10 mars 2010

Zone

Marcel Dubé, Zone, Montréal, Leméac, 1968, 187 pages. (Présentation de Maximilien Laroche) (1re édition : Éditions de la Cascade, Montréal, 1956, 145p.)

La première de Zone eut lieu le 23 janvier 1953, lors du Festival dramatique de l’Ouest du Québec. La distribution mérite d’être mentionnée : Monique Miller (Ciboulette), Guy Godin (Tarzan), Robert Rivard (Passe-Partout et metteur en scène), Raymond Lévesque (Moineau), Hubert Loiselle (Tit-Noir), Marcel Dubé (Johnny), Jean Duceppe (L’Inspecteur de police), Jean-Louis Paris (Le Chef), Yves Létourneau (L’Assistant).


ACTE I : LE JEU
Une arrière-cour. Quatre jeunes contrebandiers de cigarettes, Moineau, Tit-Noir, Passe-Partout et Ciboulette s’activent près d’un hangar. Il s’agit de ranger la marchandise et de préparer des commandes. Leur chef Tarzan doit rentrer bientôt avec une nouvelle cargaison de cigarettes américaines. Passe-Partout, le mouton noir du groupe, fait la cour à Ciboulette qui le repousse. On comprend qu’elle est amoureuse de Tarzan. Ce dernier tarde à rentrer et on s’inquiète. Finalement, alors que la bande va se disperser, il apparaît. Un peu plus tard, arrive un homme qui cherche Passe-Partout : on lui a volé son portefeuille. En fait, il se nomme Ledoux, est agent de police, a piégé Passe-partout, l’a suivi : il devine ce qui se trame dans cette arrière-cour. L’homme repart. Tarzan malmène Passe-Partout et l’expulse du groupe. Au même moment, les policiers surviennent. Chacun essaie de fuir de son côté.

ACTE II : LE PROCÈS
Poste de police. Tous ont été capturés. Le Chef, son assistant Roger et Ledoux sont chargés de les interroger. Ils commencent par Moineau, le naïf, qui avoue sans trop s’en rendre compte qu’il fait de la contrebande pour s’acheter un harmonica. Suit Tit-Noir. Lui aussi avoue et donne comme motif qu’il veut se marier, avoir des enfants et leur donner ce qu’il n’a pas eu. Un coup de fil apprend aux enquêteurs qu’un douanier a été tué en après-midi. L’affaire devient plus sérieuse. On resserre l’interrogatoire. Vient le tour de Ciboulette. Elle ne parle pas et finit par s’évanouir. Les enquêteurs ont compris que le chef, c’est Tarzan. On l'interroge : il avoue qu’il est le chef mais rien de plus. Il ne reste que Passe-Partout. Il déballe tout : Tarzan allait chercher les cigarettes, il y est allé cet après-midi, il était en retard... On décide d’interroger à nouveau Tarzan. L’interrogatoire est très serré, pour ne pas dire agressif. Tarzan finit par avouer le meurtre du douanier.

ACTE III : LA MORT
Décor de l’acte I. Tarzan est en prison. Ciboulette, Moineau et Passe-Partout se retrouvent dans l’arrière-cour. Passe-partout s’est emparé de l’argent caché qui avait échappé aux policiers. Il essaie de s’imposer comme nouveau chef. Les deux autres lui rient au nez. On le soupçonne d’avoir trahi Tarzan. Tit-Noir survient en criant que la radio vient d’annoncer l’évasion de Tarzan. Passe-Partout se sauve. Tit-Noir et Moineau partent à sa poursuite afin de récupérer l’argent. Les policiers arrivent mais repartent. Ciboulette est seule. Tarzan apparaît. Les deux se parlent d’amour. Tarzan ne sait plus s’il doit se rendre ou chercher à fuir. Ciboulette le pousse à fuir, sans doute pour préserver l'image de son héros.

C’est la première pièce de Dubé. Elle lance la carrière de l’auteur qui trône sur la dramaturgie québécoise jusqu’à l’avènement du phénomène Tremblay. Dubé met en place une panoplie de personnages (la jeune fille naïve, le héros qui se brule les ailes, le traître, les parents qui ont démissionné) et un style (le réalisme poétique) qui deviendront ses marques de commerce. Je ne suis pas loin de croire que Zone est la pièce de Dubé qui passe le mieux la rampe du temps.

