29 avril 2021

Fleurs du Saint-Laurent

Georges Boulanger, Fleurs du Saint-Laurent, Éditions canadiennes, Québec, 1929, 154 pages. (préface de l’auteur)

Le recueil est dédié à Camille Roy et Athanase David.

Contrairement à beaucoup d’auteurs qui s’excusent de publier, Boulanger fait preuve de beaucoup de confiance en son art et même en sa préface. « Les préfaces sont nécessaires et utiles et elles sont lues. Elles ne me font pas peur, je les aime et je les recherche. »

Le recueil compte 150 pages d’une seule venue, si ce n’est une section à la fin intitulée « Sonnets ». Cela pour dire qu’il n’y a pas vraiment de structure dans le recueil.

Quant au contenu, on pourrait distinguer plusieurs thématiques. Les poèmes sentimentaux sont assez nombreux, mais plutôt ternes. Les poèmes philosophiques se terminent souvent en « conseils moraux », comme dans « Conseils de mère ». Le recueil contient quelques poèmes de circonstances : sont honorés le curé Turcotte de Sainte-Agathe, l’honorable J. Edouard Caron (une hymne au terroir), Alphonse Désilets. Un autre poème souligne le cinquantenaire de la Garde Jacques Cartier. À quelques reprises, le poète nous sert de petits poèmes sans autre but que de faire sourire, comme dans « L’erreur du petit poulet » : « Un beau petit poulet un jour / S’en vint demander à sa mère / Pour descendre sur la rivière, / Avec les canards faire un tour. » (Oui, la syntaxe est malmenée.)

Là où Boulanger se démarque, c’est dans ses poèmes patriotiques. Non pas que ceux-ci soient originaux ou bien menés. C’est davantage le message. Boulanger prône l’indépendance du Québec. Ses poèmes veulent secouer les Québécois qui, selon lui, se sont endormis dans leurs chaînes.  Disons que Boulanger ne mâche pas ses mots. On n’est pas loin d’un appel aux armes : « Mais si par un oubli digne des plus vils traîtres / Vous ne vous tenez pas debout comme un soldat, / Prêt à sauvegarder la cause des ancêtres, / Au sublime passé, vous êtes renégat / Vous devez expier du haut de la souffrance / Le crime d’éviter la juste résistance. » Ou encore : « Aujourd’hui plusieurs nous sommes / À vivre dans ce pays / Mais bien loin d’être des hommes / Nous servons nos ennemis. // Moins fidèles que nos pères / À se servir du fusil / Nous ne serons pas prospères / Tant qu’on sera sur le gril. »

Sur Georges Boulanger

Voir aussi L’Heure vivante

 

27 avril 2021

L’heure vivante

Georges Boulanger, L’heure vivante, s.n., Québec, 1926, 113 pages. (préface de Louis-Joseph Doucet)

Le recueil compte cinq parties : Pensées religieuses, Foyer, Choses volages, Badinages et Poème de la vie et de la mort. Dans la préface, Doucet écrit : « C’est un livre de poésie qu’il ne faut pas juger comme le ferait la Statue porteuse de la balance toujours en équilibre en face de l’humanité. »

Poésie dans la tradition du XIXe siècle : sonnets, ballades, rondeaux, rimes.

Dans « Pensées religieuses », on lit des poèmes sur Noël, les rois mages, les cimetières. La partie intitulée « Foyer » est assez éclectique : ça va d’un poème sur la maison, en passant par quelques œuvres patriotiques jusqu’à un texte assez philosophique sur le sable, « miroir de l’existence ». « Choses volages » regroupent des petits poèmes sentimentaux, amusants. Les « Badinages » ont plusieurs objets, la plupart, comme il se doit, très légers : « Pour se maintenir gros et gras, / Faut toujours un fromage en vue ». Enfin « Poème de la vie et de la mort » compte 24 strophes. Le poète s’est amusé à augmenter le nombre de syllabes d’une strophe à l’autre. La première est monosyllabique, la douzième est écrite en alexandrin, puis le vers décroit et se termine par une strophe monosyllabique. Le sujet est à l’avenant : on commence par un enfant qui évolue vers l’âge adulte et on finit avec un mourant.

LE CHOCOLAT

Ah oui! ta boîte elle est jolie,
Ton chocolat il est bien bon;
C’est bien meilleur que du bonbon,
Mais voilà, c’est de la folie !

Moi, je te suis toujours polie,
Mais mon père, il est furibond :
Ah oui! ta boîte elle est jolie !
Ton chocolat il est bien bon !

Il va falloir que l’on s’oublie,
Que notre amour soit moribond
Si tu ne veux faire un faux-bond,
Car devant mon père tout plie !
Ah oui! ta boîte elle est jolie.

