5 octobre 2009

Les chemins de l’âme

Englebert Gallèze (Lionel Léveillé), Les chemins de l’âme, Montréal, Daoust et Tremblay, 1910, 109 pages.
(Préface d’Albert Ferland) 

Si je présente Les Chemins de l’âme immédiatement après Les Phases, c’est qu’il fut publié la même année et encensé par la critique conservatrice, ce qui eut l’heur de déplaire souverainement à Delahaye qui s’en servit comme repoussoir dans Mignonne, allons voir si la rose est sans épines.

Camille Roy l’a encensé : « J'ai sous les yeux quelques-uns des vers les plus agréables, et très probablement les plus remplis de sens, que l'on ait écrits, en ces dernières années, à Montréal. Ce livre de cent douze pages s'appelle: Les Chemins de l'Âme. C'est un petit livre qui renferme beaucoup de choses. Et il n'est pas banal de pouvoir affirmer cela d'un recueil de poésies. » (Érables en fleur)

On aurait tort de classer ce recueil dans la littérature du terroir, comme certains l’ont fait. Il n’y a que quelques poèmes qui trempent dans la « terre canadienne »; pour le reste, on pense plutôt à la poésie intimiste de Lozeau.

« Les Chemins de l’âme » comptent trois parties. On y rencontre des « roses », des « chardons » et des « épines », symbolisme naïf, pour parler de la beauté de la vie, de ses irritants et de la souffrance.

Les roses
Dans tout le recueil, il n’y a que sept poèmes du terroir et ils sont tous dans cette partie. Ce sont parfois de petites saynètes dans lesquelles le poète présente tantôt des personnages pittoresques comme « Le Gallant » ou « Les Boulés », tantôt des scènes pathétiques comme celle de « Tristesse naïve » (voir l’extrait). Gallèze devient plus ambitieux dans « Terre canadienne » où il nous dit que « l’âme que nous avons nous vient de la beauté » du pays, et dans « Les clochers » quand il prétend que ces derniers nous « parlent de soirs éternels / Où l’âme errante se repose ». Quant aux poèmes intimistes, très chantants, ils sont remplis de joies printanières, de relations amicales, de sentiments familiaux ou religieux : « Pour ta fête, chère petite, / Point de déploiement ni de bal / Avec le compliment banal / Qu'on y récite. / Soyons plus simples : Veux-tu pas ? / Quittant cet ennuyeux système, / Je viens, seul, te dire tout bas : / Je t'aime. »

Les chardons
Cette partie ne compte que deux poèmes. Le poète s’en prend à tous ces puissants, « Avocat, marchand, chirurgien », qui ne pensent qu’à étaler leur richesse et aux « rieurs » qui n’ont de compassion pour personne.

Les épines
Gallèze raconte les amours difficiles, l’inconstance féminine, le sentiment d’abandon, la solitude, le regret de « n’être hélas! Époux ni père », et tout cela à cause d’une certaine « Rosinette » (C’est moi qui amalgame le tout!) : « Quand tu m'apparus, Rosinette, / Ce jour de juin ensoleillé, / Petit bonnet bien à ta tête, / Petit sabot bien à ton pied, / Au feu de ta noire prunelle / Tant d'espoirs pouvaient s'allumer, / Ta joue en fleur était si belle / Que je me suis mis à t'aimer. » Le poète, dans les derniers poèmes du recueil, réussit tout de même à transcender la déception amoureuse. La solitude devient plus existentielle. Déjà les titres des derniers poèmes disent assez bien sa grande détresse : « Inquiétude », « La douleur », « Désenchantement », « Tristesse obstinée » Voici quelques vers de « Désenchantement » : « J'ai le dégoût de vivre en un monde pareil. / Que m'importent les soirs, la nuit ou le soleil ? / La beauté souriant aux lèvres virginales ? / —Feuilles de nos espoirs qu'emportent les rafales— / Que m'importe ? Pour moi le jour funeste a lui / Où mon cœur fatigué mêle, en un vaste ennui, / Le fiel qui l'empoisonne et le vin qui l'enivre ; / J'ai le dégoût de vivre. » Sans doute craintif d’être allé trop loin dans le désespoir, ce qui n’était pas bien vu par la religion, le poète s’assure qu’on n’y perçoive pas une accusation contre la bienveillance divine : « L’erreur c’est nous : mélange d’ombre et de lumière » et : « Tous les poètes croient en Dieu »

Gallèze venait de faire son entrée à L’École littéraire de Montréal lorsqu’il a publié ce recueil. On sait que l’École avait en partie abandonné son projet initial et s’était ouverte au régionalisme. Il me semble que le recueil de Gallèze rend compte de cette hésitation à emprunter allègrement la route du terroir, ce qui ne semble pas faire l’affaire d’Albert Ferland, lui qui venait d'abandonner l’École pour cette raison : « Avant de quitter le poète je le remerciai de m'avoir ouvert son cœur. Ami de son rêve et impatient de le voir continuer ses chants à la gloire du pays canadien, chants que nous n'avions pas encore entendus et dont le charme nous est cher, je me tournai vers les montagnes qui, là-bas, se perdaient sous l'azur hautain, et lui dit : Poète, c'est ta Laurentie, la terre de l'érable, la terre des aïeux. Célèbre ta Laurentie. L’âme que tu as te vient d'elle. Sois-en reconnaissant. Trouve encore dans ton cœur si canadien des mots sincères et vibrants pour célébrer sa beauté. Sois fidèle à ta Laurentie, fais lui hommage de tes plus nobles pensées et ton nom, comme une louange, sera doux à dire dans la terre canadienne. » Visions gaspésiennes, le premier recueil entièrement consacré au terroir, paraitra en 1913.

Comme extrait, voici « Tristesse naïve », un petit poème qui ne rend pas justice à Gallèze; Delahaye va en faire ses choux gras dans Mignonne, ce dont je vais parler dans un prochain blogue.

TRISTESSE NAÏVE
Dans la grande pièce au décor nouveau
Où reposait sa femme ensevelie,
L'habitant pleurait et, dans son cerveau
Trouble, passait comme un vent de folie.

A ses fils, avant qu'elle aille au tombeau
Il disait, montrant sa pauvre Julie :
« On n'a jamais vu, dans notre hameau,
D'épouse ou de mère plus accomplie.

Hélas ! on peut bien avoir du chagrin
De la perdre, mes enfants... » puis soudain,
D'une voix plus solennelle et qui tremble,

A Madelon, la plus vieille : « Faudrait
Soigner Caillette et le petit goret.
Pourquoi se laisser mourir tous ensemble ? »

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