraissait à peine ses seize ans. Pendant l’été, il relevait en brosse ses cheveux blond cendré, ce qui donnait à sa figure un air plus mâle. Il avait les bons yeux gris, un peu bridés, d’un chat tranquille. Bien que sympathique, l’ensemble accusait presque une origine anglo-saxonne.

À la vérité, son grand-père avait abordé tout jeune en Gaspésie, comme tant d’autres émigrants anglais venus, depuis plus d’un siècle et demi, de l’île de Jersey. Ces nouveaux colons s’établirent sur la côte, où ils s’adonnèrent surtout à la pêche de la morue pour le compte de la puissante Cie Robin. Convertis au catholicisme par les missionnaires, ils épousèrent des Canadiennes, et de ces mariages est sortie une génération vigoureuse, alliant à l’énergie britannique les qualités plus nuancées des populations du Québec. (p. 15-16)