Blanche Lamontagne, Par nos champs et nos rives…, Montréal, Édition du Devoir, 1917, 189 pages. (Préface de Lionel Groulx)
Le 25 mai 1958, à l’orée de la Révolution tranquille, décédait dans l’indifférence totale Blanche Lamontagne. C’est aujourd’hui le 50e anniversaire du décès de cette première femme poète au Québec, célèbre en son temps. Rassurez-vous, je n’ai pas l’intention d’évoquer la cruauté de l’histoire, l’injustice de son oubli. Blanche Lamontagne s’est contentée de répondre aux canons de son époque et en ce, l’histoire est plutôt juste à son endroit. Je sais, il n’y aura probablement personne d’autre que moi pour souligner cet anniversaire. Il est vrai que cette œuvre et son auteure incarnent tout à fait le courant « vieilles choses, vieilles gens », dont les chefs de file furent Adjutor Rivard et Lionel Groulx, et que ce courant n’a plus guère d’intérêt, même pour les littéraires.
La poésie de Blanche Lamontagne n’est pas très compliquée. Elle se présente la plupart du temps comme un chant de louanges, un hommage, une célébration, une prière, une supplication. En d’autres mots, la poète applique le modèle religieux. Les prières et les supplications s’adressent à Dieu, les chants et les louanges aux vieilles gens, à la nature, à la vie paysanne… Elle invite le lecteur à reconnaître la beauté de la nature, la bonté du cœur humain, à accepter sans révolte les affres de la vie et à remercier Dieu pour tant de richesses. « Chante quand un chagrin vainqueur / T’arrache des cris de souffrance, / Chante! Le chant met dans le cœur / Des divins rayons d’espérance!... »
Dans la première partie de Par nos champs et nos rives…, Blanche Lamontagne entend « chanter la terre canadienne / Et la campagne de chez-nous!... » Cependant, comme l’a bien vu Lionel Groulx dans la préface, la nature n’est souvent qu’un prétexte pour célébrer la religion : « Pour Mademoiselle Lamontagne, les paysages physiques ne sont que l'envers de paysages moraux, et, sous la réalité visible, elle pénètre jusqu'aux formes éternelles. Parce que toute beauté créée n'est qu'une vibration de l'harmonie infinie, toute contemplation terrestre lui devient motif à élévation spirituelle. » Souvent elle exprime directement sa foi. « Un peuple n’est grand et n’est beau qu’à genoux!... », écrit-elle. Ici, il faut comprendre « à genoux » dans le sens religieux. Elle exploite aussi la grande idée romantique qui veut qu’on puisse découvrir le divin à travers la nature. Les motifs vont de la célébration du clocher et de l’église en passant par le vent, la nuit, la pluie. Le mal est symbolisé par le vent et la neige.
Dans la deuxième partie, intitulée « La mer », la mort est le thème développé. Le motif principal, c’est le naufrage. On le sait, l’auteure est née aux Escoumins et a vécu à Cap-Chat, là où le Saint-Laurent est une mer. Pourtant, on dirait que le fleuve n’est beau que vu du rivage. Avec la complicité du vent, il vole les hommes aux travaux des champs et les précipite dans son gouffre à la moindre occasion. Malgré tout, les femmes et les enfants éplorés ne réussissent jamais à le condamner tout à fait : « Vivons près de ce fleuve ami. / Les morts qui sont couchés, pour le repos suprême, / Et que nous n’avons pas cessé d’aimer quand même, / Font qu’un lien éternel va de nos cœurs à lui!... »
Le refrain du premier poème de la troisième partie, « Moi, je chante les "habitants"!... », révèle bien le propos. C’est un long hommage au mode de vie paysan, avec les quelques motifs habituels : la célébration du cycle du pain, du vieux ber, de l’heure des vaches, du laboureur, des récits de l’aïeule, etc.
