21 octobre 2009

Littérature canadienne

Marcel Dugas, Littérature canadienne. Aperçus, Paris, Firmin et Didot, 1929, 203 pages.


Il est quand même étonnant, ce titre très englobant, surtout quand on considère que seuls neuf auteurs ont été retenus par Dugas : Lozeau, Delahaye, Morin, Chopin, Loranger, Jean Nollin, de la Roquebrune, Choquette et Pierre Dupuy. Nouvelle provocation de la part de Dugas, lui qui fut l’un des plus farouches polémistes dans la guerre que se livrèrent Régionalistes et Exotiques dans les années 1910?

La préface va rapidement nous donner l’heure juste : sans renoncer à ses idées, Dugas croit que le temps est venu de déposer les armes. Personne ne pourra l’accuser de ne pas avoir fait d’effort pour créer une filiation entre Régionaliste et Moderniste, comme en témoigne ce passage un peu tiré par les oreilles : « …n'est-ce pas sur le plan littéraire, qui est celui de l'esprit, continuer le geste de cet ancêtre primitif, qui travaillait, jadis la glèbe de nos plaines que d'ébaucher, avec des mots et des images, cette autre patrie de l'intelligence que nous sommes tous, hommes d'aujourd'hui, conviés à presser l'avènement? Et de nos divergences même qui sont la variété dans la vie naîtra, peut-être demain, l'unité idéale. » La place des uns et des autres étant bien établie, Dugas dresse un aperçu des débuts de la littérature canadienne, de Crémazie à Charles Gill pour la poésie, d’Aubert de Gaspé à Robert Choquette et Pierre Dupuy pour ce qui est du roman. Ayant rendu au passé son dû, le critique termine sa préface par un acte de foi en la modernité : « L’avenir est dans la recherche, l’examen, les tentatives audacieuses, la négation d’hier. Et puis les fleurs ne s’élancent que des terreaux remués… »

Dans ce compte rendu, je ne vais présenter que le chapitre consacré à Paul Morin. Je vais essayer de cerner la méthode de Dugas, ce qui n’est pas facile, car méthode il n’y a pas vraiment. Essayons quand même de suivre sa démarche. Dugas nous rappelle d’abord le grand succès que connut Le Paon d’émail, dû en grande partie au scandale. Les Roy, Chartier et Léo (critique du Devoir) s’acharnèrent contre l’auteur; Jules Fournier et Dugas le défendirent. Puis, Dugas se transforme en guide de voyage pour nous présenter l’œuvre : on est invité à suivre Morin dans ses pérégrinations qui nous mènent de l’Orient à l’Europe. Le propos est très général, très impressionniste; en fait il tient davantage de la paraphrase que de l’explication : « Paul Morin nous abandonne volontiers le présent, les scènes qui se déroulent sous ses yeux. Il se déclare agressivement exotique et il annexe à notre poésie la Grèce et l'Orient. Il institue un culte nouveau : culte visuel, éperdu du beau, juvénilités frémissantes et qui clament à la découverte des faunes, des déesses et de Pan. Il ne se contient plus, il exulte, il épouse à son insu l'âme du bacchant. L'esprit, l'enthousiasme, les rythmes fusionnent en un chant rajeuni de la légende grecque. Tout n'est pas pur dans cet essai de reconstitution athénienne, et l'âme des choses et des êtres y est à peine captée : ce sont les décors, les structures extérieures, les frises, les chevaux ailés, le centaure, qui peuplent sa vision et l’élèvent, parfois, à la hauteur d'un écran somptueux qui rutile de tous les ors, influencé de ce reflet que les choses, vivantes dans le recul, y ont projeté. Rêve d'un rêve! Et assez beau pour sacrer un poète, et à tout le moins animer de belles formes. » Sur la même lancée, il reproche doucement à Morin son « culte des mots pour les mots ». Dugas va dire aussi quelques mots des Poèmes de cendre et d’or, soulignant au passage que la « virtuosité du poète s’allège », qu’elle « s’humanise ». Après s’être livré à deux digressions très admiratives sur Jules Fournier et Henri Bourassa, Dugas conclut en proclamant que l’exotisme de Morin a assez duré, qu’il doit passer à autre chose : « La grande espérance que ce poète suscita à son apparition s'effacerait vite, si nous n'allions pas souhaiter qu'il se débarrasse de l’artificiel où il se complaît et tente un effort dont nous le savons capable et qu'il nous doit. Il ne lui suffira plus, à l'avenir, de faire aussi parfait qu'un Heredia, un Henri de Régnier, une comtesse de Noailles. Il faut qu'il atteigne à une vérité plus personnelle et que, se dépouillant des puérilités d'un exotisme étroitement embrassé, il nous donne une œuvre plus à l'abri des flatteurs d'un temps, d'une mode. C'est en se libérant de l'exotisme, dont II a vidé la formule de ce qu'elle contenait de bon et de mauvais, qu'il a la chance de marquer plus sûrement dans l'histoire de la poésie canadienne. […] L'exotisme a joué là un vilain tour à M. Morin. Il est non moins certain que le régionalisme et l'exotisme, entendus et pratiqués de façon exclusive, sont également condamnables. Ceux qui s'y conformeraient aveuglément courraient risque de se tenir en dehors de la vérité, non seulement humaine, mais poétique. »

Marcel Dugas a eu le flair de reconnaître les mouvements de notre histoire littéraire qui allaient compter. Qu’il ait été un défenseur de l’exotisme et qu’il soit capable, vingt ans plus tard, de tirer un trait sur le mouvement et d’en appeler à un nouveau modernisme est tout à son honneur. D’ailleurs, il aurait été l’un des premiers à saluer les Garneau et Grandbois dans les années 1930.

Les critiques de Dugas, trop impressionnistes, n’ont pas la rigueur de celles de Camille Roy, Maurice Hébert, Albert Pelletier ou Louis Dantin. Rappelons que ce recueil est une version augmentée et remaniée d’Apologies, recueil publié dix ans plus tôt. Ce dernier titre en dit long sur la manière de Dugas : l’objectivité n’est pas dans sa visée.

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