6 mai 1924

25 avril 2021

Confidences d’écrivains canadiens-français

Adrienne Choquette, Confidences d’écrivains canadiens-français, Trois-Rivières, Le bien public, 1939, 237 pages.

Ce livre est, à ma connaissance, le premier du genre au Québec. Adrienne Choquette a rencontré 33 auteurs.trices et leur a tiré des confidences sur leurs œuvres. « Il sera d’un vif intérêt pour le lecteur d’apprendre comment s'est précisée la vocation d'écrivain de nos auteurs, à quelles sources elle s’alimente, à quelles exigences elle obéit et ce quelle prétend imposer. Les mêmes questions ont été posées à chaque écrivain, mais on se rendra compte de la grande diversité de sentiments qui transparaît dans les réponses. » Voici la liste des auteurs.trices : Victor Barbeau, Harry Bernard, Jovette Bernier, Roger Brien, Jean Bruchési, Émile Coderre, Marie-Claire Daveluy, Pierre-A. Daviault, Rex Desmarchais, Alfred DesRochers, Léo-Paul Desrosiers, Raymond Douville, Jeanne L’Archevêque-Duguay, Louis Francoeur, René Garneau, Berthe Guertin, Edouard Hains, Jean-Charles Harvey, Maurice Hébert, François Hertel, Léopold Houle, Michelle LeNormand, Clément Marchand, Olivier Maurault, Gérard Morisset, Moïsette Olier, Odette Oligny, Albert Pelletier, Damase Potvin, Eva Senécal, Françoise Gaudet-Smet, M. l'abbé Albert Tessier, Valdombre. Comme je viens de bloguer quatre livres de Jovette Bernier, c’est son entrevue que je présente.

Jovette BERNIER

Je crois que la petite anecdote suivante pourra servir très éloquemment de préambule. Il y a deux ou trois ans, il m’arriva de prononcer le nom de Jovette Bernier devant une jeune paysanne. Comme elle n’avait pas l’air de connaître la poétesse-romancière, je m’étonnai.

— Comment! vous ne savez pas qui est Jovette Bernier?

 — Jovette Bernier…

— Mais voyons, à la radio…

— Vous voulez dire Jovette de « Bonjour Madame » et celle de l'Illustration?

Son visage s’éclaira brusquement d’un large sourire.

— En ce cas! Mais bien sûr que je sais qui est Jovette. Tout le monde d ici vous répondra la même chose, du reste. Son prénom nous est même si familier que nous en oublions parfois son nom de famille. C’est ce qui vous explique ma méprise d’il y a un instant.

Et voilà, point n’est besoin de commentaire. Disons seulement que l’extraordinaire popularité de Jovette Bernier s’explique facilement: d’abord par ses romans et ses volumes de poésie qui sont toujours le cri de la vie passionnée, douloureuse et magnifique, par ses billets et ses causeries débordants de spontanéité, de fantaisie et d’une philosophie souriante, à la portée de tous, tandis qu’elle-même, d’un abord si constamment cordial et sympathique, a le don de nous convaincre qu’il faut toujours, malgré tout et tous, avoir du courage, de l’espoir et aimer de toutes ses forces l’effort qui porte sa propre récompense. Tout cela presque sans paroles et peut-être sans qu’elle s’en doute. Car si Jovette n’est pas une donneuse de conseils, elle est une agissante. Et comme exemple, n’est-ce pas. ça vaut mille fois mieux!

— Une enquête ? me dit Jovette Bernier d’un air malicieux, c’est toujours quelque chose qui sous met la puce à l’oreille. Tout de suite, on se demande si l’on a la conscience bien tranquille et il arrive que l’on n'ose pas parler, crainte de passer pour ce que l’on est...

Justement, les lecteurs du Mauricien en ont assez d’imaginer sur vous un tas ce choses qui ne les contentent jamais. Dites-leur généreusement la vérité.

Et la vérité arrive dans un sourire amusé et moqueur.

— À quoi j’attribue ce que vous nommez ma vocation littéraire? — D'abord, suis-je sûre d’avoir écrit par vocation? Et pourrais-je le prouver? Naturellement, quand on opte pour la plume (plutôt que pour tout autre outil on se croit plus ou moins appelé par quelque signe cabalistique des dieux qui, au fond, se fichent pas mal de nous. (C’est tout juste s’ils se donnent la peine de sourire quand nous nous prenons au sérieux). Non vraiment. Je crois que c’est d’un coup de tête que je me suis mise a écrire, pour voir ce qu’en dirait la critique parce que l’on m'avait toujours dit que « la critique est un être qui se mêle de ce qui ne la regarde pas », ou encore: « un lecteur qui fait des embarres ». Ce n’était pas vrai. — Et puis, je vous avoue que j’ai écrit aussi, parce que ça me chantait d’écrire. D’ailleurs, si je vous disais que j’ai entendu des voix, vous ne me croiriez pas. Je n’ai pas eu de vision non plus. Mais, la mer était proche, et le bois aussi, et ce sont eux, je pense, qui m’ont un peu poussé la main. Mais là encore je ne puis jurer de rien.

