27 mai 2022

Rafales de braise

Robert Lalonde, Rafales de braise, Montréal, Atys, 1965, n.p. (Couverture de J.-L. Lamarche)

Robert Lalonde (à ne pas confondre avec l’acteur et romancier du même nom qui publie à partir des années 1980) est un poète et un peintre né à Sudbury en 1936. Il revendique son appartenance à la nation métis. Il a participé à la Nuit de la poésie en 1970. Il a écrit trois recueils de poésie aux éditions Atys : Rafales de braise (1965), Charivari des rues (1970) et Kabir kouba (1971). Il a aussi publié des recueils de contes, recueillis auprès des Métis et des coureurs de bois :  Ailleurs est en ce monde (1966), Les contes du portage (1973) et Les contes de la lièvre (1974).

On peut déjà dire de Robert Lalonde qu’il a un style bien à lui, ce qui n’est pas négligeable : « elle qui fut reine de mes rafales de braises et de neige / aux désirs d’océan, oasis fébrile de plénitude / goguenarde elle piétine mes plates-bandes en rosiers ». Comment définir ce style? D’abord il est très métaphorique, donc difficile pour le lecteur. On dirait que la poésie avance par agglutination. Aux propositions s’ajoutent d’autres propositions, aux thèmes d’innombrables ramifications, comme si le poète n’arrivait pas à saisir l’idée ou qu’il préférait ne pas l’enfermer dans un carcan verbal trop restrictif. Collage surréaliste? Au final, cette densité obstrue parfois le sens du poème.  

La femme, toutes les femmes, depuis la jeune fille jusqu’à la mère, en passant comme il se doit, compte tenu de ses racines, par la femmme autochtone, occupent les premiers poèmes : « ton corps en cadence du temps ton cœur à l’encan / les plumes de ta vie forment un parasol de soleil / Indienne au visage cuivré les arbres pleins de toi / les rivières ton regard la lune ton sourire ».

Pour le reste, on découvre le regard d’un poète qui observe aussi bien son entourage que l’univers, se contentant de les appréhender, sans les investir vraiment : « l’espace / court de long en large, main dans la main, / avec le temps, sur des buttes en bétons ». Ou encore : « l’humain marche, les vestibules s’entrecroisent / il rampe, les ténèbres l’invitent ». Le poète cherche sa place — et celle de l’humain — dans cette univers en changements, ce qui ne va pas sans inquiétude, par exemple dans ce poème dédié à Gilbert Langevin : « il est né toi pour être témoin de ta détresse / sur ces continents un reflux de vie en sourdine / ton cœur gringalet grince avec tes chaînes ». Même si le poète me semble plus dans la résilience, de temps à autre pointe une dénonciation : « j’invite à boire tous les assassins de la vie / au banquet des affamés les assoiffés  / où seul le hasard sert lieu de conscience ». 

En conclusion, voici de courts passages, dont plusieurs inspirés par la nature,  qui méritent d’être cités parce qu’ils étonnent : « ces femmes, d’été, bosquets de cordes-à-poulies »; « entre tes cuisses une étoile d’eau en aval »; « un rosier se fanait dans la verdure de leurs yeux »; « la fleur dans le lit étoilé des boutons d’or »; « l’appel de la pluie fermente le sol »; « ces paysages effleurés de tendresse »; « tes yeux de fleuve ».

Sur Robert Lalonde

À venir
Charivari des rues
Kir-Kouba

23 mai 2022

Les cahiers fraternalistes

Gilbert Langevin et all., Les cahiers fraternalistes, Montréal, Atys, 1964, pages. (Couverture : poégraphie de Jean-Louis Frund) (Coll. Silex no 5)

Gilbert Langevin prenait plaisir à choisir des surnoms, souvent déroutants, soi-disant parce qu’il y avait plusieurs personnalités en lui. J’aime croire que c’était juste un pied de nez à l’institution littéraire. Gyl Bergevin, Zéro Legel, Carmen Avril, Régis Auger, Alexandre Jarrault, Daniel Darame, Carl Steinberg, c’est Gilbert Langevin.

Dans le présent recueil, on trouve des textes de Gilbert Langevin (des reprises de Symptômes), de Zéro Legel (de l’Académie Radisson), de Carmen Avril (sur la quatrième de couverture, on nous annonce deux parutions à venir) et de Régis Auger (du parti Rhinocéros). Aussi bien dire que Langevin a écrit le recueil presqu’en entier. L’accompagnent François Hertel (« Introduction à la vie polyglotte »), Jean Gauguet (des reprises de quatre poèmes de La saignée du pain) et Liliane Morgan avec quatre courts poèmes (autre pseudo de Langevin?). Dans une lettre, François Hertel, après avoir avoué ne pas avoir lu ses recueils, accepte de représenter Langevin et Atys en France, même s’il « est impossible de vendre en France des livres de poèmes » à moins d’être mort.

