Étude de « L’Homme rapaillé »
« Automne
1969. En rentrant chez moi, au milieu de la nuit, au retour d’une manifestation
à Québec contre la loi linguistique 63, j’ai transcrit tel quel ce poème, le
titre en moins, qu’une voix du fond de moi m’avait dicté durant le trajet. J’ai
eu le sentiment vif que ce poème coïncidait avec la venue de ma fille, née
quelques mois auparavant, et avec la fin de quelque chose.
Il a été publié dans Le Clairon de Saint-Hyacinthe le 10 décembre 1969 sous le titre provisoire de « L’Homme ressoudé ». Sur manuscrit, je retrouve aussi les mots « rapiécé, rassemblé, réformé… » Puis le mot « rapaillé », mot que j’avais en bouche depuis mon enfance, riche au sens propre comme au sens figuré, s’est imposé avec évidence dans la composition du titre. Lors de la publication de mon recueil, il devint le poème éponyme et une sorte de liminaire, car il caractérisait et signifiait la fin d’une démarche de poésie-vie et le commencement d’une autre. » (Miron dans l’édition de 1994)
L'HOMME RAPAILLÉ[1]
Pour Emmanuelle
J'ai fait de plus loin que moi un voyage
abracadabrant
il y a si longtemps que je ne m'étais pas
revu
me voici en moi comme un homme dans une
maison
qui s'est faite en son absence
je te salue, silence
je ne suis pas revenu pour revenir
je suis arrivé à ce qui commence
1. Ce
poème est le poème liminaire du recueil. À quoi doit-on s’attendre?
L’auteur va nous donner un aperçu des thèmes ou de la démarche qui seront utilisés dans le recueil. (Ce pourrait être autre chose, par ex. l’élément déclencheur)
2. « rapaillé » : relevez, dans un dictionnaire québécois, les différents sens que peut prendre ce mot. Peut-il s’appliquer à une personne?
Râpailler (sic) « Ramasser de menus objets au hasard » « Il râpaille tout ce qu’il trouve sur son chemin » Râpaillages : glanures, restes de foin. (Glossaire du parler français)
Miron lui donne un autre sens : Un homme rapaillé, c’est un homme qui s’est retrouvé, qui se tient debout.
3. Relevez
tous les pronoms personnels dans ce poème. Que peut-on conclure?
Présence très forte (appuyée) des « je » et « me ». Le poète parle de lui dans ce poème. C’est un poème lyrique.
4. Relevez
le temps des verbes. Que peut-on conclure?
La plupart des verbes sont au passé. Deux au présent : salue et « il y a », présent impersonnel donc peu pertinent. On peut en conclure que le poème présente une structure temporelle passé/présent.
5. Relevez
tous les noms, tous les verbes. Que peut-on conclure?
En fait, ce poème contient plus de verbes que de noms (fait sans doute assez rare). On peut tirer comme hypothèse que le sens du poème doit traduire une action.
6. Un
champ lexical est très présent. Lequel ? Relevez tous les mots qui s’y
rapportent.
Champ lexical : voyage
« Loin, voyage, longtemps, revu, absence, salue, revenu, revenir, arrivé, commence ».
7. À partir des observations stylistiques ci-dessus, essayez d’interpréter le poème en répondant aux questions suivantes :
·
Où l’a mené ce voyage? De « plus loin que moi » à « me voici en moi »
·
Qu’est-ce qu’un « voyage
abracadabrant »? Ancien latin cabalistique : un mot qui ouvre des
portes.
·
Si on se fie au vers 2, le voyage est-ce un
voyage réel ou un voyage intérieur?
Le poète évoque davantage des
changements intérieurs : « je ne m’étais pas revu »
·
Qu’est-ce
qui se produit au terme du voyage? Il se retrouve changé à son insu (une
maison qui s’est faite en son absence) et il est content de retrouver
l’harmonie (je te salue silence)
·
Pourquoi le silence semble bienvenu? On peut penser que ce voyage a été
perturbant, déstabilisant, comme tout voyage, réel ou intérieur. (« On
voyage pour découvrir, mais aussi et peut-être encore plus pour se découvrir. »
– Nicolas Bouvier)
·
Quelle leçon l’auteur tire-t-il de cet
épisode de sa vie?
Pas question de revenir en arrière ni de se maintenir là où il est parvenu au terme du voyage. Il faut maintenant avancer.
8. Est-il possible d’interpréter ce poème en dehors de toute référence psychologique? Par exemple, en prenant en considération le fait que Miron est un artiste ou encore qu’il est un Québécois des années 1950.
Interprétation littérale : Quelqu’un qui fait un voyage, qui revient, qui découvre que tout a changé, à commencer par lui. Période d’arrêt. Il se rend compte qu’il est prêt pour un nouveau départ.
Interprétation psychologique : Quelqu’un qui est allé au fond de ses problèmes, qui finit par retrouver son unité (rapailler ses contradictions). Il peut repartir et commencer qq chose de nouveau
Interprétation sociale : Quelqu’un qui est allé au fond du problème canadien français, qui s’est perdu de vue (le CF aliéné), qui finit par rapailler tous ses morceaux. Le voilà prêt à repartir. (Le CF devient le Québécois)
Interprétation artistique : L’artiste qui cherche longuement sa voie, qui finit par la trouver à son insu. Le voilà lancer à la poursuite de cette nouvelle esthétique.
9. Quel sens prendrait alors l’expression « L’homme rapaillé »?
Dans tous les cas, un « homme rapaillé », c’est
une personne qui a trouvé son unité, qui est en marche.
[1]« C'est un
vieux mot de notre langue qui veut dire «réuni», «rassemblé». En appelant mon livre L'Homme rapaillé,
j'ai voulu dire : « Voici comment un homme épaillé, c'est-à-dire
éparpillé, s'est reconstitué morceau par morceau, comment il a mené sa quête
d'identité, comment il a dépassé l'aliénation. »
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