La mer, les bois. Oui, la chanson bleue des vagues insaisissables et celle des sentiers aux arômes résineux ont bien pu jeter l’éveil de la poésie dans cette âme frémissante.

— Vous dites? mes débuts?

Jovette murmure pensivement.

— Mes débuts, c’était la belle foi naïve que je n’ai jamais pu retrouvé si pleine; c’était l’admiration d’un seul maître: Hugo. Et si j’ai montré dans mes vers quelque faiblesse pour la lune, ce sont sans doute les paysages lunaires de Hugo qui m’ont envoûtée avec son « moissonneur de l’éternel été et sa faucille d’or dans le champ des étoiles » ! Mais avouez qu’il y avait de quoi...

Comme on sent qu’elle l’admire encore profondément ce seul maître dont le vieux nom majestueux la secoue d émotion!

— Quant à votre troisième question, pour ce qui est des écrivains français ou canadiens, morts ou vivants, qui ont marqué notre littérature, parlons d’abord des Canadiens:

À la fois, morts et vivants, je les aime tous, parce qu’ils sont mes frères.

Quant aux Français, ils ont tous fait école, et si j’allais placer un tel, disciple de tel autre, je les blesserais tous les deux. Et je sais parmi eux bien des vivants qui gagneraient à être morts.

La sonnerie de la porte et celle du téléphone, qui résonnent simultanément permettent tout juste à Mademoiselle Bernier de me déclarer encore:

— Les auteurs étrangers que je lis? — Je lis quelquefois, et dans le texte, Homère, Tsao-Chang-Ling et Valéry.

Je ne peux m’empêcher d’être abasourdie.

— Vous lisez des auteurs chinois? Ce Tsao-Chang-Ling...

Mais Jovette s’éclipse en riant et ma foi, je fais de même! (pages 29-31)

23 avril 2021

On vend le bonheur

Jovette-Alice Bernier, On vend le bonheur, Montréal, Librairie d'Action canadienne-française, 1931, 193 pages.

Comme on le lit sur Wikipedia, le parcours de Jovette-Alice Bernier est assez exceptionnel. C’est celui d’une femme qui a suivi l’évolution de son temps, qui s’est imposée par son talent et son audace. Journaliste, autrice, scénariste, elle a écrit cinq recueils de poésie, un essai, deux romans, des radio-romans, des téléromans (Rue de l’anse) et plusieurs articles et billets dans les journaux, en plus d’animer des émissions radiophoniques.

On vend le bonheur réunit 55 chroniques (elle emploie le mot billet dans l’un de ses textes).  Que contiennent-elles ?

  • Des souvenirs du temps où elle vivait dans la région de Rimouski, souvenirs personnels (Le petit lac bleu), légendes locales (L’eau de Pâques), personnages pittoresques (Le père Toutan), faits historiques (Franciscus alias Germanicus);
  • Des contes (Si vous recommenciez);
  • Des articles sur la condition féminine (Peut-être belle mais si jolie);
  • Des billets sur l’amour (Les lettres d’amour);
  • Des tableaux de la vie urbaine (L’âme des ville);
  • Beaucoup de descriptions de la nature (Au vent du large);
  • Des réflexions : la peur de vieillir (Elle nous regarde vieillir), l’ennui (Et j’ai songé que les étoiles), la fragilité humaine (Le tribut à la prudence), l’indécision (C’est toujours demain), la souffrance (Si l’homme était Dieu);
  • Des histoires de Noël (Bériot, le vieux sonneur).

L’essai aurait pu s’intituler : « De la difficulté de vivre ». Bernier décrit l’être humain dans sa quête perpétuelle du bonheur, incapable de le reconnaitre quand il passe, rongé de regrets bien inutiles.

La dernière chronique porte le titre qui coiffe le livre : On vend le bonheur : « Trop près de son bonheur, on ne le voit pas; il y a en nous un fonds d’égoïsme qui, sans être coupable, est bien puni, quand il nous fait méconnaître les prédilections et les douceurs qui furent notre lot, quand une fois on a laissé la proie pour l’ombre. / Tant que la vie ne s’est pas mêlé de nous enseigner; tant qu’elle ne nous a pas montré du doigt nos faiblesses et nos vanités, on laisse chatoyer la chimère qui vit de nos vains soucis; on vend le bonheur pour le plaisir. »

Jovette-Alice Bernier est une femme sensible et intelligente. Avec beaucoup de perspicacité, elle se sert de son vécu pour s’autoanalyser mais aussi pour comprendre le monde autour d’elle et l’aventure humaine dont nous faisons tous et toutes partie. Ces chroniques constituent un complément obligatoire pour qui s’intéresse à la poète. En plus, c’est très bien écrit.

