Roland Giguère, La main au feu, Montréal, Éditions de l’Hexagone, 1973, 145 pages. (coll. « Rétrospectives »)
La main au feu comprend :
§ 28 poèmes inédits, couvrant la période 1949-1960, dont Liminaires (3 poèmes) et La main de l’homme (25 poèmes);
§ deux sections du recueil Le défaut des ruines est d’avoir des habitants (1957), à savoir Miror et Lettres à l’évadé;
§ deux recueils publiés après 1960 : Pouvoir du noir (1966) et Naturellement (1968);
§ un texte paru dans les Écrits du Canada français (no 16, 1963), soit Dialogue entre l’éphémère et l’immobile.
Je ne reviendrai pas sur les parties déjà bloguées : Miror et Lettres à l’évadé.
Liminaires : À vingt ans, Roland Giguère, d’une lucidité étonnante, offre un aperçu de la démarche qui sera la sienne : « Pour ouvrir une seule fenêtre, il nous fallait enfoncer un nombre incalculable de murs. Plusieurs fois, au terme du poème, nous sommes allés traverser un fleuve, les yeux fermés, dans le seul désir de créer d’autres rives; en plein ciel, nous avons façonné des îles par centaines pour pouvoir un jour les inonder. » (« Au futur », 1949)
La main de l’homme : La plupart des poèmes sont en prose. Plusieurs empruntent la voie du récit, un récit alambiqué qui suit la logique du rêve ou du cauchemar. Le plus souvent, on retrouve l’idée d’une quête, d’une fuite même si le but n’est pas toujours prometteur. La traversée est toujours difficile. La nature est très présente, non pour elle-même, mais comme personnage de ces récits qui ressemblent parfois à des fables surréalistes. Les motifs, chers à Giguère, comme la main, le cri, le feu, la ruine, sont repris ici et là.
LA MAIN DE L’HOMME DÉTERMINE LA MOISSON
Du vase le plus pur parfois s’envolent les plus noirs corbeaux pour aller détruire les promesses de pain blanc couchées au soleil d'été, et si la main de l’homme, trop lourde, ne parvient pas à saisir une aile de corbeau et à la jeter au feu, c’en est fini : la prochaine saison en sera une de famine, et l’on aura beau retourner les jarres, rien n’en tombera plus, pas même une eau de pluie. / Ni pain ni eau. / Et le sommeil sera de sable.
Dialogue entre l’éphémère et l’immobile : Par le biais d’un dialogue, Giguère nous raconte une fable. « L’immobile c’est vous, / l’éphémère c’est tout ce que vous aimez. / L’immobile est vieux, millénaire, grave, / l’éphémère est jeune et enjouée. » Elle se termine ainsi : « L’immobile recèle l’imprévisible, souviens-toi ! Adieu! »
Pouvoir du noir (1966) est disponible sur internet. Le recueil accompagnait une exposition de 22 toiles de Giguère au Musée d’art contemporain. « Le poète sait très bien que le poids des mots varie selon l'éclairage des autres mots et la structure des phrases. De même, le blanc et le noir entrent dans un rapport dialectique modifié par l'espace. Le pouvoir du noir est fonction de la magie du blanc. » (Gilles Hénault dans la présentation du recueil). Extrait : « Dans la ténèbre de la vie / c'est la clarté qui envahit / l'opaque est l'assiégé / et nous saluons l'envahisseur / car l'envahisseur luit / dans notre nuit confuse / comme un souffle d'espoir / enfermé dans sa géode. »
Naturellement (1968) : Le recueil original comprend 8 poèmes accompagnés de 8 sérigraphies en couleur. Il a été tiré à 40 exemplaires. Il aurait été inspiré par la nature des Cantons-de-l’est, d’où le titre : « Des feuilles, des plantes ramassées autour de la maison, un papillon mort trouvé dans son atelier, et Giguère l’imprime sur le pochoir, tout l’arc-en-ciel est mis en contribution. Cela est sauvage, argileux, étoilé. Le poète est amoureux, tortueux, torturé. Les poèmes naissent de la même main, du même feu, du même désir… » (Gaétan Dostie, Le Jour, 30 mars 1974) Extrait : « le temps traverse le brasier et noircit / à l’aube nous fouillerons la cendre / pour célébrer la dernière étincelle // nous jaillirons ensemble. »
J’ai beaucoup lu la poésie
des années 1950. Je ne vois aucune autre œuvre qui ressemble à la sienne.
Giguère mélange l’intime et le social comme personne d’autres. Miron prendra la
relève. Contrairement à plusieurs poètes des années 50, Giguère n’est pas à la
recherche des sources du mal, mais toujours à la frontière pour apercevoir ce
qui s’y trouve plus loin.
On peut chercher des significations complexes à cette œuvre, et on en trouve de brillantes sur le net. Quant à moi, on est d’abord devant un poète typographe peintre qui a sa propre voix, ses quelques thèmes et plusieurs façons de les apprêter. Et qui a propulsé la poésie québécoise vers de nouveaux horizons en conjuguant ses différents talents, ce qui en fait un incontournable.
Roland
Giguère sur Laurentiana
Éditions Erta
Faire naître
Les nuits
abat-jour
Yeux fixes
Midi perdu
Images
apprivoisées
Les armes
blanches
Le défaut des
ruines est d’avoir des habitants
Adorable femme
des neiges
L’âge de la
parole
La main au feu
Forêt vierge folle
Voix de 8 poètes
du Canada
Aucun commentaire:
Publier un commentaire