1870. La révolte gronde chez les Métis, ce qui n’empêche pas Augustin Ménard, un spécialiste des langues indiennes, de se rendre dans les prairies canadiennes pour parfaire ses connaissances. Dans son périple, en grande partie en traîneau à chiens, il est accompagné de Mgr Gandin qui retourne dans le Nord-ouest, de son neveu Jacques et de Thomas Scott, un agent du gouvernement. Ils rejoignent d’abord un poste de la compagnie de la Baie d’Hudson, tenu par une famille Guilbault, originaire du Québec. Ils y retrouvent le célèbre père Lacombe et Donald Smith, un actionnaire du Canadien Pacifique. Après quelques jours de repos, le groupe reprend la route vers Fort-Garry.
Louis Riel et les Métis se sont emparés du fort. Smith et quelques collaborateurs se rendent auprès de Riel pour soumettre les propositions du gouvernement. La mission échoue. Les Autochtones, menés par L’Ours, un Cri qui déteste les Blancs, veulent se joindre aux Métis. Scott veut s’emparer de Riel et de L’Ours et c’est nul autre qu’Augustin Ménard qui vient les avertir du complot qui se trame contre eux. Finalement, l’arrivée de Mgr Taché, évêque de saint-Boniface, va apaiser les Métis. Riel et les Métis pratiquent la religion avec beaucoup de ferveur. Ils acceptent l’annexion à la Confédération, à condition qu’on leur cède les titres sur certaines propriétés.
1885. Les voies ferrées s’arrêtent au pied des Montagnes Rocheuses. Les Guilbault et les Ménard possèdent maintenant des ranchs. La révolte des Métis est repartie de plus belle : les autorités fédérales n’ont pas tenu leurs promesses. L’Ours est toujours aussi belliqueux. Son fils a même volé deux chevaux à la ferme des Guilbault. Le père étant décédé, ce sont la mère et sa fille aînée, Aline, qui dirigent le ranch. Aline, qui a beaucoup de cran, décide de se rendre à Winnipeg pour récupérer ses chevaux. À sa surprise, L’Ours les lui rend sans discuter. Émerveillé par sa chevelure blonde, il projette d’enlever la jeune fille pour qu’elle préside à la fête du soleil. Plus encore il veut qu’elle épouse son fils. Profitant de la nuit, il met en oeuvre son plan. La mère fait appel à la police montée qui n’y peut rien, trop préoccupée par les Métis. Parti à sa recherche avec son neveu Jacques, Augustin Ménard, lui qui a déjà sauvé la vie à L’Ours, réussit à la faire libérer. Les trois vont rejoindre le train pour rentrer chez eux. On apprend que Riel a été arrêté. Jacques Ménard épouse Aline Guilbault.
Le roman manque d’unité. L’action n’est pas assez resserrée autour de la rébellion des Métis. En fait, Roquebrune présente une vision trop superficielle du fait historique : on comprend mal les enjeux et on n’assiste pas au dénouement de la crise. Aucun des personnages principaux n’est impliqué directement dans la crise. Riel est à peine esquissé. Les autres personnages historiques (Lacombe, Taché et Smith) sont épisodiques. Les personnages principaux (les Ménard et les Guilbault) ne sont pour ainsi dire pas liés, ni physiquement ni émotivement, aux événements politiques. À l’avantage de l’auteur, disons qu’il décrit bien le milieu physique (la grande plaine, Fort-Garry, Saint-Boniface…) Les Autochtones sont démonisés et les Métis présentés sous un jour peu sympathique. On ne sent pas que l’auteur soit extrêmement sympathique à leur cause. L’épopée du rail lui inspire de plus belles pages que la révolte des Métis. « Le rail collait bien à cette terre de l’Ouest et nul ne pourrait l’en arracher. Le vent des prairies serait désormais déchiré par le sifflet strident des locomotives. Le Canada faisait un bond gigantesque et allait prendre possession de son domaine merveilleux de l’Atlantique au Pacifique. » Riel apparaît comme un illuminé. « Celui-ci tendit la main d'une manière presque aimable. Sa haute taille parut fléchir légèrement. Ses yeux au regard un peu vague se fixèrent sur M. Ménard avec insistance. Il y avait beaucoup d'intelligence dans ce regard mêlé à une sorte de rêverie continuelle. On eût dit que Riel n'avait pas une vision nette et qu'il considérait toutes choses à travers un voile de brume. Sa figure très belle accusait les traits de sa race. » Le roman se lit très bien.
Extrait
Réunis autour d'une grande table, Riel et les chefs métis délibéraient. Les figures imberbes étaient empreintes de gravité. Autour de la maison, la petite troupe que Riel avait recrutée parmi les mécontents de la Rivière Rouge, se tenait dans l'attente. Armés de carabines, ces hommes attendaient quelque chose. Quoi ? Ils ne le savaient pas 1res bien mais leur confiance en Riel était immense. Cette petite population métisse se sentait depuis quelques mois menacée d'un grand danger. Ce danger venait de l'Est, de ce Canada qui les avait annexés brutalement. Ni Indiens ni blancs, les métis sentaient confusément que leur situation était terrible. Ils n'appartenaient à aucune race, en somme, et cependant, ils voulaient vivre, et garder les terres où ils étaient nés.
Riel venait de recevoir de mauvaises nouvelles, le gouvernement canadien refusait de le reconnaître comme chef des métis. Les métis, cela n'était ni une race ni une nation. La Compagnie de la Baie d'Hudson avait cédé ses droits au gouvernement d'Ottawa et celui-ci entendait ne reconnaître aucune indépendance à cette vague population sortie des Indiennes et des coureurs des bois.
Le front chargé de soucis, Riel rêvait. Autour de lui, tous étaient silencieux. L'inquiétude et l'anxiété planaient sur cette assemblée d'hommes rudes et simples. Ils sentaient leur situation désespérée. Comment lutter contre des ennemis tels que ces hommes de l'Est! Ah! s'il s'était agi d'une guerre contre les Indiens de la Saskatchewan ou des régions du Nord, cela n'eût pas été compliqué. Que de fois, pour un vol de chevaux, pour un bison tué sur leurs terres, les métis s'étaient lancés à la poursuite d'une tribu nomade de Cris ou de Pieds-Noirs! Quelles randonnées à travers les prairies, que de beaux combats! Le sang indien coulait dans leurs veines et ils étaient aussi forts et aussi courageux que leurs adversaires. Mais devant les ennemis de l'Est ils se sentaient sans force et sans ruse et ils n'invoquaient que leurs droits. (p. 131-132)
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