 

EXTRAIT : ET J’AI SONGÉ QUE LES ÉTOILES

Je regardais descendre la nuit. L’heure était lente, et l’horizon n’était plus qu’une brume rosée où se fondait du gris. En ondes lointaines et étouffées, les derniers bruissements du jour se confondaient entre eux et rencontraient leurs échos répercutés aux montagnes voisines.

Comme une lourde paupière que le soleil incline, et fermera bientôt, la nuit descendait.

Je voulais voir se lever au bas du ciel l’étoile première qui ne vient qu’une heure participer au rêve éternel de la nature, et qui s’efface lentement sous l’horizon dès que la féerie du firmament s’allume.

Son éphémère présence, le solitaire et timide éclat de sa beauté rivaient mes yeux à son mystère. J’aurais voulu surprendre quelque aveu du clignotement de sa prunelle, avant que n’arrivassent de tous les coins du ciel, les constellations, fidèles vestales de la nuit.

Mais dès que les ombres eurent enveloppé obscurément les êtres et les choses, je l’ai vue chaque soir, par le même chemin, s’assombrir... s’assombrir, et décliner dans le bas-horizon vers quelque toujours même inconnu.

Et j’ai songé que les étoiles, peut-être, subissent comme nous quelque implacable destin; et que l’azur où leur existence semble si douce n’est peut-être pas plus clément que notre terre; j’ai songé qu’elles n’étaient pas encore assez loin de nous et pas encore assez près des cieux pour se défendre de l’ennui et pour posséder ce qu’elles ont d’infini dans leurs désirs et d’incomplet dans leur vie. »

20 avril 2021

Les masques déchirés

Jovette-Alice Bernier, Les masques déchirés, Montréal, Albert Lévesque, 1932, 142 pages. (Illustrations de Robert Lapalme) (Les 32 dernières pages reprennent des poèmes de Roulades et Comme l’oiseau.)

Ce recueil est publié la même année que La chair décevante, roman sulfureux pour l’époque. Il est bien évident que Jovette-Alice Bernier a décidé de hausser le ton, de se défendre contre les bien-pensants qui la critiquent : « Je vous ai déchirés sur des visages flasques, / Masques menteurs, conventionnels, masques divers; / Masques hâbleurs et vaniteux, orgueilleux masques » (Liminaire). Elle en découd même avec la religion dans ses poèmes Prière et surtout Parce que tu t’es fait homme dans lequel elle apostrophe ainsi le Seigneur : « J’ai peur de ne t’avoir aimé / Que parce que tu t’es fait homme ». 

Elle traîne toujours ses amours décevantes et l’heure des bilans commencent à se faire entendre : « Les ouragans qui vont en navrant les espaces, / Et retournent au seuil clair de l’éternité, / J’ai connu l’âpreté de leurs libres audaces, / J’ai aimé leur vertige et leur intensité. » (Mes ouragans) Et, toujours, elle cherche les voies de l’apaisement sans vraiment les atteindre : « On regarde en tremblant et sa joie et sa peine, / On ne croit plus au mal, moins encore à la haine. » Cette douleur qu’elle entretient, pour mieux prolonger son amour perdu, finit par devenir sa compagne : « On en vient à presser la douleur contre soi, / À l’aimer, sans trop savoir pourquoi. » (Dis-moi que tu vivras ailleurs). Vient un temps où il faut bien l’admettre, l’amour est mort, ce que le titre du poème « La nécropole des amours » dit on ne peut plus clairement.  L’heure des retours sur soi a aussi sonné : « À quoi bon te mentir en pleurant sur la mort, / Tu n’aimes que l’Amour, sa joie et ses transports ». L’Amour finit par se confondre avec le visage du Seigneur : « Seigneur, je t’ai mêlé aux hommes / Dans ma vision de l’Amour / … / Car, si tu détournais ta face, / Comme il pâlirait le reflet / De ta beauté et de ta grâce / Sur les visages que j’aimais. » (Quand les hommes te ressemblent). Et le recueil se termine sur l’image romantique de la poète souffrante, seule, abandonnée de tous : « Hiver, je n’aurai pas besoin que tu secondes / Ma mort, j’ai fait mon deuil : / Avec l’Ennui que j’ai porté, seule en ce monde, / J’ai tissé mon linceul. » (J’ai bordé mon destin).

Bernier continue de s’intéresser aux souffrances du cœur sans que ce soit larmoyant. C’est déjà beaucoup! Bien entendu, il y a une répétition d’un recueil à l’autre, mais on peut dire qu’il y a aussi un approfondissement. Personne, au Québec, n’était allé aussi loin sur le sujet.

