Michel Beaulieu, Pour chanter dans les chaînes, Montréal, Éd. La Québécoise, 1964, n.p. [environ 80 pages]
C’est
le premier recueil de Michel Beaulieu. Dans la table des matières, il a daté
ses poèmes : ils auraient été écrits entre 1961 et 1964.
Pour
qui, comme moi, n’a lu que le Beaulieu de la fin des années 70 et du début des
années 80, ce recueil a de quoi surprendre. On n’y retrouve pas le langage
dépouillé, sans effusion lyrique, presque réaliste, de ses derniers recueils. On
découvre un auteur engagé, prêt à relever les défis de son époque. Dès le
départ, on est averti : « A moi la parole / face à la vertu du
silence / à moi les paraboles / aux lourdes sentences ». Il semble que le
poète soit chargé de crier haut et fort ce qui est tu dans la société, ce qui
le rapproche bien entendu des poètes du pays. D’ailleurs, les premiers poèmes
abordent le thème : « Mon pays / squelette décharné d’où suinte l’odeur du caveau / et le souffle originel t’insuffle le premier geste ».
Montréal parfois se substitue au pays, comme si les deux se confondaient :
« mon pays ma ville ma lyre et mon soupir / ma ville à foulard noué au col
du venant ».
Plus
loin dans le recueil, on découvre que son engagement déborde le créneau
nationaliste. Il se questionne sur le
sens de la vie contemporaine et on retrouve un peu le ton désenchanté de ses
recueils ultérieurs : « C’est inutile / Nos prières ne changent rien
/ Ni les satellites / Ni les guerres atomiques ». Ou encore :
« La glace fébrile sous les tenailles de la ville / Miroitait un salut
blême plus / Que la face des cadavres chauds / Un soleil meurtri comme / Un
corps de fosse commune ». Ou encore : « Tout est tout disait-il
/ De la cendre naît l’homme / De l’homme naît la cendre / Et ce corps est de
mort / Et ce corps est de vie / Baigner dans ce lac qui lentement / fuit de
spirale en spirale / Et la feuille à l’automne rougeoie / au centre de la
saulaie équivoque ».
Extrait
Je
ne passerai jamais assez en mon verbe ce
que le sang porte d’amour et ce que le
cœur a de vie en soi de battre au
rythme clouté de la ville
ma
ville a froid ce soir de l’étrange violaçure
boréale du printemps je ne pourrai jamais
non plus dire ce que mon œil saisit de
rosaces
et
mon oreille de douces-amères paraboles
j’ai
besoin fécond de l’univers de mon pays
pour crier à la voix de mon siècle le
rapide cliquetis des trains qui traversent
les campagnes et le gémissement aigu de
leurs roues freinant dans les gares
je
n'aurai jamais assez de mains pour caresser
ton corps de femme-fille qui poussera
dans la nuit ses râles de biche éperdue
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