Alain Grandbois, Rivages de l’homme, Québec, s.n., 1948, 96 pages.
Comme les titres des recueils Les Îles de la nuit et Rivages de l’homme le suggèrent, il y a chez Alain Grandbois le grand voyageur une « fascination de l’ancrage », selon la belle expression de Jacques Brault. L’ancrage ultime, bien entendu, c’est la mort. En exergue de son recueil, Grandbois a placé cette phrase de Tolstoï : « Si un homme a appris à penser, peu importe à quoi il pense, il pense toujours au fond à sa propre mort. »
Les critiques ont tous repris l’image romantique d’un Grandbois, poète voyageur, ayant fui la petitesse de notre grande noirceur. (Grandbois déclare qu’il aurait écrit les mêmes poèmes s’il était resté à Québec ou à Montréal. Radio Canada) Même si le thème du voyage est présent dans ses récits et sa poésie, il me semble que la grande pérégrination de Grandbois est beaucoup plus temporelle. N’oublions pas qu’il a dépassé la quarantaine quand il publie ses recueils. L’espace s’est dissous dans le temps. La vie fastueuse sur la Côte d’Azur, ses nombreux voyages, ses relations amoureuses n’appartiennent plus qu’au souvenir. Ce ne sont que figures du passé.
La mort de sa mère (en 1944) semble avoir beaucoup influencé la thématique du recueil : « On pleure sa mère / Qui était une belle jeune femme rieuse / Il y avait les grands ormes ombreux de l'allée / Les parterres frais de dix heures / Et soudain ce silence parfait ». Cette mère fut une des îles (ou l’un des rivages) toujours fuyantes dans sa quête du bonheur : « Je la cherchais je l'atteignais / J'allais la saisir elle disparaissait / Elle jouait dans l’ombre de son ombre ». Ou encore : « Je la cherchais encore au dernier feu / Du premier astre éteint / Je soulevais une à une / Les couches brûlées des millénaires / Je m'enfonçais au fond des âges / Les plus fatalement reculés ».
Même si toute quête du passé semble inutile, Grandbois n’en continue pas moins de chercher « ses morts » : « Ils sont pleins de sourires / Ils voient à travers moi / Je vois à travers eux. // Je les porte ils me portent / Ils me font plus fraternels / Que tous mes vivants ». Cette communication « fraternelle » avec ses morts ne fait que souligner son présent désespéré : « Mais c’est vain / O beaux fantômes blancs / O sourds fantômes vainqueurs ». Même rappelé à la mémoire, ce passé ne peut plus le nourrir. Ainsi en est-il des amours anciennes : « Elles sont peut-être / Sous une terre rongeuse / Avec leurs ongles secrets violets / À creuser de sourds couloirs / Nous appelant épelant / Chacune des lettres de votre nom // Mais vos phalanges disjointes / O belles mortes adorées / Ne peuvent rien / Contre le plomb de nos mains ». Ce passé est définitivement perdu : « Îles frontées de rubis / Îles belles perdues / O lumineux sarcophages / Vos purs doigts repliés / Me trouvent insaisissable ».
On l’aura compris, il n’y a aucune nostalgie dans cette attitude ; le passé, il le porte en lui, sans doute il y reconnaît des moments heureux, mais il sait aussi qu’il contient les stigmates de sa propre mort : « Le temps tombe de la terre / Mes fleuves clairs me fuient / La mer est couverte de noyés ». Coincé entre « ses morts » et sa mort, le poète n’espère du présent qu’un sursis : « Ma mort je la repousse jusqu'à demain / Je la repousse et je la refuse et je la nie / Dans la plus haute clameur / Avec les grands gestes inutiles / De l'écroulement de mon monde ». Il n’est pas sûr qu’un sursis lui sera accordé : « Et soudain l'âge bondit sur moi comme une panthère noire ». Il n’y a pas mille façons de se libérer de l’emprise de la mort, il suffit de l’accepter : « Je lui tendrai demain / Mais demain seulement / Demain / Mes mains pleines / D’une extraordinaire douceur ». Ou encore : « Je peux parler librement / Car je possède ma mort ». Rien ni personne ni le passé ni même l’amour ne peuvent le sauver : « Taisons-nous oublions tout / Noyons les mots magiques / Préparons nos tendres cendres / Pour le grand silence inexorable ».
