25 avril 2021

Confidences d’écrivains canadiens-français

Adrienne Choquette, Confidences d’écrivains canadiens-français, Trois-Rivières, Le bien public, 1939, 237 pages.

Ce livre est, à ma connaissance, le premier du genre au Québec. Adrienne Choquette a rencontré 33 auteurs.trices et leur a tiré des confidences sur leurs œuvres. « Il sera d’un vif intérêt pour le lecteur d’apprendre comment s'est précisée la vocation d'écrivain de nos auteurs, à quelles sources elle s’alimente, à quelles exigences elle obéit et ce quelle prétend imposer. Les mêmes questions ont été posées à chaque écrivain, mais on se rendra compte de la grande diversité de sentiments qui transparaît dans les réponses. » Voici la liste des auteurs.trices : Victor Barbeau, Harry Bernard, Jovette Bernier, Roger Brien, Jean Bruchési, Émile Coderre, Marie-Claire Daveluy, Pierre-A. Daviault, Rex Desmarchais, Alfred DesRochers, Léo-Paul Desrosiers, Raymond Douville, Jeanne L’Archevêque-Duguay, Louis Francoeur, René Garneau, Berthe Guertin, Edouard Hains, Jean-Charles Harvey, Maurice Hébert, François Hertel, Léopold Houle, Michelle LeNormand, Clément Marchand, Olivier Maurault, Gérard Morisset, Moïsette Olier, Odette Oligny, Albert Pelletier, Damase Potvin, Eva Senécal, Françoise Gaudet-Smet, M. l'abbé Albert Tessier, Valdombre. Comme je viens de bloguer quatre livres de Jovette Bernier, c’est son entrevue que je présente.

Jovette BERNIER

Je crois que la petite anecdote suivante pourra servir très éloquemment de préambule. Il y a deux ou trois ans, il m’arriva de prononcer le nom de Jovette Bernier devant une jeune paysanne. Comme elle n’avait pas l’air de connaître la poétesse-romancière, je m’étonnai.

— Comment! vous ne savez pas qui est Jovette Bernier?

 — Jovette Bernier…

— Mais voyons, à la radio…

— Vous voulez dire Jovette de « Bonjour Madame » et celle de l'Illustration?

Son visage s’éclaira brusquement d’un large sourire.

— En ce cas! Mais bien sûr que je sais qui est Jovette. Tout le monde d ici vous répondra la même chose, du reste. Son prénom nous est même si familier que nous en oublions parfois son nom de famille. C’est ce qui vous explique ma méprise d’il y a un instant.

Et voilà, point n’est besoin de commentaire. Disons seulement que l’extraordinaire popularité de Jovette Bernier s’explique facilement: d’abord par ses romans et ses volumes de poésie qui sont toujours le cri de la vie passionnée, douloureuse et magnifique, par ses billets et ses causeries débordants de spontanéité, de fantaisie et d’une philosophie souriante, à la portée de tous, tandis qu’elle-même, d’un abord si constamment cordial et sympathique, a le don de nous convaincre qu’il faut toujours, malgré tout et tous, avoir du courage, de l’espoir et aimer de toutes ses forces l’effort qui porte sa propre récompense. Tout cela presque sans paroles et peut-être sans qu’elle s’en doute. Car si Jovette n’est pas une donneuse de conseils, elle est une agissante. Et comme exemple, n’est-ce pas. ça vaut mille fois mieux!

— Une enquête ? me dit Jovette Bernier d’un air malicieux, c’est toujours quelque chose qui sous met la puce à l’oreille. Tout de suite, on se demande si l’on a la conscience bien tranquille et il arrive que l’on n'ose pas parler, crainte de passer pour ce que l’on est...

Justement, les lecteurs du Mauricien en ont assez d’imaginer sur vous un tas ce choses qui ne les contentent jamais. Dites-leur généreusement la vérité.

Et la vérité arrive dans un sourire amusé et moqueur.

— À quoi j’attribue ce que vous nommez ma vocation littéraire? — D'abord, suis-je sûre d’avoir écrit par vocation? Et pourrais-je le prouver? Naturellement, quand on opte pour la plume (plutôt que pour tout autre outil on se croit plus ou moins appelé par quelque signe cabalistique des dieux qui, au fond, se fichent pas mal de nous. (C’est tout juste s’ils se donnent la peine de sourire quand nous nous prenons au sérieux). Non vraiment. Je crois que c’est d’un coup de tête que je me suis mise a écrire, pour voir ce qu’en dirait la critique parce que l’on m'avait toujours dit que « la critique est un être qui se mêle de ce qui ne la regarde pas », ou encore: « un lecteur qui fait des embarres ». Ce n’était pas vrai. — Et puis, je vous avoue que j’ai écrit aussi, parce que ça me chantait d’écrire. D’ailleurs, si je vous disais que j’ai entendu des voix, vous ne me croiriez pas. Je n’ai pas eu de vision non plus. Mais, la mer était proche, et le bois aussi, et ce sont eux, je pense, qui m’ont un peu poussé la main. Mais là encore je ne puis jurer de rien.

La mer, les bois. Oui, la chanson bleue des vagues insaisissables et celle des sentiers aux arômes résineux ont bien pu jeter l’éveil de la poésie dans cette âme frémissante.

— Vous dites? mes débuts?

Jovette murmure pensivement.

— Mes débuts, c’était la belle foi naïve que je n’ai jamais pu retrouvé si pleine; c’était l’admiration d’un seul maître: Hugo. Et si j’ai montré dans mes vers quelque faiblesse pour la lune, ce sont sans doute les paysages lunaires de Hugo qui m’ont envoûtée avec son « moissonneur de l’éternel été et sa faucille d’or dans le champ des étoiles » ! Mais avouez qu’il y avait de quoi...

Comme on sent qu’elle l’admire encore profondément ce seul maître dont le vieux nom majestueux la secoue d émotion!

— Quant à votre troisième question, pour ce qui est des écrivains français ou canadiens, morts ou vivants, qui ont marqué notre littérature, parlons d’abord des Canadiens:

À la fois, morts et vivants, je les aime tous, parce qu’ils sont mes frères.

Quant aux Français, ils ont tous fait école, et si j’allais placer un tel, disciple de tel autre, je les blesserais tous les deux. Et je sais parmi eux bien des vivants qui gagneraient à être morts.

La sonnerie de la porte et celle du téléphone, qui résonnent simultanément permettent tout juste à Mademoiselle Bernier de me déclarer encore:

— Les auteurs étrangers que je lis? — Je lis quelquefois, et dans le texte, Homère, Tsao-Chang-Ling et Valéry.

Je ne peux m’empêcher d’être abasourdie.

— Vous lisez des auteurs chinois? Ce Tsao-Chang-Ling...

Mais Jovette s’éclipse en riant et ma foi, je fais de même! (pages 29-31)

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