Raymond Douville, La vie aventureuse d’Arthur Buies, Montréal, Albert Lévesque, 1933, 184 pages.
Raymond Douville a écrit cette biographie en 1933, alors que, selon ses dires, le grand Buies semblait tomber dans l’oubli. Il le présente sous un jour positif, même s’il insiste davantage sur le destin pathétique de l’aventurier que sur les remous qu’il a créés dans la société du XIXe siècle.
La biographie, dédiée à Lucien Parizeau, est divisée en deux parties. La première, qu’on aurait pu appeler « Les années de formation », raconte son enfance et sa jeunesse tumultueuses. Je vais reprendre à grands traits les principaux événements : son père est un banquier d’origine écossaise qui a épousé une jeune fille de la noblesse canadienne, Marie-Antoinette D’Estimauville. Ils auront deux enfants : Victoria et Arthur. Quand ce dernier naît, son père est déjà parti en Guyane chercher fortune. Dès qu’elle sera remise de son accouchement, sa mère ira le rejoindre sans ses enfants. Elle mourra deux ans plus tard sans les avoir revus. Buies sera élevé par deux tantes. Enfant turbulent, élève intelligent mais insoumis, il fera des études cahin-caha, passant d’une école à l’autre. À 16 ans, ses tantes l’expédient en Guyane : son père, remarié, ne le gardera pas longtemps, l’expédiant à son tour à Dublin. Buies y reste six mois, puis file vers Paris sans le consentement de son père. Il y terminera ses études. Puis, désargenté, il s’engage dans les troupes de Garibaldi. Quand il revient au Canada (1861), il est sûr que sa formation lui vaudra tous les succès. Il a déjà subi beaucoup de rebuffades et il compte sur son talent pour prendre sa revanche.
La seconde partie qu’on pourrait intituler « À la recherche de la gloire » raconte surtout les déboires de sa vie professionnelle. Arrivé au Québec, infatué de sa personne, il pense bien impressionner ses nouveaux camarades de l’Institut canadien. Mais les Joseph Doutre, Étienne Parent… en ont vu d’autres. Il va donc essayer de s’imposer sans grands succès, reprendra ses études, en droit cette fois-ci, mais ne pratiquera pour ainsi dire pas. C’est La Lanterne en 1867 qui le fait connaître. Très populaire au début, il perdra petit à petit tous ses appuis à cause d’une audace mal contrôlée. Malgré tout, il s’est fait un nom, mais un nom auquel ses contemporains n’osent pas s’associer, tant ils le perçoivent comme un électron libre. Il se contentera de vivoter en écrivant des chroniques pour différents journaux, ce qui lui assure au moins un succès d’estime. Sa rencontre avec le curé Labelle en 1879 est déterminante. Ce dernier le traite comme un confident et un ami. Buies devient le porte-parole du curé Labelle, en fait un apôtre de la colonisation. Il écrira des monographies sur le Saguenay-Lac-Saint-Jean, l’Outaouais, La Matapédia dont le but est d’amener des colons à s’installer sur ces terres vierges plutôt qu’à s’expatrier dans l’Ouest ou en Nouvelle-Angleterre. À 47 ans, il épouse Marie-Mila Catellier, une femme qu’il semble avoir beaucoup aimée. Il meurt en 1901, conscient de n’avoir pas tenu ses promesses, de s’être éparpillé, plutôt que d’avoir écrit une œuvre qui lui aurait assuré la reconnaissance et l’immortalité.
La biographie est bien écrite, agréable de lecture. Rouville cite abondamment Buies, souvent se contentant de faire des transitions entre les citations. On ne trouve pas de longues explications, ni de vues pénétrantes sur l’auteur, Rouville se contentant de tisser une logique entre les différents événements de la vie de l’explorateur : pour lui, si Buies fut malheureux toute sa vie, cela tient à l’absence de la mère. C’est quelqu’un qui ne concevait pas de réussite sans l’admiration de ses semblables. On regrette que Rouville ne se soit pas aventuré sur la vie personnelle de Buies et qu’il n’est pas traité avec plus de profondeur ses idées politiques et religieuses.
Extrait
« Un petit héritage et les quelques rentes annuelles qu'il retirait de la seigneurie de Beaumouchel lui permettaient d'attendre la mort.
À l'automne de 1900, il se fait bâtir à Rimouski, près du fleuve, ce fleuve dont la vaste étendue l'avait fait tant de fois rêver, une résidence où il compte écrire ses mémoires. Les travaux avancent lentement. La maison n'est pas terminée pour l'hiver. La famille Buies doit revenir à Québec, hiverner dans les étroites pièces de la rue d'Aiguillon.
Les froids de l'automne aggravent le mal que Buies ressent depuis quelques mois dans tous ses membres.
Le vieillard ne peut plus ni se coucher ni s'asseoir. Pour écrire, il doit s'agenouiller près d'une table basse. Quand il est las d'écrire, il rêve. Il repasse les étapes orageuses de sa vie. Le peu de célébrité que son talent a pu attacher à son nom s'effacera avec lui. Il est de cette classe d'individus qui, toute leur vie, restent sous la domination d'un sort qui règle leurs actes avec une effarante fidélité. Après tant d'années d'épreuves et de labeur, qu'a-t-il à son crédit? Quelques chroniques, quelques pages descriptives, perdues dans un amas de noms géographiques et de chiffres Une œuvre touffue, inégale, inachevée. C'est ce qu'a à contempler, sur le déclin de la vie, aux portes du tombeau, un homme qui avait rêvé beaucoup plus grand et qui, certes, eût mérité davantage.
Mais qu’importe la gloire humaine, quand la mort approche? Il attend celle-ci avec ce calme que savent mettre dans leurs actes décisifs les esprits supérieurs. Il se recueille et, les derniers jours, il n'y a de place dans son cerveau que pour l'image d'un Dieu éternel qui pèse dans la balance de justice les actes humains.
Il expira dans la nuit du 21 janvier 1901. »
Ça me rappelle de vieux souvenirs. On retrouvait le personnage d'Arthur Buies, secrétaire du curé Labelle, dans Les Belles Histoires des Pays d'en Haut de Claude-Henri Grignon. Il était interprété de façon très convaincante par Paul Dupuis qui parlait toujours les dents serrées. Il a ensuite été remplacé par un autre comédien qui jouait le secrétaire Dubouquet.
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