26 février 2021

Les voix

Oscar LeMyre, Les voix, MontréalImprimerie Modèle, 1929, 284 pages. (Préface de Paul Morin) 

« C’est un honneur qu’il m’accorde, mais, en vérité, je me demande pourquoi. Il fait fi de tout ce qui me plaît – musique, couleur, recherche de la forme, culte de la rime. » (Paul Morin)

 

Il y a les voix pures, les voix jeunes, les voix douces, les voix glorieuses, les voix brisées et les voix consolantes. Vous l’avez compris, ce sont les différentes parties du recueil. Précisons que plusieurs poèmes sont déjà parus dans ses recueils antérieurs : Un peu de vie et Rêver, chanter, pleurer.

 

Les voix pures, ce sont celles de la première enfance. Les voix jeunes rappellent les premières amours. Les voix douces sont celles de l’amour. Les voix glorieuses magnifient la patrie. Les voix brisées évoquent le deuil, les amours perdues et la solitude. La générosité de la nature, du rire, des fêtes religieuses… composent les voix consolantes.

 

Le recueil est interminable mais d’une limpidité… souvent le poème s’étire et s’étire et devient récit. Comme l’auteur l’a dit à Paul Morin : « J’ai regardé la vie et j’aurai atteint mon but si je réussis à produire chez le lecteur les mêmes impressions que j’ai ressenties. » Mais comme Morin le dit poliment, le vers de Le Myre est souvent un peu fade.

 

VOS YEUX

Sous leur sombre reflet d’ébène ou de velours,

Où doivent se cacher tant de choses qu’on aime. 

Rêves tristes parfois, ou visions d’amours,

Vos jolis grands yeux noirs vivent tout un poème.

 

Ils brillent d’un éclat tendre, mystérieux,

Où l’on croit deviner quelque chose d’extrême, 

Quelque penser profond qu’ils recèlent, vos yeux 

Faits de diamants noirs, où vit tout un poème.

 

Vous insulterez-vous si mon rêve, un instant,

Se repose en leurs cils? C’est que mon cœur les aime.

Vos yeux de paradis, à l’éclat doux, troublant,

Vos deux perles d’aurore, où vit tout un poème.

19 février 2021

Un peu de vie

Oscar Le Myre, Un peu de vie, Montréal, Imprimerie Modèle, 1923, 134 pages. (« Simple présentation » de Gustave Comte)

Comme Gustave Comte l’exprime dans sa présentation, Le Myre « s’est appliqué à peindre des sujets vécus, et […] a souffert ou souri avec ses héros ». Ce que Comte annonce, c’est que nous sommes en face d’un auteur qui n’hésite pas à jouer sur les sentiments. 

Le livre est dédié à son père qui lui a enseigné « qu’il fallait, pour ne pas se heurter / Aux écueils du chemin, aux ronces de la route, / […] comprendre, étudier, écouter ».

Rien d’original du point de vue formel : des poèmes longs, découpés en strophes inégales, écrits en alexandrins.

On est au lendemain de la guerre et il aurait été difficile de clamer que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.  Le Myre ne tombe pas dans ce piège, même si l’ensemble de son recueil est plutôt optimiste. L’auteur se penche sur son passé et recueille des souvenirs tantôt tristes et douloureux, tantôt joyeux. Le deuil, l’entrée d’une amie au cloître, une enfant qui vient de perdre sa mère, le retour dans son alma mater, la première communion d’une petite cousine, le départ de jeunes hommes pour la guerre, la guerre elle-même, la jeunesse, beaucoup de poèmes d’amour, quelques déconvenues, voilà grosso modo les sujets du recueil. Dans les dernières pages, Le Myre présente quelques poèmes plus narratifs, entre autres sur Noël, qui veulent tirer les larmes par la mise en scène de petits pauvres, de vieillards abandonnés et d’orphelins.

Le Myre se tient loin de la bagarre que les terroiristes et les exotistes se livraient à l’époque. Deux poèmes ont comme sujet les yeux bleus de sa bien-aimée. En voici un.