C’ÉTAIT TOI!

Je comprends maintenant cette facilité
Que j’avais d’être heureuse et d’aimer toute chose,
Pourquoi j’avais guéri de mon âme morose,
Pourquoi tant de douceur! pourquoi tant de clarté!

Je croyais qu’être heureux, c’était bien ordinaire:
Le bonheur m’avait fait le cœur impertinent.
Tu fis bien de partir: je comprends maintenant
Ce qui me transformait les choses familières.

Tout est redevenu âpre comme autrefois:
Le vouloir, le désir, la pensée et la peine;
Comme autrefois, je suis redevenue humaine,
La résignation a remplacé la foi.

Mais, depuis, comme il fait sombre et froid sur le monde !
Comme j’ai peine à voir où je risque mes pas.
Alors, cette clarté, c’était toi tout cela?...
Je comprends. Je n’ai pas besoin que tu répondes.

Le critique Albert Pelletier écrit dans Égrappages : « … de tous ceux, y compris Nelligan, qui jusqu’à ce jour ont publié des vers au Canada français, c’est Jovette Bernier qui a le plus beau tempérament de poète. » (p. 148)

Jovette-Alice Bernier sur Laurentiana

Roulades
Comme l’oiseau
Tout n’est pas dit
On vend le bonheur (à venir)
La chair décevante
Les masques déchirés
Mon deuil en rouge

16 avril 2021

Tout n'est pas dit

Jovette-Alice Bernier, Tout n’est pas dit, Montréal, Edouard Garand, 1929, 137 pages. (Préface de Louis Dantin)

Louis Dantin avait fait une critique plutôt positive de Comme l’oiseau, le recueil précédent de l’autrice. Cette fois-ci, dans la préface, il est très élogieux sur Tout n’est pas dit, ce qui équivaut pour l’époque à un imprimatur du monde littéraire : « Mlle Bernier a trouvé pour ce livre de ces mots aux vibrations neuves. Ses poésies présentent des teintes, des sons, des reflets d’âme qu’elle-même a conçus ; des émotions qui, pour être largement humaines, ont pris l’empreinte particulière de son cœur, et c’est pourquoi ces rimes, au lieu d’être purement des jeux de syllabes, sont vraiment des voix et des plaintes, atteignent le caractère et la sincérité de l’art. […] Cette poésie, au-dessous des surfaces, cherche ce qui dans l’âme est essentiel et profond. Si elle y trouve surtout l’illusion déçue, l’amour repoussé, l’espérance haletante et la douleur maîtresse, dédaignant les fades artifices, elle décrit franchement ce qu’elle voit et ce qu’elle éprouve. Vision attristée qui peut-être n’est pas toute la vie, mais qui en reste l’élément le plus vrai et le plus lyrique. C’est de l’art palpitant que d’en saisir la beauté cruelle. »

Le recueil est ainsi découpé :

I. QUAND VOUS DÉCOUVRIREZ MON ORGUEIL BALAFRE
II. OÙ L’AMOUR M’A FAIT MAL
III. LES SOUVENIRS QUI FONT PLEURER AVEC LEURS MASQUES DÉCHIRÉS
IV. VOUS QUI PORTIEZ LE DEUIL DES AUTRES
V. VOUS QUI N’OSIEZ JAMAIS DOUTER
VI. VOUS QU’ON SOUFFLETAIT A LA JOUE
VII. PRIEZ UN PEU, SI VOUS CROYEZ

Jovette-Alice Bernier a remporté le prix du lieutenant-gouverneur en 1930 avec cette œuvre. On remarque que les poèmes sont plus longs, plus travaillés que dans les recueils precédents.  L’amour est encore et toujours le thème qui traverse le recueil.

« Je voudrais saisir dans mes mains / Tous ces parfums qui se confondent, / Tous ces échos qui se répondent / Et qui ne seront plus, demain. » (La nuit, femme comme chacune) La poète n’a rien perdu de son appétit insatiable pour la vie. Pourtant, si elle a beaucoup aimé, on comprend que ses relations ne furent pas toujours limpides : « Et c’est là, toi, ta vanité : / Tu me veux ta chose fragile / Dont la torture t’est facile, / Car j’adore tes cruautés. » (Je t’aimerais moins) L’autrice est une passionnée et ne s’en cache pas, et même si ce trait de caractère lui a valu quelques revers, elle l’assume complètement : « Pour tout ce que la vie offre de magnanime / Dans ses gestes d’humanité; / Pour la lutte d’où l’on sort poudreux, mais sublime, / Pour l’angoissante vérité; / Pour tout, j’ai proclamé ma volupté de vivre / Sans fausse honte et sans orgueil, / Malgré l’effort perdu et la route à poursuivre » (C’est alors que l’on sait). Elle est toutefois bien consciente qu’il y a une certaine impudeur à afficher aussi ouvertement ses déboires amoureux : « J’aurais dû taire tant d’aveux / Où j’ai mis à jour ma faiblesse ». Elle est aussi consciente que son caractère entier puisse déranger : « Mon plaisir fait trop de soleil, / Mon rire est trop près de ma peine » (J’aurais dû taire tant d’aveux). Elle finit par dire ses vérités à l’amant que, dans les poèmes du début, elle épargnait : « Je veux revoir les yeux aimés qui m’ont haïe / Avec leur candeur fourbe et leurs regards dolents ; / Je veux entendre encor la voix qui m’a trahie / Quand je croyais en elle et que je l’aimais tant. » (Orgueil) Dans le dernier poème (Quand je mourrai), elle invite les gens à célébrer la vie : « Ouvrez la fenêtre au soleil; / Que ce dernier jour soit pareil / Aux jours de l’enivrante vie, / Dont je mourrai inassouvie. »

