« Une fin d’après-midi d’automne, en 1953. Nous sommes quatre ou cinq bougres poètes dans le fond d’une taverne à l’angle sud-est des rues Sherbrooke et Bleury. Nous dissertons sans fin sur la poésie et nous nous lisons mutuellement nos poèmes. À un moment, je remarque que tous les habitués se sont rapprochés aux tables avoisinantes et écoutent d’un air éberlué. Même les serveurs qui en font autant! Tout à coup l’un de ceux-ci nous apostrophe: « C’est pas ça, vous l’avez pas pantoute. C’est comme ça qu’on dit: “Crisse de câlisse de tabarnak d’ostie de saint-chrême...”» En un éclair, je viens de saisir l’un des éléments rythmiques de notre parole populaire, celui du juron. Je cours chez moi et, dans un état d’exaltation, me mets à écrire dans cette veine et dans cet esprit. Un titre à ces premières ébauches? J’emploie depuis longtemps l’expression « maudite batèche de vie » pour manifester tantôt ma misère ou ma révolte, tantôt ma tendresse ou ma compassion. »
LE DAMNED CANUCK
Nous sommes nombreux silencieux raboteux rabotés
dans les brouillards de chagrin crus
à la peine à piquer du nez dans la souche des misères
un feu de mangeoire aux tripes
et la tête bon dieu, nous la tête
un peu perdue pour reprendre nos deux mains
ô nous pris de gel et d’extrême lassitude
la vie se consume dans la fatigue sans issue
la vie en sourdine et qui aime sa complainte
aux yeux d’angoisse travestie de confiance naïve
à la rétine d’eau pure dans la montagne natale
la vie toujours à l’orée de l’air
toujours à la ligne de flottaison de la conscience
au monde la poignée de porte arrachée
ah sonnez crevez sonnailles de vos entrailles
riez et sabrez à la coupe de vos privilèges
grands hommes, classe écran, qui avez fait de moi
le sous-homme, la grimace souffrante du cro-magnon
l’homme du cheap way, l’homme du cheap work
le damned Canuck
seulement les genoux seulement le ressaut pour dire
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Merci pour ce poème de Miron. J'y vois mon père lorsqu'il revenait de son travail à la mine d'amiante appartenant à des Américains. Il n'avait pas la révolte de Miron mais il acceptait la servitude pour nourrir ses enfants.
RépondreEffacerRaymonde Gobeil
Merci Raymonde ton commentaire me fait chaud au coeur. J'y vois mon père aussi. Il faut se sortir de se sentiment d'infériorité social.
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