Roland Giguère, Forêt vierge folle, Montréal, L’Hexagone, 1978, 219 p. (coll. Parcours)
Forêt vierge folle ne fait pas partie de la collection « Rétrospectives » de l’Hexagone. Il s’agit du premier recueil d’une nouvelle collection nommée « Parcours ». Il contient des poèmes, des essais et des images, ce qui en fait un livre-objet, selon l’éditeur. Il est difficile de savoir si les textes et les images apparaissent toujours suivant un ordre chronologique. Deux poèmes ont déjà été publiés dans Le défaut des ruines est d’avoir des habitants : « Signaux » et « Grimoire ». Deux courtes suites poétiques, Abécédaire (un jeu verbal et phonétique publié en 1975) et J’imagine (un texte inspiré des manifestations de 1968 publié en 1976), ont déjà fait l’objet d’un recueil aux éditions Erta.
Pour le reste, voici un aperçu de ce qui m’a semblé le plus important. On trouve dans Forêt vierge folle :
§ Quelques poèmes sentimentaux dont : « À
l’ombre de ma vie » :
l’ombre
c’est encore et toujours toi
toi qui t'agites dans les replis de ma vie
je te vois cernée de mes bras douces tentacules
et plus que tout autre je me vois cerné par I'amour
plus que tout autre je ne vois pas d'issue à mon avenue
si ce n'est la lueur de ton front appuyé sur le mien
mon front près de ton front
et ma main qui toujours dessine sur les pierres humides
l'itinéraire d'une vie que j'ai mise comme enjeu
le hasard s'est mis entre mes mains
comme un pigeon blessé de l'aile
je n’ai plus qu’à lui fermer les ailes (p. 34)
§ Des poèmes-collages surréalistes à partir de
découpures des journaux;
§ Un poème manuscrit lors du décès d’Éluard, repris plus
loin et dactylographié;
§ Vingt-quatre pages de dessins que Giguère avait
l’habitude de tracer dans les marges de ses poèmes :
§
Certains textes
critiques sur la peinture, le dessin, la poésie, y compris ses
pratiques, son esthétique : «Le peintre, le vrai, est en quelque sorte un plongeur qui,
méprisant la surface du fleuve où tout est clair et précis, donc sans intérêt
pour lui, s’acharne à descendre, de plus en plus profondément, risquant à
chaque plongée de se noyer, laissant chaque fois un peu de sa propre vie. » (p. 16) « Le poème m’est donné par un mot, une image, une phrase qui cogne à la
vitre. Dès que cette phrase est couchée sur le papier, elle s’étale, pousse ses
ramifications, croît comme une plante ; le poème s’épanouit selon un élan, un
rythme naturel qu’il porte en lui dès le premier mot. (p.
103) « La prémonition est certainement
l’un des pouvoirs de la poésie puisque le poète, en somme, n’est rien d’autre
qu’un sismographe qui enregistre les tremblements d’être. » (p. 111-112)
§
Une suite
intitulée « Cartes postales » où Giguère parle de voyage : « Je
ne suis pas où vous pensez. Pays perdu, pays ruiné. Le soleil, ici, perce et
tue. Comme chez vous la neige. Plages inutiles. Sable. Mes paysages sont vos
yeux, votre dernier regard à l’orée de l’érablière. Je ne voyage pas, je
m’absente. »
§ Plusieurs de ses gravures, mais aussi celles d’objets ou de peintures qu’il admire :
Plusieurs poèmes, dans la dernière partie, disent l’usure du temps mais, malgré tout, la persistance de l’amour :
ENTREFILETS
Dans mes profondeurs je remue
je fais mon feu à l’ombre
j'essaie d’éclairer ma cave
pendant que le grenier croule
rien qui vaille dans tout cela
sinon l’étincelle.
***
je suis à la hauteur
j'aspire et j’espère une heure bleue
comme hier vous m’aviez promis
entre deux pleurs
et j'irais plus loin aussi
si tout n’allait pas sans heurts.
***
la vue voilée par trop de toiles
on oublie l’horizon présent
le ciel coule sur tous les flancs
l'ancre traîne dans un fond de sang
on ne compte plus les étoiles dans l’étang.
***
Où sont les mots que j’ignore
où sont ces lettres qui me manquent
pour dire simplement je vous aime
dans ce déferlement de cris
au coin de la rue à midi ?
***
Défilé de couleurs
au coin de l’œil qui cligne
parade de signes en un jour de deuil
où le soleil sombre
dans un ciel indigne.
***
Loin des maisons moroses
où fleurit le souci
voici la prose
que je vous avais promise.
Ce qu’il y a d’exceptionnel avec Giguère, c’est que son œuvre couvre tous les âges. On peut ainsi prendre la mesure d’une vie. Je n’avais jamais lu Forêt vierge folle. Aucun autre de ses livres ne nous fait autant aimer Giguère. On découvre un artiste, ses tâtonnements, et un homme vieillissant qui cherche toujours sa route et une épaule pour accrocher sa vie.
Roland
Giguère sur Laurentiana
Éditions Erta
Faire naître
Les nuits
abat-jour
Yeux fixes
Midi perdu
Images
apprivoisées
Les armes
blanches
Le défaut des
ruines est d’avoir des habitants
Adorable femme
des neiges
L’âge de la
parole
La main au feu
Forêt vierge folle
Voix de 8 poètes
du Canada
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