TES YEUX

Tes yeux, quand ils sont gais, ont des lueurs d’aurore.
          Un matin de printemps,
Brillants comme un matin joyeux, qui vient d’éclore,
          Dans des rayons ardents.


Quand ils rêvent, ils sont immenses comme l’onde,
          Tes grands yeux caressants,
Aussi bleus que la mer, aussi grands que le monde.
          Et toujours éblouissants.


Quand ils chantent, joyeux de quelque douce ivresse,
          Et fermés à demi,
Tes yeux ont des trésors d’adorable caresse,
          Et d’amour infini.


Quand ils pleurent, parfois, pleins de tristesse amère,
          Alanguis, douloureux,
Sous les diamants perlés qui cachent ta paupière,
          Comme ils sont beaux, tes yeux!


Mais rieurs ou chagrins, pleins de joie ou de peine,
          Rien n’est plus enchanteur
Que l’éclat caressant de tes grands yeux de reine,
          De tes yeux de bonheur!

11 février 2021

La championne

J. Wilfrid Pion, La championne, Montréal, Éditions modèles, 1945, 271 p. 

Louis Ricard a tout perdu : sa femme, son magasin, sa santé mentale, puis sa vie. Il laisse derrière lui une orpheline qu’il a confiée à un cousin. Ce dernier ne sait pas qu’un grand-oncle lui a laissé 50000$ dont elle pourra jouir à l’âge adulte. Il croit que le père s’est fait voler la somme, avant de sombrer dans la folie et de mourir. 

Marie-Jeanne, la jeune orpheline, est très heureuse avec ses parents adoptifs, même si ceux-ci ont déjà plusieurs enfants et vivent pauvrement du travail de la terre à Saint-Rémi. Marie-Jeanne est surnommée ironiquement « la championne » et souvent malmenée à l’école, puisqu’elle est toujours première de classe et récolte tous les prix (Lire l’extrait). Le temps passe, elle grandit, travaille comme servante chez le maire de la paroisse, dont la fille était sa tortionnaire à la petite école. Elle finit par amadouer cette « pimbêche » qui se croit au-dessus de tout le monde puisque son père a de l’argent. Un garçon la courtise et puis, un jour, une révélation s’impose à elle : elle deviendra religieuse. Ayant atteint sa majorité, un article dans un journal, qui énumère des biens non réclamés, révèle l’héritage de 50000$ qui l’attend depuis le décès de son père. Ayant fait quelques dons, elle laisse le reste de la somme à ses parents adoptifs. 


La championne est un roman mélodramatique avec les ficelles habituelles. Les pauvres sont bons et plus catholiques que le pape, alors que les riches sont vénaux et méchants. Et les riches ne cessent de menacer les pauvres. Heureusement qu’il se trouve quelques âmes charitables, dont Monsieur le curé, pour voler à leurs secours.

Ce qui étonne, c’est de constater que l’auteur bâtit son roman sur les différences de classes sociales. On est dans une toute petite paroisse et il serait bien surprenant que les filles de riches soient obligées d’épouser les garçons des riches.  Par exemple, le riche voisin des Ricard refuse que son fils fréquente Marie-Jeanne. Bien entendu, quand il apprend qu’elle va hériter, à deux reprises il se rend au couvent pour la ramener dans notre monde. 

C’est un des romans qui donne le plus de place à la religion que j’ai lus. Les personnages s’y réfèrent continuellement pour expliquer ce qui leur arrive, joies ou déboires, réussites et hasards. 


Extrait

L’hiver et le printemps suivants passèrent sans incident notable, mais dans le cours de l’été, Jean Ricard et sa femme décidèrent d’envoyer Marie-Jeanne à l’école, lors de l’ouverture des classes, et dans ce but la maman alla la présenter et lui retenir une place dès que le curé, comme chaque année, eut annoncé l’entrée.