En guise d’extrait, je propose un poème dans lequel perce une certaine révolte et un refus de s’en remettre à la résignation très judéo-chrétienne de son époque.

POURQUOI TOUS CES FESTINS ?

Pourquoi tous ces festins où nous sommes des gueux,
Des gueux qui n’ont le droit de manger que des yeux,
Et qui s’en vont pâlir de désir près des tables
Où la lèvre qui boit n’a pas soif véritable.

Tu nous as fait, Seigneur, de la terre, un palais
Où nous serons toujours de serviles valets;
Nous l’habitons comme on habite chez un hôte,
Et si l’Amour nous vient, bien vite tu nous l’ôtes.

Nous sommes toujours seuls, nous ne possédons rien
Et n’avons que l’espoir pour attendre demain.
La vérité se cache au fond de toutes choses;
La beauté nous séduit pour nous rendre moroses.

On s’élance vers tout, on ne peut rien saisir,
Et c’est dans ce donjon qu’il va falloir mourir,
Mourir du spasme lent de notre âme anxieuse,
Les yeux fous de désirs et les mains miséreuses.

13 avril 2021

Comme l’oiseau

Jovette-Alice Bernier, Comme l’oiseau, Québec, s.é., 1926, 110 pages.

J’ai déjà présenté, il y a plus de 10 ans, le  premier et le dernier recueil de Bernier : Roulades (1924) et Mon deuil en rouge (1945). Dans les prochaines publications, je vais bloguer ses trois autres recueils et son essai. 

Comme l’oiseau est son deuxième recueil. Ce ne sont pas des sous-titres mais plutôt des citations qui délimitent les parties.

« J’ai bu la brise bleue aux lèvres de l’éther. » (Emma Pellerin) — La nature (de préférence les paysages clairs-obscurs, brumeux ou nocturnes) est le thème de cette première partie. C’est la nature des poètes romantiques, la nature dans laquelle la poète reconnaît ses sentiments, ses désirs et même sa foi. « Le soir est pieux comme une vierge en prière, / Recueillie, à genoux dans l’amoureux mystère. / Les échos sont muets, un silence ingénu, / Endormeur et divin, du ciel nous est venu. » (L’âme du soir)  

« Viens vite! Un peu de poudre… un peu de rouge aux lèves, / Un peu de joie… un peu d’angoisse… un peu de fièvre, / Car je suis amoureuse… » (Rosemonde Gérard) — L’exergue est assez révélatrice. L’amour n’est pas le sentiment destructeur des Romantiques. Il fait vivre, donne un sens à la vie, même quand il ne se concrétise pas  : « Sans vous, je n'ai plus rien, tout me manque à la fois. / Je n'ai plus d’horizon, c’est la nuit ténébreuse / Où l’astre s’est éteint dans l’ombre vaporeuse; / Sans vous, tout est muet, l’écho n’a plus de voix. / Avec vous, c’est la joie éblouissante et belle. / C’est l’espoir frais éclos sur le rêve tremblant. » (Contraste)

« Mais je ne savais pas / Que tous les mots que l’on vous dit sont des mensonges. » (Rosemonde Gérard) — On entre dans la douleur de l’abandon. La réalité n’est jamais à la hauteur des rêves, surtout quand ceux-ci sont des idéaux hors d’atteinte. « J’ai mal compris la vie et j’accuse l'Amour / Qui dressa dans mon cœur le temple de sa gloire. / Trop jeune, j’ai surpris l'angoisse des fronts lourds, / La volupté des pleurs et le besoin de croire. » (J’ai mal compris la vie) Malgré tout, elle « préfère ces bas outrages / … / À la sérénité des sages ». (Préférence)

