Étude sur le damned Canuck

QueSTIONNAIRE ET Corrigé du « DAMNED CANUCK »

Ce poème est l’un des plus célèbres de Miron. Il décrit la situation des Canadiens français à la fin des années 50.

Que signifie le titre? Quelle en est la connotation[1]?

Au départ, « Canuck », c’est un surnom que les Américains donnent aux Canadiens. Le mot n’avait pas la connotation positive contemporaine : un Canuck, c’était un être primitif. Certains anglophones vont la reprendre et l’appliquer aux Canadiens français en ajoutant un « damned ». Miron ne l’a pas inventé, il l’a entendu. Comme d’autres groupes l’ont fait, entre autres les Noirs américains, pour neutraliser une insulte, il suffit de la reprendre à son compte, de se l’approprier. C’est ce que fait Miron en choisissant ce surnom comme titre pour son poème.

1.      Le recueil de Miron comprend plusieurs suites (ensemble de poèmes groupés autour d'un thème). Ce poème fait partie de « La Batèche ». D'où vient cette expression? Dans quel contexte l'emploie-t-on?

Le terme est dérivé du mot « baptême ». C’est un juron. En déformant le mot, (batèche plutôt que baptême – certains disaient batinse), on allège le juron, on le dépouille d’une partie de son origine sacrée. Il n’en garde pas moins beaucoup de force lorsqu’il est employé dans un contexte de colère, de revendication.

Étude du vocabulaire

2.      Si vous en ignorez la signification, cherchez dans le dictionnaire les mots et expressions qui suivent.

raboteux : surface inégale

rabotés : surface aplanie

crus : sans ménagement, pénible

sourdine : sans bruit

travestie : aspect faux, mensonger

sonnailles : clochette des animaux

sabrez : faire sauter avec un sabre (sabrer le champagne) ; connotation : fêter

cheap way : manière dégradante, minable

cheap work : travail minable, routine aliénante

ressaut : saillie pour s’accrocher

3.      Un champ lexical traverse ce poème. On pourrait le nommer le champ lexical de la souffrance. Relevez tous les mots qui y contribuent.

Les souffrances

Strophe 1

Silencieux, rabotés, brouillards, chagrins, peine, piquer du nez, misères, perdue, gel, lassitude

Strophe 2

Fatigue, sourdine, complainte, angoisse, orée de l’air, ligne de flottaison, arrachée

Strophe 3

Crevez, sous-homme, grimace, souffrante, cheap way, cheap work

 

Strophe 1 : l’aliénation[2] du Canadien français

4.      « raboteux rabotés » : Qu’est-ce que cela veut dire dans le contexte de la Grande noirceur ?

Un être raboté a perdu ses aspérités, sa personnalité. C’est un être qui s'est écrasé, qui s’est effacé… ou un être qu’on a écrasé… ou un mélange des deux. 

5.      Dans les trois premiers vers, Miron décrit la situation difficile des Canadiens français. On pourrait dire que leur détresse est à la fois psychologique et sociale. Qu’est-ce qui permet de le dire ?

§  Les « brouillards » et le « chagrin » sont plutôt d’ordre psychologique;

§  « piquer du nez dans la souche des misères » réfère au contexte socio-économique. (Rappelons que la commission Laurendeau-Dunton avait démontré que les Canadiens français se situaient au 11e rang quant au salaire au Canada.)

6.      Dans la première strophe (v. 3-4), deux métaphores prennent comme terme de comparaison une réalité du folklore québécois : « feu de mangeoire » et « souches des misères ». Dites ce que chacune signifie.

§  « feu de mangeoire » : feu qui brûle sans qu’on s’en aperçoive, qui fermente (comme la nourriture laissée dans une mangeoire). Colère qui fermente.

§  « souche des misères » : travail au ras du sol. La « souche » d’un problème, ce sont ses causes profondes.

Connotation historique : travail très difficile des pionniers qui devaient « faire reculer la forêt » pour bâtir une maison et des dépendances. Souvent ils cultivaient à travers les souches. Ce mot réfère aussi aux bûcherons, à leur difficile travail loin des leurs, dans les forêts du Nord.

7.      Si on s’en tient à la première strophe, qu’est-ce qui empêche les Canadiens français de réagir au sort (« raboteux rabotés ») qui leur a été fait ?