Elle dit à l’institutrice :

« Mademoiselle, en plus de mes trois dernières, je vous amène notre petite adoptée. J’ose espérer que si elle vous fait honte, ce ne sera que par son pauvre habillement, car je ne pourrai pas la tenir mieux que je fais pour mes autres enfants.

— « Ce ne sont pas autant les habits, si propres et si beaux soient-ils, qui m’intéressent, répliqua la demoiselle. Je préfère une grande volonté d’apprendre et je vois dans l’œil intelligent de votre fillette, une ambition qui la conduira bientôt à la tête de sa division et peut-être de sa classe. N’est-ce pas, ma chère enfant, que vous voudrez chaque jour faire mieux que la veille ? C’est en aspirant toujours plus haut qu’on obtient le résultat voulu. Notez bien ces quelques mots dont vous ferez votre devise. « Toujours mieux, pour être championne! » Voulez- vous, chère petite ?  

    Oui, je veux toujours mieux. »

Pendant le trajet du retour, l’enfant demanda :

« Qu’est-ce que cela veut dire, être championne?

    Cela signifie, répondit Madame Ricard, qu’on fait davantage ou qu’on fait mieux que tous les autres.

    Quelle sorte de championne que je peux être moi ?

    Tu peux être championne partout. Dans la prière en la récitant chaque jour plus pieusement. Dans l’étude en ne te laissant pas dépasser par tes compagnes. Dans le travail en t’efforçant de faire chaque fois plus et mieux que n’importe qui.

     Eh bien! moi, je veux être championne par- tout. Vous verrez. Je veux savoir aussi vite que la maîtresse pourra me montrer. Je prierai Jésus en championne pour qu’il m’aide. Il me l’a dit, l’autre fois dans l’église, et je m’en souviendrai toujours. »

Le premier jour de classe arrivé, Marie-Jeanne s’en alla à l’école. Les autres enfants l’entourèrent bientôt, car les conversations tenues dans la paroisse à son propos les avaient familiarisés avec cette fillette que tous semblaient vouloir accaparer. Parmi ses nouvelles compagnes anxieuses de l'examiner et de la questionner, se présenta la fille du maire. Fière de la richesse et du prestige paternels, Laure Coran haussait facilement le ton et usait librement de la tape envers les plus pauvres dont elle riait à cœur joie.

« Comme cela avec les nouveaux bébés, nous avons maintenant la trouvaille des Ricard. Que viens-tu faire à l’école ? » dit-elle.

     Je veux apprendre à être championne. La maîtresse a dit que c’est beau être championne.

    Quelle risée! Une trouvaille en guenilles qui veut être championne. Mais championne en quoi ?

    Championne partout! »

La naïveté de cette réponse, au lieu de valoir à l’orpheline l’admiration que méritait sa noblesse, lui fut plutôt funeste parce que cette ambition encore contestable à son âge, donna prise aux railleries des autres élèves.

« Ah! tu veux être championne! C’est malheureux que nous entrions en classe dans une minute, sans quoi, je te donnerais une première leçon! »

Revenue au logis, le soir de ce premier jour de vrai labeur pour une enfant de son âge, Marie- Jeanne n’eut rien de plus pressé que de dire à Maman Ricard :

« La maîtresse nous a fait dire nos lettres que je savais toutes, parce que j’ai écouté mes sœurs quand elles les apprenaient. Puis elle a dit de faire tout pour Jésus. Je le Lui avais déjà promis. Il me faut maintenant tenir ma promesse et je serai cham- pionne là aussi. »

Après le coucher des enfants, Jean dit à sa femme : « Quelle vraie leçon nous donne cette chère petite par sa résolution d’être championne pour le Bon Dieu! Je t’assure que si elle n’oublie pas ce principe et qu’elle en fasse vraiment la devise de sa vie, elle sera la joie de nos vieux jours. Les saints n’ont pas fait mieux. » (p. 91-93)

5 février 2021

Erres boréales

Florent Larin (Armand Grenier), Erres boréales, Montréal, Ducharme, 1944, 223 pages. (préface de Damase Potvin et illustrations de l’auteur?)