La maison, ou plutôt la « maisonnée », chantée sur le mode de la nostalgie, sert de lien aux poèmes qui composent la dernière partie. Rien de très original : cette maison, elle est plantée en pleine campagne, le dos aux champs et la face au fleuve. Elle est un abri contre les turpitudes du monde, un lieu de ressourcement pour les vieux paysans, un musée de leurs souvenirs. « O vrai bonheur! Venir, comme autrefois, s’asseoir, / À la place d’antan, chaude et familière! / Se retrouver autour de la lampe, le soir, / Tous ensemble, ô mes sœurs, ô mon père, ô ma mère!... » C’est la femme qui prête sa chaleur à la maison. Ce foyer du bonheur préfigure la dernière demeure, la maison divine : « Une sainte demeure, où nous vivrons toujours, / Loin des troubles cruels qui dévorent nos jours. »
Voici comment Groulx conclut sa préface : « Faire tenir dans un recueil de poèmes, avec l'élan mystique de notre foi, la beauté de la terre natale et la substance héroïque du passé, et faire chanter toutes ces choses dans les rythmes ailés du vers français, voilà, si je ne me trompe, qui serait assurément de la grande poésie. Et, pour ma part, je ne veux nullement prétendre que Mademoiselle Lamontagne ait atteint le Saint-Graal. Mais mieux que d'autres peut-être elle a su rester digne de sa foi et de son petit pays et faire de son œuvre le prolongement loyal de son âme. Ainsi, sans l'avoir voulu ni cherché, la jeune poétesse, avec ce mélange de mysticisme et de réalisme national, nous aura précisé la formule de notre poésie de l'avenir, celle qui, en exultant toutes nos jeunes énergies, saura chanter à la grande mesure de notre âme. »
LE POÈME DES ARBRES (extrait)
Les arbres sont des cœurs que Dieu n’a pas finis.
Altérés de lumière, avides d’infini,
Ils regardent, sans cesse, au fond des sombres nues,
Les chemins qui conduisent aux voûtes inconnues…
De même que nos cœurs tendent vers la beauté,
Les arbres, dans la vaste et pâle immensité,
Face à face au matin, d’où jaillit la lumière,
Dans une inaltérable et sublime prière,
Les arbres vers le ciel, dans l’azur suspendu,
Tendent les bras, avec des gestes éperdus!...
Quelques fois, on dirait qu’ils montent, dans l’espace,
Qu’ils vont prendre leur vol, avec l’oiseau qui passe,
Libres de toute attache au sol qui les retient,
Et délivrés, enfin, de leur terrestre lien!...
Mais non! Leur vol est court et cette joie est brève!
Ils reprennent, bientôt, leur tristesse et leur rêve,
Car, des lieux éternels, ils demeurent bannis :
Les arbres sont des cœurs que Dieu n’a pas finis!...
Lire le recueil
Blanche Lamontagne sur Laurentiana :
Par nos champs et par nos rives
Le 25 mai 1958, à l’orée de la Révolution tranquille, décédait dans l’indifférence totale Blanche Lamontagne. C’est aujourd’hui le 50e anniversaire du décès de cette première femme poète au Québec, célèbre en son temps. Rassurez-vous, je n’ai pas l’intention d’évoquer la cruauté de l’histoire, l’injustice de son oubli. Blanche Lamontagne s’est contentée de répondre aux canons de son époque et en ce, l’histoire est plutôt juste à son endroit. Je sais, il n’y aura probablement personne d’autre que moi pour souligner cet anniversaire. Il est vrai que cette œuvre et son auteure incarnent tout à fait le courant « vieilles choses, vieilles gens », dont les chefs de file furent Adjutor Rivard et Lionel Groulx, et que ce courant n’a plus guère d’intérêt, même pour les littéraires.
La poésie de Blanche Lamontagne n’est pas très compliquée. Elle se présente la plupart du temps comme un chant de louanges, un hommage, une célébration, une prière, une supplication. En d’autres mots, la poète applique le modèle religieux. Les prières et les supplications s’adressent à Dieu, les chants et les louanges aux vieilles gens, à la nature, à la vie paysanne… Elle invite le lecteur à reconnaître la beauté de la nature, la bonté du cœur humain, à accepter sans révolte les affres de la vie et à remercier Dieu pour tant de richesses. « Chante quand un chagrin vainqueur / T’arrache des cris de souffrance, / Chante! Le chant met dans le cœur / Des divins rayons d’espérance!... »
Dans la première partie de Par nos champs et nos rives…, Blanche Lamontagne entend « chanter la terre canadienne / Et la campagne de chez-nous!... » Cependant, comme l’a bien vu Lionel Groulx dans la préface, la nature n’est souvent qu’un prétexte pour célébrer la religion : « Pour Mademoiselle Lamontagne, les paysages physiques ne sont que l'envers de paysages moraux, et, sous la réalité visible, elle pénètre jusqu'aux formes éternelles. Parce que toute beauté créée n'est qu'une vibration de l'harmonie infinie, toute contemplation terrestre lui devient motif à élévation spirituelle. » Souvent elle exprime directement sa foi. « Un peuple n’est grand et n’est beau qu’à genoux!... », écrit-elle. Ici, il faut comprendre « à genoux » dans le sens religieux. Elle exploite aussi la grande idée romantique qui veut qu’on puisse découvrir le divin à travers la nature. Les motifs vont de la célébration du clocher et de l’église en passant par le vent, la nuit, la pluie. Le mal est symbolisé par le vent et la neige.