Comme les titres des recueils Les Îles de la nuit et Rivages de l’homme le suggèrent, il y a chez Alain Grandbois le grand voyageur une « fascination de l’ancrage », selon la belle expression de Jacques Brault. L’ancrage ultime, bien entendu, c’est la mort. En exergue de son recueil, Grandbois a placé cette phrase de Tolstoï : « Si un homme a appris à penser, peu importe à quoi il pense, il pense toujours au fond à sa propre mort. »
Les critiques ont tous repris l’image romantique d’un Grandbois, poète voyageur, ayant fui la petitesse de notre grande noirceur. (Grandbois déclare qu’il aurait écrit les mêmes poèmes s’il était resté à Québec ou à Montréal. Radio Canada) Même si le thème du voyage est présent dans ses récits et sa poésie, il me semble que la grande pérégrination de Grandbois est beaucoup plus temporelle. N’oublions pas qu’il a dépassé la quarantaine quand il publie ses recueils. L’espace s’est dissous dans le temps. La vie fastueuse sur la Côte d’Azur, ses nombreux voyages, ses relations amoureuses n’appartiennent plus qu’au souvenir. Ce ne sont que figures du passé.
La mort de sa mère (en 1944) semble avoir beaucoup influencé la thématique du recueil : « On pleure sa mère / Qui était une belle jeune femme rieuse / Il y avait les grands ormes ombreux de l'allée / Les parterres frais de dix heures / Et soudain ce silence parfait ». Cette mère fut une des îles (ou l’un des rivages) toujours fuyantes dans sa quête du bonheur : « Je la cherchais je l'atteignais / J'allais la saisir elle disparaissait / Elle jouait dans l’ombre de son ombre ». Ou encore : « Je la cherchais encore au dernier feu / Du premier astre éteint / Je soulevais une à une / Les couches brûlées des millénaires / Je m'enfonçais au fond des âges / Les plus fatalement reculés ».
Même si toute quête du passé semble inutile, Grandbois n’en continue pas moins de chercher « ses morts » : « Ils sont pleins de sourires / Ils voient à travers moi / Je vois à travers eux. // Je les porte ils me portent / Ils me font plus fraternels / Que tous mes vivants ». Cette communication « fraternelle » avec ses morts ne fait que souligner son présent désespéré : « Mais c’est vain / O beaux fantômes blancs / O sourds fantômes vainqueurs ». Même rappelé à la mémoire, ce passé ne peut plus le nourrir. Ainsi en est-il des amours anciennes : « Elles sont peut-être / Sous une terre rongeuse / Avec leurs ongles secrets violets / À creuser de sourds couloirs / Nous appelant épelant / Chacune des lettres de votre nom // Mais vos phalanges disjointes / O belles mortes adorées / Ne peuvent rien / Contre le plomb de nos mains ». Ce passé est définitivement perdu : « Îles frontées de rubis / Îles belles perdues / O lumineux sarcophages / Vos purs doigts repliés / Me trouvent insaisissable ».
On l’aura compris, il n’y a aucune nostalgie dans cette attitude ; le passé, il le porte en lui, sans doute il y reconnaît des moments heureux, mais il sait aussi qu’il contient les stigmates de sa propre mort : « Le temps tombe de la terre / Mes fleuves clairs me fuient / La mer est couverte de noyés ». Coincé entre « ses morts » et sa mort, le poète n’espère du présent qu’un sursis : « Ma mort je la repousse jusqu'à demain / Je la repousse et je la refuse et je la nie / Dans la plus haute clameur / Avec les grands gestes inutiles / De l'écroulement de mon monde ». Il n’est pas sûr qu’un sursis lui sera accordé : « Et soudain l'âge bondit sur moi comme une panthère noire ». Il n’y a pas mille façons de se libérer de l’emprise de la mort, il suffit de l’accepter : « Je lui tendrai demain / Mais demain seulement / Demain / Mes mains pleines / D’une extraordinaire douceur ». Ou encore : « Je peux parler librement / Car je possède ma mort ». Rien ni personne ni le passé ni même l’amour ne peuvent le sauver : « Taisons-nous oublions tout / Noyons les mots magiques / Préparons nos tendres cendres / Pour le grand silence inexorable ».