Voici un roman de science-fiction dont l’action se passe en 1968. Par un stratagème scientifique assez nébuleux, les Jeunes-Laurentie (des nationalistes) ont réussi à dompter le « courant froid du Labrador », ce qui a réchauffé le climat et permis de développer le Nord. Ceci se passait dans les années 40-50. Aussi tout le grand nord est devenu un pays de verdure parcouru par les autos, les avions, ponctué de villes industrielles. Les Canadiens francais, encore hier simples porteurs d’eau, ont enfin dompté la « terre de Caïn ». (Ils ont même réussi à confiner les épaulards « qui semaient le carnage et la terreur parmi les autres espèces ».) 

 

Le fil narratif est pour ainsi dire inexistant. Grenier (né en 1910 à Saint-Prime) raconte l’histoire de Louis Gamache. L’action commence à Québec où, après une vie aventureuse, Gamache vit avec la famille d’un neveu. Ce dernier, voyant que son oncle s’ennuie, lui propose un voyage à Carillon dans le Nord. Gamache a vécu avec les Esquimaux, a épousé l’une d’elle, a eu un enfant qu’il n’a pas connu. Le reste du roman raconte leur voyage. Ils suivent le fleuve, bifurquent vers le Labrador (redevenu québécois), traversent plusieurs villes, plus industrielles les unes que les autres, arrivent en Innuit, le pays des Esquimaux. Louis Gamache retrouve son enfant et meurt au terme du voyage. 

 

Roman maladroit, presqu’illisible, où les descriptions écrasent le récit. On a l’impression que l’auteur a ajouté des personnages pour que le tout tienne un tant soit peu. Le roman est un récit de voyage, mais les repères temporels et spatiaux sont obscurs. Même la carte de ce « nouveau Québec », que Grenier ajoute à la fin du récit, ne nous permet pas de nous y retrouver. L’écriture est boursouflée, les termes techniques et les néologismes abondent, si bien que l’auteur a dû ajouter un lexique à la fin. On comprend mal que Damase Potvin recommande ce roman dans la préface : rien n’est plus éloigné de Potvin. C’est désolant, puisque l’idée était bonne. Grenier a écrit un autre roman que je n’ai jamais vu : Défricheur de Hammada.

 

Extrait [avec les fautes]

« Et, tandis qu’on s’éloignait, à droite, du pont Lévis qui relie à Carillon l’Île Chanceuse, dite   aussi de Ste-Foy, tandis qu’on rasait la pointe du pédoncule d’Estrée, qui porte, sur le site de l'ancien glacier de Grinnell, les mines de fer de Guèvremont, un autre centre de réflexion solaire se dégagea graduellement du labyrinthe des îles qui obstruent le fond de la baie de Beaujeu. C’était Gahéla, la fière capitale de la province subarctique des Ericarts. Penchée comme une ouvrière sur la nappe frangée et flasée de verdure que lui avance l’océan, elle ramasse autour d’elle le marbre rouge des calcaires cambrosiluriens, et le cuivre des formations précambriennes où chante le jaune laiton du chalcopyrite auprès du bleu violacé de la bornite. L’Emérillon planait à trois mille cinq cents pieds dans les airs. Son ombre rapide, qui, tout à l’heure, courait bien bas dans la plaine, le rejoignit presque, à la rencontre du mont des Fossiles. Ce tubercule, planté d’arbres laurentien jusqu’à son faîte, est devenu un parc provincial en même temps qu’un sanctuaire d’oiseaux. A son flanc sud s’accroche un spatieux sanatorium embouqueté de mélèzes et de sapinettes bleues. Le fameux observatoire qui en occupe la cime est devenu, grâce à l’attraction de ses manoirs et de ses chalets, le rendez-vous et le paradis de tous les soi-disants amis des étoiles. » (p. 88-89)