15 septembre 2020

Voiages du R. P. Emmanuel Crespel dans le Canada et son naufrage en revenant en France

Louis Crespel, Voiages du R. P. Emmanuel Crespel dans le Canada et son naufrage en revenant en France, A. Côté, 1884, 197 pages (Préface de Louis Crespel) (1ère édition : 1742)

Ce récit est composé des huit lettres que le père Emmanuel Crespel (1703-1775) expédie à son frère Louis en 1741. Ce dernier a insisté pour que son frère accepte de publier ses aventures au Canada.

Les deux premières lettres racontent le séjour du père Crespel au Canada et les différentes missions qu’il doit remplir, surtout dans la région des Grands Lacs, entre 1724 et 1736. Crespel est très précis dans la narration de ses déplacements, parle un peu de la flore et de la faune, raconte surtout les difficultés qu’il doit affronter. Dans ses relations avec les Autochtones, on perçoit son ambivalence.

Les six lettres suivantes racontent le naufrage de La Renommée le 14 novembre 1736, sur une pointe de « Roches plattes, éloignée d’environ huit lieues de la pointe méridionale de l’Isle Anticosti ». Le bateau, parti de Québec, faisait route vers la France.

De peine et misère, la plupart des naufragés réussissent à gagner Anticosti. On est en novembre, la neige s’en mêle et les vivres récupérés sur le bateau échoué leur assurent tout au plus 40 jours de victuailles. Les 54 survivants comprennent vite qu’ils doivent agir, c’est-à-dire rejoindre Mingan sur la Basse-Côte-Nord. Ils ont une chaloupe (17 passagers) et un canot (13 passagers) qui peuvent embarquer 30 personnes, c’est dire que 24 d’entre eux doivent rester sur les lieux du naufrage avec des provisions.

Le 27 novembre commence leur périple. Il leur faut d’abord contourner la pointe méridionale de l’île. Les treize qui étaient montés dans le canot périssent rapidement sans qu’on sache ce qui s’est passé. Dès le 8 décembre, les 17 dans la chaloupe, dont le père Crespel, se rendent compte qu’ils ne pourront pas traverser le fleuve à cause des glaces. Ils organisent un camp de fortune et limitent les rations de nourriture. Il faut survivre jusqu’au mois d’avril. Leur cas semble complètement désespéré lorsqu’ils perdent leur barque à la mer. La maladie et le désespoir les rongent. Heureusement, le père Crespel est là : « Nos Malades empiraient tous les jours ; la Cangrêne s'étoit mise dans leurs jambes , et personne ne pouvait les panser ; je me chargeai de ce soin ; il étoit de mon devoir de donner l'exemple de cette Charité qui est la base de notre sainte Religion ; je fus pourtant combattu quelques momens entre le mérite de remplir mes obligations, et le danger qu'il y avoit à m'en acquitter ; Dieu me fit la grâce de triompher de ma répugnance ; mon devoir l'emporta, et quoique le tems auquel je pansois les playes de mes Camarades fût pour moi le plus cruel de la journée, jamais  je ne rallentis les soins que je leur devois. » Quatorze d’entre eux mourront de malnutrition et des suites d’engelures.

Vient le mois d’avril. Les trois survivants, dont le père Crespel, finissent par joindre des Autochtones, de retour sur l’île, pour pratiquer la chasse et la pêche. Ils sont sauvés. De Mingan, on envoie immédiatement des secours vers ceux qui étaient restés sur les lieux du naufrage. On y ramène trois nouveaux survivants qui s’étaient trouvés dans l’obligation « de manger jusqu’aux dépouilles de ceux de leurs Camarades qu’ils avoient perdus ».

Le texte se lit encore très bien. On comprend qu’il ait eu beaucoup de succès. Bien que les faits soient historiques, on a l’impression de lire un récit d’aventures dont le père Crespel serait le héros. Il semble invincible. Un véritable sauveur! On dirait que le gel et la faim, il ne connaît pas. C’est lui le narrateur, alors… il peut bien raconter ce qu’il veut.

Les histoires de naufragés sont vieilles comme le monde. Beaucoup de romans et de films continuent d’exploiter ce scénario : qui peut rester insensible devant des victimes courageuses qui affrontent des difficultés au-dessus de leurs forces? Par ailleurs, ce récit souligne assez souvent l’incompréhension dans les relations entre les autochtones et les Blancs et il est intéressant de ce point de vue. Ajoutons qu’on trouve une biographie du père Crespel à la fin du livre.

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