Dans la deuxième partie, intitulée « La mer », la mort est le thème développé. Le motif principal, c’est le naufrage. On le sait, l’auteure est née aux Escoumins et a vécu à Cap-Chat, là où le Saint-Laurent est une mer. Pourtant, on dirait que le fleuve n’est beau que vu du rivage. Avec la complicité du vent, il vole les hommes aux travaux des champs et les précipite dans son gouffre à la moindre occasion. Malgré tout, les femmes et les enfants éplorés ne réussissent jamais à le condamner tout à fait : « Vivons près de ce fleuve ami. / Les morts qui sont couchés, pour le repos suprême, / Et que nous n’avons pas cessé d’aimer quand même, / Font qu’un lien éternel va de nos cœurs à lui!... »
Le refrain du premier poème de la troisième partie, « Moi, je chante les "habitants"!... », révèle bien le propos. C’est un long hommage au mode de vie paysan, avec les quelques motifs habituels : la célébration du cycle du pain, du vieux ber, de l’heure des vaches, du laboureur, des récits de l’aïeule, etc.
La maison, ou plutôt la « maisonnée », chantée sur le mode de la nostalgie, sert de lien aux poèmes qui composent la dernière partie. Rien de très original : cette maison, elle est plantée en pleine campagne, le dos aux champs et la face au fleuve. Elle est un abri contre les turpitudes du monde, un lieu de ressourcement pour les vieux paysans, un musée de leurs souvenirs. « O vrai bonheur! Venir, comme autrefois, s’asseoir, / À la place d’antan, chaude et familière! / Se retrouver autour de la lampe, le soir, / Tous ensemble, ô mes sœurs, ô mon père, ô ma mère!... » C’est la femme qui prête sa chaleur à la maison. Ce foyer du bonheur préfigure la dernière demeure, la maison divine : « Une sainte demeure, où nous vivrons toujours, / Loin des troubles cruels qui dévorent nos jours. »
Voici comment Groulx conclut sa préface : « Faire tenir dans un recueil de poèmes, avec l'élan mystique de notre foi, la beauté de la terre natale et la substance héroïque du passé, et faire chanter toutes ces choses dans les rythmes ailés du vers français, voilà, si je ne me trompe, qui serait assurément de la grande poésie. Et, pour ma part, je ne veux nullement prétendre que Mademoiselle Lamontagne ait atteint le Saint-Graal. Mais mieux que d'autres peut-être elle a su rester digne de sa foi et de son petit pays et faire de son œuvre le prolongement loyal de son âme. Ainsi, sans l'avoir voulu ni cherché, la jeune poétesse, avec ce mélange de mysticisme et de réalisme national, nous aura précisé la formule de notre poésie de l'avenir, celle qui, en exultant toutes nos jeunes énergies, saura chanter à la grande mesure de notre âme. »
LE POÈME DES ARBRES (extrait)
Les arbres sont des cœurs que Dieu n’a pas finis.
Altérés de lumière, avides d’infini,
Ils regardent, sans cesse, au fond des sombres nues,
Les chemins qui conduisent aux voûtes inconnues…
De même que nos cœurs tendent vers la beauté,
Les arbres, dans la vaste et pâle immensité,
Face à face au matin, d’où jaillit la lumière,
Dans une inaltérable et sublime prière,
Les arbres vers le ciel, dans l’azur suspendu,
Tendent les bras, avec des gestes éperdus!...
Quelques fois, on dirait qu’ils montent, dans l’espace,
Qu’ils vont prendre leur vol, avec l’oiseau qui passe,
Libres de toute attache au sol qui les retient,
Et délivrés, enfin, de leur terrestre lien!...
Mais non! Leur vol est court et cette joie est brève!
Ils reprennent, bientôt, leur tristesse et leur rêve,
Car, des lieux éternels, ils demeurent bannis :
Les arbres sont des cœurs que Dieu n’a pas finis!...
Lire le recueil
Blanche Lamontagne sur Laurentiana :
Par nos champs et par nos rives
Merci beaucoup d'avoir souligné cet anniversaire. Un jour, j'espère qu'un jour j'aurai le bonheur de trouver son recueil «Par nos champs et nos rives...,», je ne perds pas espoir.
RépondreEffacerBonjour, j' ai en ma possession ce livre.
EffacerPar hasard...comme le hazard le fait toujours bien, j'ai acheté ce livre ce matin sans savoir, juste par curiosité...
RépondreEffacerC'est peut-être le meilleur recueil de poésie du terroir. En tout cas, l'un des plus représentatifs.Elle ne se contente pas de recenser les vieilles choses et même les vieilles gens. Elle n'oublie jamais l'aspect humain.Ce sont des êtres avec leurs espoirs, leurs difficultés, leurs croyances mais aussi leurs limites qui vivent devant nous.
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