Analyse de la pièce


Extrait (la fin)
1ère édition
CIBOULETTE — Passe par les toits comme t'es venu.
TARZAN — C'est le seul chemin possible, je pense. (Il se dirige du côté des toits, il regarde, il inspecte puis il s'approche de son trône, se penche, soulève la caisse et prend son pistolet. Puis il revient vers Ciboulette.) Écoute. Je sais qu'ils vont me descendre au tournant d'une rue... Si je pouvais me sauver, je le ferais, mais c'est impossible.
CIBOULETTE — Il te reste une chance sur cent, faut que tu la prennes.
TARZAN — Non. Y est trop tard. J'aime mieux mourir ici que mourir dans la rue. (Il vérifie le fonctionnement du pistolet et le met dans sa poche.) J'aime mieux les attendre. Quand ils seront là, tu t'enfermeras dans le hangar pour pas être blessée. S'ils tirent sur moi, je me défends jusqu'à la fin, s'ils tirent pas, je me rends et ils m'emmènent.
Les sirènes arrivent en premier plan et se taisent.CIBOULETTE — T'es lâche, Tarzan.
TARZAN — Ciboulette!
CIBOULETTE — Tu veux plus courir ta chance, tu veux plus te battre et t'es devenu petit. C'est pour ça que tu m'as donné l'argent. Reprends-le ton argent et sauve-toi avec.
TARZAN — Ça me servira à rien.
CIBOULETTE — Si t'es encore un homme, ça te servira à changer de pays, ça te servira à vivre.
TARZAN — C'est inutile d'essayer de vivre quand on a tué un homme.
CIBOULETTE — Tu trouves des défaites pour oublier ta lâcheté. Prends ton argent et essaie de te sauver.
TARZAN — Non.
CIBOULETTE — Oui. Elle lui lance l'argent au visage. C'est à toi. C'est pas à moi. Je travaillais pas pour de l'argent, moi. Je travaillais pour toi. Je travaillais pour un chef. T'es plus un chef.
TARZAN — Il nous restait rien qu'une minute et tu viens de la gaspiller.
CIBOULETTE — Comme tu gaspilleras toute ma vie si tu restes et si tu te rends.
TARZAN — Toi aussi tu me trahis, Ciboulette. Maintenant je te mets dans le même sac que Passe-Partout, dans le même sac que tout le monde. Comme au poste de police, je suis tout seul. Ils peuvent venir, ils vont me prendre encore. Il fait le tour de la scène et crie : Qu'est-ce que vous attendez pour tirer? Je sais que vous êtes là, que vous êtes partout, tirez!... tirez donc!
CIBOULETTE, elle se jette sur lui -- Tarzan, pars, pars, c'était pas vrai ce que je t'ai dit, c'était pas vrai, pars, t'as une chance, rien qu'une sur cent c'est vrai, mais prends-la, Tarzan, prends-la si tu m'aimes... Moi je t'aime de toutes mes forces et c'est là où il reste un peu de vie possible que je veux t'envoyer... Je pourrais mourir tout de suite rien que pour savoir une seconde que tu vis.
TARZAN la regarde longuement, prend sa tête dans ses mains et l'effleure comme au premier baiser — Bonne nuit, Ciboulette.
CIBOULETTE — Bonne nuit, François... Si tu réussis, écris-moi une lettre.
TARZAN — Pauvre Ciboulette... Même si je voulais, je sais pas écrire. Il la laisse, escalade le petit toit et disparaît. Un grand sourire illumine le visage de Ciboulette.
CIBOULETTE — C'est lui qui va gagner, c'est lui qui va triompher... Tarzan est un homme. Rien peut l'arrêter : pas même les arbres de la jungle, pas même les lions, pas même les tigres. Tarzan est le plus fort. Il mourra jamais.
Coup de feu dans la droite.
CIBOULETTE — Tarzan! Deux autres coups de feu.
CIBOULETTE — Tarzan, reviens !
Tarzan tombe inerte sur le petit toit. Il glisse et choit par terre une main crispée sur son ventre et tendant l'autre à Ciboulette. Il fait un pas et il s'affaisse. Il veut ramper jusqu'à son trône mais il meurt avant.
CIBOULETTE — Tarzan!
Elle se jette sur lui. Entre Roger, pistolet au poing. Il s'immobilise derrière les deux jeunes corps étendus par terre. Ciboulette pleure. Musique en arrière-plan.

CIBOULETTE — Tarzan! Réponds-moi, réponds-moi... C'est pas de ma faute, Tarzan... c'est parce que j'avais tellement confiance... Tarzan, Tarzan, parle-moi... Tarzan, tu m'entends pas?... Il m'entend pas... La mort l'a pris dans ses deux bras et lui a volé son cœur... Dors mon beau chef, dors mon beau garçon, coureur de rues et sauteur de toits, dors, je veille sur toi, je suis restée pour te bercer... Je suis pas une amoureuse, je suis pas raisonnable, je suis pas belle, j'ai des dents pointues, une poitrine creuse... Et je savais rien faire; j'ai voulu te sauver et je t'ai perdu... Dors avec mon image dans ta tête. Dors, c'est moi Ciboulette, c'est un peu moi ta mort... Je pouvais seulement te tuer et ce que je pouvais, je l'ai fait... Dors... Elle se couche complètement sur lui.


Marcel Dubé
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2 commentaires:

  1. Ma mère se souvient de Guy Godin, moi de Jean Leclerc...
    et j'ai encore la pièce dans cette édition...

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