30 mai 2011

Né à Québec

Alain Grandbois, Né à Québec, Paris, Albert Messein,  1933, 256 pages.

Livre d’historien? Récit de romancier? Difficile à dire tant la frontière entre les deux est mince. Quelle place Grandbois laisse-t-il à l’imagination? Il faudrait étudier ses sources, dont les documents laissés par les explorateurs du Mississipi, pour faire la part des choses, ce qui n’est pas l’objet de ce blogue. Le livre est suivi d’une bibliographie. Il cite le père Marquette dans le texte. Mais il y a ces descriptions poétiques des paysages qui ne peuvent venir que de sa plume. Chez Grandbois, le poète n’est jamais loin : mais contrairement à ce que certains critiques prétendent, et même si on note une attention particulière pour l’île et le rivage dans ses observations de l’espace, je trouve qu’on est encore loin de la poésie luxuriante du poète-voyageur.

Le récit est divisé en trois parties.

1re partie
Grandbois commence sa narration au début du XVIIe siècle avec le grand-père maternel de Jolliet : Adrien d’Abancourt, un compagnon de Champlain. Sa fille va épouser Jean Jolliet en 1639. Il ne se contente pas de cerner la vie du futur découvreur, il refait en partie pour le lecteur français l’histoire de la Nouvelle-France, à travers les ancêtres du futur explorateur. On revit donc les guerres avec les Iroquois, le génocide des Hurons, l’histoire de Dollard, les chicanes entre Mgr de Laval et les gouverneurs, l’arrivée de Talon, des régiments de soldats et  des filles du Roy… Jolliet, enfant, est très religieux. De toute évidence, ce protégé des Jésuites se destine à la prêtrise. À la fin de sa jeunesse, il part en France pour étudier la cartographie. Il hésite entre la religion et l’aventure, revient au pays, et opte pour celle-ci.

2e partie
Jolliet se voit confier une première mission. Il se rend dans la région des Grands-Lacs à la recherche de mines de cuivre, là où les Jésuites ont déjà établi la mission du Sault. Il en profite pour explorer la région, fréquente les Autochtones, dont certains qui prétendent avoir vu la « Grande eau » : le Mississipi. Il revient à Québec et prépare une nouvelle expédition, cette fois-ci vers le grand fleuve. Accompagné du Jésuite Marquette et de six coureurs des bois, il se lance dans l’inconnu. « Si la terre n’est pas créée, Dieu la fera jaillir pour toi du néant, afin de justifier ton audace. » (Isabelle de Castille à Colomb) Ils vont descendre le grand fleuve sans se rendre au golfe du Mexique : ils rencontrent quelques tribus d’autochtones assez particulières (les Illinois, les Missouris, les Akanseas), se font des amis et rebroussent chemin à dix jours de navigation du Golfe du Mexique. Pour eux, comme ils sont sûrs que le Mississipi s’y jette, leur mission est accomplie. Au retour, ils explorent une rivière tributaire, l’Illinois., traversent le lac Michigan. En revenant à Québec, Jolliet va perdre ses cartes, son journal de voyage et divers objets dans les rapides de Lachine. Il devra reconstituer le tout de mémoire.

3e partie
Jolliet aurait bien voulu retourner dans l’Illinois, mais Frontenac, l’ennemi des Jésuites, va l’en empêcher, favorisant plutôt Cavelier de La Salle. Jolliet va d’abord s’installer aux Îles Mingan, puis Frontenac va lui concéder l’île d’Anticosti. Entre-temps, toujours pour le compte du roi, il va se rendre à la Baie-James par terre via le Saguenay et la Péribonka pour essayer de comprendre l’importance du commerce anglais à la Baie d’Hudson. Il va aussi faire un autre voyage d’exploration au Labrador.

Grandbois raconte à plusieurs reprises la rencontre de l’explorateur et de l’Autochtone. Il me semble que de toutes ces descriptions, la rencontre avec les Illinois est la plus pittoresque. En voici un extrait.

Extrait
Au matin, on leur fit visiter le bourg. Jolliet compta plus de trois cents cabanes, claires et propres, exposées au midi. On lui nomma les villages voisins : Atontata, Paoutet, Moïngotiéna, et celte Maha que bordait une forêt de vieux chênes. Partout, sur son passage, des Indiens accourraient, qui lui tendaient au bout de leurs bras des écharpes de peau d'ours, des colliers de poils de bœuf, des cornes de bisons sculptées, des mocassins ouvragés. De peur que le Canadien ne fût importuné, un chef, le précédant, chassait les plus audacieux.
Il vit des femmes au visage mutilé. On lui expliqua qu'elles avaient été infidèles, et que la loi de la Nation voulait qu'elles fussent ainsi punies. Plus loin, de jeunes hommes  aux gestes mièvres s'avancèrent, souriants. On les appelait Ileouata. Ils avaient les yeux fardés et les ongles teints. Ils portaient des colliers de fleurs, balançaient leurs hanches et marchaient par couple, enlacés. La foule paraissait leur porter le plus profond respect. Le Canadien apprit qu'un génie particulier les habitait, qui les faisait différents des autres hommes. Ils méprisaient les caresses des femmes, mais ne se plaisaient et n'excellaient que dans des travaux féminins. Ils ne prenaient point part aux guerres, mais nul Conseil ne se tenait où ils ne fussent appelés à donner leurs avis, qui étaient toujours de la plus haute sagesse. Ils chantaient à la fin des festins... Jolliet sentit sur lui des regards lourds. Il songea soudain à Québec, à certains yeux étoilés. Une sorte d'allégresse le souleva...
On conduisit Jolliet à un petit port naturel dans une anse de la rivière. Une flottille de longs canots s'y trouvait. Certains étaient creusés dans le tronc d'arbres géants; d'autres, construits seIon les données les plus justes des lois de la navigation.   Quelques-uns   avaient  plus   de   soixante pieds de longueur.
Le Grand Capitaine garda ses hôtes cinq jours et tint à les accompagner jusqu'au fleuve. Six cents personnes leur faisaient cortège. Marquette, qui n'avait cessé d'évangéliser, dut promettre de revenir l'année suivante à Péouaréa et d'y fonder une mission.
Et le grand fleuve les reprit. (p. 183-184)                          

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