14 décembre 2024

L'homme rapaillé (1981)

(Le 14 décembre, date de décès de Miron, on se permet un peu de
 mironnage.)

Gaston Miron, L'homme rapaillé, Paris, François Maspero, 1981.  

(J’ai écrit ce texte en 2000 et je l’ai publié sur le site Critiques libres. J’avais vécu un an à Genève et je voulais faire connaître L’homme rapaillé aux Européens et aux autres francophones.)

On s’entend au Québec pour dire que Gaston Miron est l’un de nos plus grands poètes. Et ce n’est pas parce que Bernard Pivot, dans sa Bibliothèque idéale, l’a inséré parmi les cinquante plus grands poètes francophones. Pourtant, il est l’auteur d’un seul livre, qui a connu de multiples évolutions, livre toujours inachevé lorsque la mort survient en 1996. Ce livre c’est L’homme rapaillé (québécisme : remettre ensemble ce qui a été séparé).

Ce recueil peut être lu en dehors de toute considérations historiques et locales, comme en font foi les nombreuses traductions. Pourtant, il est lié à un moment précis de notre histoire. Aux alentours des années 1960, en pleine période de décolonisation, les Canadiens français, aliénés, inféodés aux grands intérêts anglo-saxons depuis la Conquête (1760) sortent de la Grande Noirceur, entrent dans l’Histoire, choisissent de s’appeler les Québécois. Toute une partie de l’œuvre de Miron témoigne de cette période d’effervescence où un peuple choisit de reprendre en main sa destinée. Sa poésie est engagée, revendicatrice, politique, plus proche de la poésie du Tiers-Monde que de celle de l’Europe.

     Il est triste et pêle-mêle dans les étoiles tombées
     livide, muet, nulle part et effaré, vaste fantôme
     il est ce pays seul avec lui-même et neiges et rocs
     un pays que jamais ne rejoint le Soleil natal
     (Héritage de la tristesse)

Mais Miron n’est pas qu’un poète de circonstances, qu’un poète national. Il a aussi écrit quelques-uns de nos plus beaux poèmes d’amour, amour le plus souvent malheureux, amour dévoré par le militant. Miron, c’est une espèce de Vieux Romantique, excessif, passionné, qui arrive mal à concilier poésie, militantisme et vie sentimentale.

     Tu as les yeux pers des champs de rosées
     tu as les yeux d’aventure et d’années-lumière
     la douceur du fond des brises au mois de mai
     dans les accompagnements de ma vie en friche
     avec cette chaleur d’oiseau à ton corps craintif
     moi qui suis charpente et beaucoup de fardoches
     moi je fonce à vive allure et entêté d’avenir
     la tête en bas comme un bison dans son destin
     la blancheur des nénuphars s’élève jusqu’à ton cou
     pour la conjuration de mes manitous maléfiques
     moi qui ai des yeux où ciel et mer s’influencent
     pour la réverbération de ta mort lointaine
     avec cette tache errante de chevreuil que tu as
     (La marche à l’amour)

Et encore ? Miron a essayé de cerner la langue québécoise, non pas l’argot, mais une langue héritée de nos ancêtres français et transformée par des circonstances historiques, par cette coupure d’un siècle qui a suivi la Conquête. Ses poèmes sont truffés de québécismes et, plus important encore, ils essaient de reproduire le rythme de la parole populaire québécoise. Un rythme cassé, une phrase souvent orpheline qui se développe plus par à-coups que par longues tirades.

     Nous sommes nombreux silencieux raboteux rabotés
     dans les brouillards de chagrin crus
     à la peine à piquer du nez dans la souche des misères
     un feu de mangeoire aux tripes
     et la tête bon dieu, nous la tête
     un peu perdue pour reprendre nos deux mains
     ô nous pris de gel et d’extrême lassitude
     (Le damned Canuck)

Quand il est décédé en 1996, il est devenu le premier écrivain québécois à se voir offrir des funérailles nationales. Non qu’il fût un héros, mais parce que l’amour, l’amour de la littérature, l’amour de la langue, l’amour du pays ont trouvé en lui un valeureux défenseur, parce qu’il leur a consacré toute sa vie avec une générosité qui n’a que très rarement trouvé sa pareille, du moins chez nous.

Actualité de Miron en France

Gaston Miron sur Laurentiana

Gaston Miron - biographie
Deux sangs
L’Homme rapaillé (étude)
À bout portant
Les débuts de l’Hexagone (Pilon)
L'Hexagone 25 : rétrospective 1953-1978
Les Matinaux (René Char)
Pour saluer Miron (2015 : Courtepointes)
Le damned Canuck (étude)
Pour saluer Miron (2018)
Avec toi (2019)
Compagnon des Amériques (2020) 
Hommage à Miron (2021)
Sur la place publique (étude)
Balado sur Miron
Le poème liminaire (étude)

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