§  confusion (« brouillards », l. 2), (« la tête / un peu perdue pour reprendre nos deux mains», l. 6),

§  immobilisme (« nous pris de gel », l. 7),

§  fatigue (« extrême lassitude », l. 7)

 

Strophe 2 : les conséquences désastreuses de cet immobilisme

8.      Dans les vers 9 et 10, Miron critique les Canadiens français. Que leur reproche-t-il ?

  • Aimer se plaindre (« qui aime sa complainte ») ;
  • Faire preuve de naïveté (« angoisse travestie en confiance naïve »). Miron dénonce un certain aveuglement des Canadiens français qui refusent de regarder leur situation en face, préférant se dire que tout va pour le mieux en ce pays. Incapables d’exprimer leur souffrance, ils s’enlisent encore plus. En même temps, Miron dit qu’ils sont trop démunis pour y voir clair.

9.      Expliquez les métaphores suivantes :

§  « la vie en sourdine » : une vie qui n’ose pas s’affirmer, celle de ceux qui se contentent d’un petit pain.

§  « à la rétine d'eau pure dans la montagne natale » (v. 11) : ne voir que les belles choses (se réfugier dans la montagne natale) ; ou encore : pleurer (rétine d’eau pure) sur soi (la montagne, pour Miron : Les Laurentides, le pays).

§  « un monde la poignée de porte arrachée » (v. 14) : on ne peut ni entrer, ni sortir. On est isolé, seul, coincé, prisonnier.

10.  Quelles sont les deux grandes conséquences de l’état d’immobilisme des Canadiens français ?

§  Ils sont menacés de disparition : « toujours à l’orée de l’air / toujours à la ligne de flottaison » v. 12-13

§  Ils sont coincés : « un monde la poignée de porte arrachée » (v. 14)


Strophe 3 : après avoir déterminé le mal canadien-français, après avoir dénoncé une certaine attitude défaitiste de leur part, Miron s’attache à nommer les sources du mal.

11.  « ah sonnez crevez sonnailles de vos entrailles! » : à qui s’adresse-t-il dans ce vers ?

Vraisemblablement il s’adresse aux Canadiens français. Ce sont eux qui portent des sonnailles comme de bêtes, en attendant de crever. Il faut y lire une certaine rage et un cri de ralliement. On pourrait traduire : « Débarrassez-vous de votre état de servage! »

12.  Miron s’adresse dans le reste de la strophe aux « grands hommes » et à la « classe écran ».

§  Qui sont ces « grands hommes » et cette « classe écran » ?

i)        Grands hommes : Dirigeants politiques et économiques, le plus souvent anglophones.

ii)      Classe écran : leurs valets. Les Canadiens français qui les servent. Les « ti-boss ». Tous ceux qui enseignent la soumission.

§  Quel ton utilise-t-il?  Sarcasme, ironie

§  Quel rôle leur attribue-t-il dans la déchéance du peuple canadien-français?

i)        Les avoir asservis, écrasés, aliénés.

13.  Pourquoi Miron utilise-t-il l'anglais pour désigner le Canadien français dans cette strophe?

Il utilise certaines expressions, liées au mépris que nous portait le pouvoir anglo-saxon. Le « cheap work », c’était le lot du « petit » Canadien français.

14.  Qu’est-ce qu’un « damned Canuck » (pour Miron)?

C’est un être dominé, un porteur d’eau, menacé de disparaitre. C’est un être perdu, qui sent confusément que sa situation est précaire, mais qui n’arrive pas à mettre en place tous les morceaux du problème afin de le résoudre. Plutôt il se complaît dans une certaine médiocrité qui l’accommode. C’est sa situation de colonisé qui a fait de lui cet être incapable de s’affirmer. 


Questions sur l’ensemble du poème

15.  Pourquoi le dernier vers n'est-il pas rattaché à la troisième strophe?

C’est un cri d’espoir, un dernier espoir (ressaut-soubresaut) : la situation n’est pas encore perdue : on peut bondir (genoux) et parler (dire) ; 

ou encore, on est peut-être à genoux, mais on peut encore parler, dénoncer, revendiquer. (Les années 1960 sont parfois appelées en littérature : « L’âge de la parole ».)

16.  L'homme est désigné par des parties de son corps (métonymie).

Lesquelles? Nez, tripes, têtes (2), mains, yeux, rétine, entrailles, genoux
Que faut-il en comprendre? Cet homme est en pièces détachées.
Quel lien peut-on faire avec le titre du recueil de Miron ? Le Canadien français est un homme non rapaillé.

Jean-Louis LessardLe damned Canuck.doc - automne 2002

 


[1] Valeur affective ou culturelle attachée à un mot.

[2] État de l'individu qui, par suite des conditions sociales (économiques, politiques, religieuses), est privé de son humanité et est asservi. Par ext. Tout processus par lequel l'être humain est rendu comme étranger à lui-même. (Petit Robert)

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