Les cahiers fraternalistes sont donc constitués d’une suite de textes assez décousue : des poèmes surtout, mais des essais, des lettres et plusieurs références bibliographiques sur des poètes de l’époque, en bas de page. Que font-ils là? On n’en a aucune idée.

L’intérêt de ce recueil, bien entendu, c’est tout ce hors-texte, les noms et les annonces farfelus (« à paraître en 1984 (sic) : « Solitude, fraternalisme et poésie », essai de Carmen Avril et Gilbert Langevin aux éditions du saule).

Et le fraternalisme? « Il n’y aura jamais de manifeste du fraternalisme ». Pour en savoir plus (ou pas plus), lisez cet extrait.



13 mai 2022

Symptômes

Gilbert Langevin, Symptômes, Montréal, éditions Atys, 1963, n. p.

Même si le premier poème s’intitule « naissance » et qu’il traite du pouvoir de résilience qu’engendre l’état amoureux, on ne peut pas dire pour autant que Symptômes soit un livre de rédemption. Langevin reprend là où il avait laissé dans son livre précédent, À la gueule du jour : « mes joues se creusaient en paume de cercueil » ouvre le recueil. Le monde survit dans un état de déliquescence avancée et on a peu d’indices qui nous permettent de comprendre comment il en arrive à un tel constat. Peut-être que la vie a trop peu à offrir, tout compte fait, et doit-on se contenter d’amours passagers (« il m’arrive maintenant d’égarer mon corps / en la mer en elle »), d’un peu d’espoir de fraternité, bien lointaine il faut dire : « qui les sortira de ce pétrin de boue / les englués là-bas par tant de défaites / qui leur prêtera main douce d’amitié / qui les ramènera vers l’auberge de joie ».

Se dégage du recueil un jugement sur ce que le monde est et sur ce qu’il devrait être. Et cette morale a des relents de religiosité que l’ironie n’arrive pas à effacer. « Corps et Âme étrennent leur lune de fiel ». Le plaisir a souvent l’odeur du péché : « tant que l’amour fermente / la chair flambe ». L’univers est parsemé d’embûches, de tentations, d’impuretés et de débauches : « des abcès de nausée éclosent en ma poitrine / où cacher mon minerai d’inquiétude / débauche! débauche! / quel chantier de chanter mon désenchantement! »

En même temps, on sent une résistance, et même un refus d’abandonner la partie. On a même l’impression qu’il faut parfois se faire violence et forcer les portes de la joie, quitte à ce que le rire sonne faux : « continuer de classer calmement / les fiches du labeur / charpentier d’éternité / ciseler le buste du Verbe / apprendre le métier de sourire / à chaque jour suffit sa mort »

Le dernier poème du recueil (voir l’extrait) traduit bien ce combat toujours à reprendre, cette recherche d’un petit bonheur qui n’est pas sans rappeler la joie ironique de Sisyphe pour son rocher. 

Petite anomalie dans le recueil : deux poèmes, qui font trois pages, sont répétés et la troisième page est différente… 

credo (ab absurbo)

à deux cheveux d’avouer l’échec total 
flambée s’empare de l’âtre dorsal

espoir se rallume en orbe de victoire 
les mots se bousculent entre les dents

exil vaut d’être vécu
à deux cheveux de courber l’échine
une noce de neige et de soleil irise le crachat

le frimas des peines avive son échéance

à deux cheveux de tondre l’avenir 
l’amour enchaîne l’ombre 
à l’isthme de l’exil    notre survivance

Gilbert Langevin sur Laurentiana

8 mai 2022

La saignée du pain

Jean Gauguet, La saignée du pain, Montréal, Atys, 1963, n.p.

Le second recueil de Jean Gauguet est assez différent du premier (Cendres de sang). L’ambition esthétique est  plus grande : certains poèmes sont même tout à fait surréalistes.

Dans « Atomitude », la première partie, Gauguet dénonce toutes les violences, à commencer par la guerre : « Tel un poignard à haute voix / nous dénonçons la guerre / cancer qui mine la planète / jusqu’aux racines dorsales ». La guerre n’est que l’épiphénomène d’un monde en manque d’idéal : « l’homme se gave de haine / le symbole bancaire engendre les armes et la névrose ».

Dans « Amour », seconde partie dédiée à Paulyne Dion-Larouche, certains poèmes s’adressent à son amoureuse (« Je suis la mer sur tes yeux de jonquille »), mais d’autres tentent plutôt de dire la grandeur de l’amour : « le mariage du bleu et de la sève sera leur plénitude / demain les arbres enfanteront / car le froment se fait sentir sous l’écorce ».

Dans « La saignée du pain », dernière partie, le poète évoque son mal de vivre. La saignée du pain, c’est en quelque sorte la rançon qu’il faut payer à la vie. 

AUX manchons des jours sanglés 
   grince le soc des heures 
   geint la roue du délire

le bon grain dans les sillons d’asphalte 
titube à en perdre la tige

que de pas trépassent avant la moisson

le sang tire la charrue 
la main s’étrangle aux manchons de la vie 
        c’est la saignée du pain