23 avril 2021

On vend le bonheur

Jovette-Alice Bernier, On vend le bonheur, Montréal, Librairie d'Action canadienne-française, 1931, 193 pages.

Comme on le lit sur Wikipedia, le parcours de Jovette-Alice Bernier est assez exceptionnel. C’est celui d’une femme qui a suivi l’évolution de son temps, qui s’est imposée par son talent et son audace. Journaliste, autrice, scénariste, elle a écrit cinq recueils de poésie, un essai, deux romans, des radio-romans, des téléromans (Rue de l’anse) et plusieurs articles et billets dans les journaux, en plus d’animer des émissions radiophoniques.

On vend le bonheur réunit 55 chroniques (elle emploie le mot billet dans l’un de ses textes).  Que contiennent-elles ?

  • Des souvenirs du temps où elle vivait dans la région de Rimouski, souvenirs personnels (Le petit lac bleu), légendes locales (L’eau de Pâques), personnages pittoresques (Le père Toutan), faits historiques (Franciscus alias Germanicus);
  • Des contes (Si vous recommenciez);
  • Des articles sur la condition féminine (Peut-être belle mais si jolie);
  • Des billets sur l’amour (Les lettres d’amour);
  • Des tableaux de la vie urbaine (L’âme des ville);
  • Beaucoup de descriptions de la nature (Au vent du large);
  • Des réflexions : la peur de vieillir (Elle nous regarde vieillir), l’ennui (Et j’ai songé que les étoiles), la fragilité humaine (Le tribut à la prudence), l’indécision (C’est toujours demain), la souffrance (Si l’homme était Dieu);
  • Des histoires de Noël (Bériot, le vieux sonneur).

L’essai aurait pu s’intituler : « De la difficulté de vivre ». Bernier décrit l’être humain dans sa quête perpétuelle du bonheur, incapable de le reconnaitre quand il passe, rongé de regrets bien inutiles.

La dernière chronique porte le titre qui coiffe le livre : On vend le bonheur : « Trop près de son bonheur, on ne le voit pas; il y a en nous un fonds d’égoïsme qui, sans être coupable, est bien puni, quand il nous fait méconnaître les prédilections et les douceurs qui furent notre lot, quand une fois on a laissé la proie pour l’ombre. / Tant que la vie ne s’est pas mêlé de nous enseigner; tant qu’elle ne nous a pas montré du doigt nos faiblesses et nos vanités, on laisse chatoyer la chimère qui vit de nos vains soucis; on vend le bonheur pour le plaisir. »

Jovette-Alice Bernier est une femme sensible et intelligente. Avec beaucoup de perspicacité, elle se sert de son vécu pour s’autoanalyser mais aussi pour comprendre le monde autour d’elle et l’aventure humaine dont nous faisons tous et toutes partie. Ces chroniques constituent un complément obligatoire pour qui s’intéresse à la poète. En plus, c’est très bien écrit.

 

EXTRAIT : ET J’AI SONGÉ QUE LES ÉTOILES

Je regardais descendre la nuit. L’heure était lente, et l’horizon n’était plus qu’une brume rosée où se fondait du gris. En ondes lointaines et étouffées, les derniers bruissements du jour se confondaient entre eux et rencontraient leurs échos répercutés aux montagnes voisines.

Comme une lourde paupière que le soleil incline, et fermera bientôt, la nuit descendait.

Je voulais voir se lever au bas du ciel l’étoile première qui ne vient qu’une heure participer au rêve éternel de la nature, et qui s’efface lentement sous l’horizon dès que la féerie du firmament s’allume.

Son éphémère présence, le solitaire et timide éclat de sa beauté rivaient mes yeux à son mystère. J’aurais voulu surprendre quelque aveu du clignotement de sa prunelle, avant que n’arrivassent de tous les coins du ciel, les constellations, fidèles vestales de la nuit.

Mais dès que les ombres eurent enveloppé obscurément les êtres et les choses, je l’ai vue chaque soir, par le même chemin, s’assombrir... s’assombrir, et décliner dans le bas-horizon vers quelque toujours même inconnu.

Et j’ai songé que les étoiles, peut-être, subissent comme nous quelque implacable destin; et que l’azur où leur existence semble si douce n’est peut-être pas plus clément que notre terre; j’ai songé qu’elles n’étaient pas encore assez loin de nous et pas encore assez près des cieux pour se défendre de l’ennui et pour posséder ce qu’elles ont d’infini dans leurs désirs et d’incomplet dans leur vie. »

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