20 avril 2021

Les masques déchirés

Jovette-Alice Bernier, Les masques déchirés, Montréal, Albert Lévesque, 1932, 142 pages. (Illustrations de Robert Lapalme) (Les 32 dernières pages reprennent des poèmes de Roulades et Comme l’oiseau.)

Ce recueil est publié la même année que La chair décevante, roman sulfureux pour l’époque. Il est bien évident que Jovette-Alice Bernier a décidé de hausser le ton, de se défendre contre les bien-pensants qui la critiquent : « Je vous ai déchirés sur des visages flasques, / Masques menteurs, conventionnels, masques divers; / Masques hâbleurs et vaniteux, orgueilleux masques » (Liminaire). Elle en découd même avec la religion dans ses poèmes Prière et surtout Parce que tu t’es fait homme dans lequel elle apostrophe ainsi le Seigneur : « J’ai peur de ne t’avoir aimé / Que parce que tu t’es fait homme ». 

Elle traîne toujours ses amours décevantes et l’heure des bilans commencent à se faire entendre : « Les ouragans qui vont en navrant les espaces, / Et retournent au seuil clair de l’éternité, / J’ai connu l’âpreté de leurs libres audaces, / J’ai aimé leur vertige et leur intensité. » (Mes ouragans) Et, toujours, elle cherche les voies de l’apaisement sans vraiment les atteindre : « On regarde en tremblant et sa joie et sa peine, / On ne croit plus au mal, moins encore à la haine. » Cette douleur qu’elle entretient, pour mieux prolonger son amour perdu, finit par devenir sa compagne : « On en vient à presser la douleur contre soi, / À l’aimer, sans trop savoir pourquoi. » (Dis-moi que tu vivras ailleurs). Vient un temps où il faut bien l’admettre, l’amour est mort, ce que le titre du poème « La nécropole des amours » dit on ne peut plus clairement.  L’heure des retours sur soi a aussi sonné : « À quoi bon te mentir en pleurant sur la mort, / Tu n’aimes que l’Amour, sa joie et ses transports ». L’Amour finit par se confondre avec le visage du Seigneur : « Seigneur, je t’ai mêlé aux hommes / Dans ma vision de l’Amour / … / Car, si tu détournais ta face, / Comme il pâlirait le reflet / De ta beauté et de ta grâce / Sur les visages que j’aimais. » (Quand les hommes te ressemblent). Et le recueil se termine sur l’image romantique de la poète souffrante, seule, abandonnée de tous : « Hiver, je n’aurai pas besoin que tu secondes / Ma mort, j’ai fait mon deuil : / Avec l’Ennui que j’ai porté, seule en ce monde, / J’ai tissé mon linceul. » (J’ai bordé mon destin).

Bernier continue de s’intéresser aux souffrances du cœur sans que ce soit larmoyant. C’est déjà beaucoup! Bien entendu, il y a une répétition d’un recueil à l’autre, mais on peut dire qu’il y a aussi un approfondissement. Personne, au Québec, n’était allé aussi loin sur le sujet.

C’ÉTAIT TOI!

Je comprends maintenant cette facilité
Que j’avais d’être heureuse et d’aimer toute chose,
Pourquoi j’avais guéri de mon âme morose,
Pourquoi tant de douceur! pourquoi tant de clarté!

Je croyais qu’être heureux, c’était bien ordinaire:
Le bonheur m’avait fait le cœur impertinent.
Tu fis bien de partir: je comprends maintenant
Ce qui me transformait les choses familières.

Tout est redevenu âpre comme autrefois:
Le vouloir, le désir, la pensée et la peine;
Comme autrefois, je suis redevenue humaine,
La résignation a remplacé la foi.

Mais, depuis, comme il fait sombre et froid sur le monde !
Comme j’ai peine à voir où je risque mes pas.
Alors, cette clarté, c’était toi tout cela?...
Je comprends. Je n’ai pas besoin que tu répondes.

Le critique Albert Pelletier écrit dans Égrappages : « … de tous ceux, y compris Nelligan, qui jusqu’à ce jour ont publié des vers au Canada français, c’est Jovette Bernier qui a le plus beau tempérament de poète. » (p. 148)

Jovette-Alice Bernier sur Laurentiana

Roulades
Comme l’oiseau
Tout n’est pas dit
On vend le bonheur (à venir)
La chair décevante
Les masques déchirés
Mon deuil en rouge

1 commentaire:

  1. « Masques déchirés, le dernier volume de Jovette Bernier est une fort belle oeuvre dans laquelle se retrouvent toutes les qualités de « Tout n'est pas dit ». Dans la plupart des poèmes qui forment ce livre, la poétesse chante des amours malheureuses, des ruptures, séparations qui ont laissé son cœur endolori. Son chant est simple et vrai comme toujours, mais ce ne sont pas des sanglots qu ’ elle fait entendre, ce ne sont pas les accents du désespoir, d ’ une douleur aigue, d ’ une tristesse nv consolable qui passent dans ses vers. Jovette Bernier comprend la vie et elle évite les violences de sentiment. Doucement, harmonieusement, elle dit ses regrets. La pièce « Depuis qu'il est parti » renferme des strophes admirablement bien senties. » (Albert Laberge, Peintres et écrivains…, p. 138)

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