Le dernier poème, celui qui a donné son titre au recueil, mérite qu’on s’y arrête. On y trouve un bilan et une prière. Grandbois jette un regard sans complaisance (ou trop sévère?) sur sa vie : il avoue avoir cédé à la facilité (Qui ne jaillisse pas du miracle / Qui pour une seule fois / Surgisse de la sourde terre); il reconnaît l’inanité de l’amour (Des femmes trop tôt négligées / Nourrissant la revendication / D’un autre bonheur illusoire) et l’inutilité du voyage (Sans les ruses pathétiques / Sans ce poison des routes / depuis longtemps parcourues). Sa prière est moins claire : la métaphore de la « colonne », à cause de sa verticalité, suppose un voyage d’un autre ordre, sans doute spirituel : « Si pour une seule fois / S’élevait cette colonne libératrice / Comme un immense geyser de feu / Trouant notre nuit foudroyée ». Le dernier mot du recueil, c’est « Dieu ».
Ce recueil, moins célèbre que Les Îles de la nuit, demeure quand même une œuvre de très grande qualité. Les poètes Jean-Guy Pilon, Paul-Marie Lapointe et surtout Fernand Ouellette vont être fortement influencés par Grandbois. Les thématiques du temps et de la mort me semblent traitées avec profondeur et originalité. La poésie de Grandbois a peut-être un peu vieilli (le haut lyrisme, le ton incantatoire, l’usage des adjectifs, la posture romantique), mais n’en demeure pas moins une référence dans l’histoire de la littérature québécoise.
RIVAGES DE L'HOMME
Longues trop longues ténèbres voraces
Voûtes exagérément profondes
O cercles trop parfaits
Qu'une seule colonne
Nous soit enfin donnée
Qui ne jaillisse pas du miracle
Qui pour une seule fois
Surgisse de la sourde terre
De la mer et du ciel
Et de deux belles mains fortes
D'homme de fièvre trop franche
De son long voyage insolite
À travers l'incantation du temps
Parmi son pitoyable périple
Parmi les mirages de sa vie
Parmi les grottes prochaines de sa mort
Cette frêle colonne d'allégresse
Polie par des mains pures
Sans brûler de ses fautes
Sans retour sur le passé
Qu'elle lui soit enfin donnée
Les cris n'importent pas
Ni le secours du poing
Contre le rouet du deuil
Ni le regard angoissé
Des femmes trop tôt négligées
Nourrissant la revendication
D'un autre bonheur illusoire
O corps délivrés sans traces
Mais si pour une seule fois
Sans le fléchissement du geste
Sans les ruses pathétiques
Sans ce poison des routes
Depuis longtemps parcourues
Sans la glace des villes noires
Qui n'en finissent jamais plus
Sous la pluie le vent
Balayant les rivages de l'homme
Dans le ravage le naufrage de sa nuit
Dans ce trop vif battement de son artère
Dans la forêt de son éternité
Si pour une seule fois
S'élevait cette colonne libératrice
Comme un immense geyser de feu
Trouant notre nuit foudroyée
Nous exigerions cependant encore
Avec la plus véhémente maladresse
Avec nos bouches marquées d'anonymat
Le dur œil juste de Dieu
Alain Grandbois sur Laurentiana
Avant le chaos
Les Îles de la nuit
« Les mille abeilles »
Rivages de l’homme
Né à Québec
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