28 novembre 2006

Picounoc le maudit


 Pamphile LeMay, Picounoc le maudit, Québec, Typographie C. Darveau, 1878, tome 1 : 379 p., tome 2 : 288 p. 

L’action débute deux ans après Le Pèlerin de Sainte-Anne. Joseph et Noémie sont mariés. Picounoc, un ami de Joseph qui jouait un rôle secondaire dans le roman précédent, est leur voisin et doit convoler en justes noces avec une fille qu’il n’aime pas, mais qui a une belle dot, Aglaé. En fait, Picounoc est amoureux de la femme de Jos et va mettre tout en œuvre pour la lui ravir. Il se permet diverses médisances sur la loyauté de Noémie, pour rendre Jos tellement jaloux qu’il en devienne désagréable avec sa femme. Son manège réussit, mais ne lui vaut pas pour autant l’amitié de Noémie. Il doit aller plus loin.

Lentement, il exacerbe la jalousie de son ex-ami et celui-ci mord à l’hameçon et finit par commettre un crime. Cela se passe ainsi. Picounoc fait croire à Jos qu’il peut séduire Noémie. Il lui a même donné rendez-vous dans le jardin pour qu’il puisse assister à la scène. Profitant du fait que Noémie est à l’église, Picounoc s’y rend avec Aglaé. Il lui a acheté un voile, identique à celui de la femme de Jos, pour que ce dernier soit confondu. C’est le soir, on n’y voit guère. Jos, coyant sa femme entre les mains de Picounoc, perd la tête et la tue d’un coup de rondin. En fait, il croit que c’est Noémie, mais c’est Aglaé.

Pour échapper à la justice, il fuit dans le grand Nord canadien. Là-bas, dans une histoire parallèle qui dure 20 ans, il mène une vie de trappeur. Il devient même célèbre : on le surnomme «le Grand trappeur». Il côtoie les Autochtones et gagne leur respect. Il y retrouve (par hasard !!!!!!) son vieux maître d’école et tortionnaire Racette (déguisé en chef autochtone) ainsi qu'un ancien ami, Paul Hamel, et même sa petite sœur Marie-Louise devenue religieuse. Toutes ces gens sont mêlés au conflit que se livrent deux tribus autochtones, à propos d’une femme. Un jour, notre grand trappeur que son ancien ami Paul n'a pas encore reconnu (invraisemblance…) révèle son vrai nom. Paul lui apprend que sa femme est toujours vivante. Jos comprend enfin que Picounoc l'a pris au piège.

Il revient juste à temps pour empêcher le mariage de Picounoc et Noémie. Picounoc n'a jamais cessé sa cour et, au bout de vingt ans, Noémie a cédé. Picounoc a fait en sorte que Noémie soit ruinée, il a fait instruire Victor le fils de Jos... Jos est arrêté et emprisonné. Jos est défendu par son fils! On organise un procès et, malgré les faux témoignages et même un empoisonnement de témoin (Geneviève Bergeron du roman précédent), Jos est finalement acquitté. Picounoc et ses complices (dont quelques vieux escrocs apparus dans Le Pèlerin) sont arrêtés.

En épilogue, on apprend que le vilain maître Racette, toujours dans le Nord, a été rejeté par les Autochtones (il avait réussi à devenir chef d'une tribu) et est mort, dévoré par les loups. Marguerite, la fille de Picounoc dont le fils de Jos était amoureux, est partie en mission à son tour et a rejoint la sœur de Jos dans le Grand Nord.

Récit tout autant rocambolesque que le précédent. J'ai omis, par souci de clarté, beaucoup d'intrigues secondaires, dont celle qui a lieu dans le grand Nord. Quelques scènes documentaires intéressantes, entre autres le brayage. Lotbinière y est décrit. Beaucoup mieux écrit que Le Pèlerin de Sainte-Anne. ***

Extrait
Le lendemain Djos amena, du champ à la maison, une charretée d’épis de blé d’Inde qu’il entassa dans un coin de la cuisine. C’est la coutume de faire des corvées pour peler le blé d’Inde, comme pour broyer le lin et fouler l’étoffe. Ces corvées sont toutes agréables et joyeuses, mais la plus joyeuse et la plus agréable, c’est l’épluchette. Et d’abord on y va dans ses beaux habits, car la besogne est propre; on y va avec plaisir, car le travail n’est pas rude et se fait à la soirée; on y va souvent avec bonheur, en songeant d’avance aux douces faveurs attachées au blé d’Inde rouge.


Et qui n’a pas l’espoir de déterrer, sous ces feuilles crépitantes, dans ces aigrettes de soie moelleuses, le précieux épi aux grains de pourpre? Et puis il y a, pour ceux qui sont un peu gloutons, la perspective de mordre à belles dents dans le blé d’Inde rôtit à la braise, ou bout dans les profondeurs de la chaudière. Et que d’autres perspectives encore!


Noémie balaya la place, épousseta les meubles, rechangea le bébé et le revêtit de sa robe de baptême, la plus belle que l’on porte... après celle de l’innocence. Elle souriait à la pensée de toutes les choses aimables que ses amies allaient dire de son enfant; elle croyait volontiers que jamais enfant né de la femme n’avait réuni tant de grâce et de finesse. Oh! si tous les enfants étaient ce que pensent leurs mères, comme il y aurait des hommes d’esprit sur la terre, et que la laideur deviendrait vite une chose introuvable! Pauvres mères! après tout, c’est peut-être notre faute si nous devenons laids, disgracieux et méchants.


Le soir arriva; les invités arrivèrent aussi. Ils étaient quinze. Je ne déclinerai pas les noms et prénoms de chacun--à quoi bon? puisque la plupart ne seront pas mêlés aux événements qui vont suivre. Je nommerai pourtant Picounoc et Aglaé, l’ex-élève et Emmélie. Vous êtes surpris de voir Emmélie? Nous le sommes tous: nous ne l’attendions point. Elle est un peu mieux aujourd’hui, et l’ex-élève lui a fait comprendre qu’une petite distraction, sous forme d’épluchette, lui serait très-favorable. Elle s’est laissée persuader.


Assis en cercle autour de l’amas de blé d’Inde, les jeunes gens commencent leur tâche. Sous les doigts vigoureux des garçons et sous les doigts mignons des filles, les épis se dépouillent de leur multiple enveloppe, et les grains couleur d’ambre apparaissent, au milieu d’un froissement de feuilles presque assourdissant. Les épis s’amoncellent d’un côté, les feuilles, de l’autre. On laisse cependant aux épis que l’on veut garder en tresse trois ou quatre feuilles, que l’on nouera avec habileté aux feuilles des autres épis. Les aigrettes, fines et douces comme des glands de soie, tombent sur le plancher ou s’accrochent comme des guirlandes, aux habits des travailleurs. C’est une lutte entre tous, lutte agréable et sans aigreur, que l’envie ou la jalousie ne troublent ni n’excitent.

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