« Mais, je m’appelle Zaïra, / Va, mon cœur l’aimerait quand même : / Je suis de la tribu d’Azra : Chez nous, l’on meurt lorsque l’on aime. » (Villiers de l’Isle-Adam) — L’amour s’est éteint. Il reste des souvenirs radieux ou amers, des rancœurs, des regrets, encore du désir : « Je voudrais t’arracher de mon cœur indompté, / Fatal amour, vain mal, tyran insatiable! » (Quos ego)

« Qui donne son secret est plus tendre que folle. » (Desbores-Valmore) — Où trouver consolation? Comment dompter sa douleur?  Revoir les grands idéaux? Se résigner? Se retirer en soi? « Vivre sans amour et sans haine »? Peut-être lui suffit-il de « plong[er] dans la braise vorace et dense » des beaux vers dans lesquels elle avait voulu « saisir l’âme de [s]es chéris ». (Délivrance)

« Quand vous serez plus grands, c’est-à-dire moins sages. » (Hugo) — Les poèmes s’adressent à des enfants. Que leur dit la poète? Rien de plus simple : profitez de ce moment d’innocence qui ne saurait durer : « Jeunesse débordante, ô jeunesse jolie, / Cueillez, cueillez les fleurs, glanez sur nos chemins; / Auréolez vos fronts qui pâliront demain ! / Les purs plaisirs sont faits pour votre fraîche vie. » (Cueillez, glanez, chantez)

Avec ce deuxième recueil traitant de l’amour, Jovette-Alice Bernier impose sa voix. Elle apporte un thème nouveau dans la poésie des années 20, l’amour, et le traite de façon plus qu’intéressante. On sent l’expérience de vie derrière tout cela et, donc, l’authenticité. Ajoutons que l’écriture coule de source, même si elle n’évite pas tous les clichés du discours amoureux. 

Lire la critique de Louis Dantin


Quatre photos de l’autrice

OÙ TES PAS ONT ERRÉ

Où tes pas ont erré quand tu rêvais à moi, 
J’ai flâné, l'oeil atone et l'esprit en déroute, 
Le coeur mal assuré contre des flots d’émois,
Sans rien voir, j'ai rôdé lourdement sur la route.

 

Ma pauvre âme évoquait tes ingrats souvenirs 

Qu'elle suivait quand même, osant aimer encore

Ta pensée oublieuse et tes changeants désirs, 

Mouvants comme la vague au rivage sonore.

 

Et je songeais aux courts mais radieux hier, 

Où mon espoir coupable achetait à la vie

Ce douloureux savoir dont les destins sont fiers

Ces froides vérités que l’ignorance nie.




Jovette-Alice Bernier sur Laurentiana

Roulades

Mon deuil en rouge

La chair décevante

9 avril 2021

La voix du cœur

Marie Dénéchaud-Larue, La voix du cœur, Québec, s.e., 1935, 144 pages.

Marie Dénéchaud est née à Deschambault le 12 septembre 1862. Elle épouse Alfred-Pierre Larue en 1884. Elle a donc 73 ans lorsqu’elle publie ce recueil. Ses ancêtres ont détenu la seigneurie de Berthier, dont on trouve d’ailleurs un poème dans le recueil.

La voix du cœur comporte quatre parties. Dans Vers l’idéal, l’autrice partage son amour des lieux emblématiques de la ville de Québec : la citadelle, la porte St-Louis, la basilique, etc. Fleurs du souvenirs nous transporte au temps de l’enfance : des objets choyés, des lieux, son mari défunt, ses parents, des joies et des tristesses sont des sujets de poèmes. « Charmant petit village au bord du Saint-Laurent:/ Bâti sur un haut cap en un superbe site, / Et qui parle à mon cœur du foyer, rappelant / Les tendres jours d’enfance, et disparus trop vite! » Dans Visions d’été, il pousse beaucoup de fleurs. Elle évoque des lieux bucoliques de villégiature du Bas-Saint-Laurent, de Charlevoix. Les Dernières glanes regroupent des poèmes d’inspirations diverses, dont quelques-uns de circonstances, mais aussi certains plus personnels : elle plonge dans le passé, revoit des moments tendres avec son époux, raconte sa solitude, la peur de la mort..

Poésie toute simple, sans prétention, sensible. On comprend que ces poèmes sont le parcours d’une vie. Le rythme (et même la syntaxe) est souvent brisé par les contorsions qu’exigent la métrique et la rime.

 

SOLITUDE

Ma pauvre âme se courbe, en proie à la douleur,
En cette sombre nuit où j’entends la rafale,
Aux aigres sifflements, sourde comme un long râle
Qui gémit de détresse et sème la terreur!

Que pourrais-je espérer! — la tristesse toujours—
Je sens monter en moi comme une lassitude ;
Et pleure en cette nuit de noire solitude ;
Et qui me fait songer au terme de mes jours.

Ah! ce sommeil dernier, qui, me donne frayeur;
Je voudrais m’en aller loin, — dans un coin de terre,
Quelque cloître isolé, je vivrais sédentaire,
Et dans la grande paix, là, m’endormir sans peur.

6 avril 2021

Première moisson

Adalbert Trudel, Première moisson, Québec, Les éditions du Soleil, 1929, 188 p.

Dans son recueil Sous la faucille, publié en 1931, Trudel laissait entendre que Première moisson avait fait l’objet de sarcasmes. Pourtant le recueil s’inscrit tout à fait dans les courants dominants de l’époque, plus près de Lozeau que de Lemay ou Paul Morin.

Les 157 premières pages du recueil sont toutes d’une venue, même si on peut distinguer des thèmes. Le début groupe plusieurs poèmes religieux, dont Le chapelet : « Ô chaîne aux cinquante chaînons, / Implorant, Vierge, ta clémence, / Chapelet que nous égrenons / Pleins d’espérance ». Suivent plusieurs poèmes d’inspiration romantique. On a droit au très commun passage du temps : « L’immuable cadran souligne de son doigt / La fuite de nos jours… » (La fuite des heures). Ce thème, comme le veut la tradition, s’exprime à travers la nature : « Où s’est donc envolé notre premier secret? / Peut-être comme une aile en rasant la forêt / A-t-il pris le chemin qui se fond dans l’espace » (Notre premier secret).

Pour clore le recueil, deux longs poèmes : La mort de Lozeau est représentée dans un dialogue rimé entre le poète et sa muse. Celle-ci voudrait qu’une dernière fois, avant de mourir, le poète puisse laisser chanter sa lyre, ce à quoi ce dernier ne s’oppose pas, tout en admettant que ce chant, c’est déjà celui de l’au-delà : « Alors que tout s’écroule autour de ma personne, / Je n’ai plus rien à dire avant d’aller vers Dieu; / Plus rien qu’un dernier mot dont la chanson frissonne / Ainsi que l’Angelus de chaque soir : adieu! » Les ombres qui reviennent sont celles du passé, de l’enfance heureuse, de la jeunesse douloureuse. Le recueil se termine par cette strophe : « Oh ce long flot de rêve / Qui s’abaisse et s’élève! / Cette vibration / Dont l’image muette / Rend mon âme inquiète! / Ô rythmes obsesseurs/ Tristes comme des pleurs! »

Adalbert Trudel sur Laurentiana
Sous la faucille

 
 

2 avril 2021

La chanson des érables

Louis-Philippe Chagnon, La chanson des érables, Montréal, Le Devoir, 1925, 179 pages (Préface de l'abbé Émile Chartier)

Louis-Joseph Chagnon est né à Shefford le 2 août 1889. Après des études au Séminaire de Saint-Hyacinthe, il étudie le notariat mais devient journaliste.  À partir de 1915, il est traducteur dans la fonction publique à Ottawa. Il décède en 1946.

Le recueil est dédié à sa femme, mais le poème liminaire s’intitule « À mon pays ».

Le recueil compte deux parties : Chanson du terroir et Chanson intime.

Chanson du terroir comprend 25 poèmes. Tout comme Chartier dans la préface, Chagnon s’inscrit en faux contre l’esthétique des Exostistes : « Je préfère, après tout, des vers moins fameux / Qui chantent des sujets tout canadiens comme eux; / Qui recherchent le Vrai plutôt que l’Esthétique ». Quels sont ces « sujets tout canadiens »? La nature, quelques-unes des « grandes figures » de notre histoire, les activités des paysans, les traditions (la guignolée, la Sainte-Catherine), la langue francaise, la « France immortelle » et la religion catholique.

Que retrouve-t-on dans les 30 poèmes de Chanson intime ? Le tout commence par une profession de foi bien que « le monde [soit] un ingrat qui ment et qui te leurre ». « Le credo du poète » commence ainsi : « Je crois en Toi, grand Dieu, maître de tous les mondes » et se termine ainsi : « Ô Dieu, poète grand, je T’adore et je crois! » Toute cette partie baigne dans la religiosité, refuge pour contrer les misères humaines et la laideur du monde.

À MA FEMME

O toi que ma jeunesse a voulu, sur la terre,
Choisir comme compagne et comme réconfort,
Je te sais gré des jours de paix et de mystère
Où je sens, près de toi, mon cœur battre plus fort! 

Je te sais gré de l’ombre ineffable et sereine
Que projettent sur moi ta vie et ton labeur.
Je te sais gré surtout de ta foi souveraine
Qui fait ma nuit plus claire et plus doux mon bonheur.

Je n’aurai pas en vain parcouru cette étape
De la vie, ici-bas, que l’on parcourt à deux.
Dans ta coupe de choix j’aurai pressé la grappe
Et bu le vin d’amour qui fait mon cœur heureux!