Jean-Guy Pilon, Les Cloîtres de l’été, Montréal, L’Hexagone, 1954, 30 p. (Avant-propos de René Char; couverture typographique de Gilles Carle)
Deuxième recueil de la collection « Les Matinaux » et deuxième recueil de Jean-Guy Pilon, Les Cloîtres de l’été ne contient que 19 poèmes. René Char, à qui le titre est emprunté, a écrit l’avant-propos. Il développe une courte réflexion sur le pouvoir de la poésie : « elle rapproche et confond, fait mûrir autour du même noyau ce qui vraisemblablement se cherche sans se voir à travers un océan de séparation. »
Dès le poème éponyme, le premier du recueil, s’esquisse une thématique, qui sera reprise avec beaucoup de constance dans le reste de l’œuvre. Loin d’être un lieu où l’on trouve la sérénité, le cloître est plutôt un « refuge de brulant silence », un lieu où l’on est enfermé. Autour, tout appelle la vie : « L’été / partout sur le corps de la bien-aimée », le cœur « écrasé sous la charité de la dernière justice », « le seul désir de [s]es bras impatients ». Ce poème, comme beaucoup d’autres, se termine par une projection dans un futur libéré : « Je passerai ce seuil interdit / Pour dresser contre le ciel reconquis / L’acte nu de ma persistance. » Le vocabulaire religieux est abondant et souvent associé à l’enfermement : « cloître, prière, charité, foi, espérance, ciel, offrande, pèlerin, sanctuaire ».
La nature, par sa sensualité et sa beauté, n’a de cesse de lui rappeler qu’il faut museler « tous les assassins des songes », les « monstres de l’attentif silence » : « Couleurs et fruits au fond de nos mains / Et sur les arbres très hauts très lourds / Les jeux infinis de la lumière nue / Comme une accusation ». Il vaut mieux rompre avec un passé asphyxiant : « Les visages enfouis dans les saisons mortes / N’entendent plus mon cri vers la terre des hommes ». Et encore l’interrogation à saveur religieuse : « Sous l’œil de Dieu / Les fruits tomberont-ils avant que de murir? »
Bien que peu ancré dans le réel, je pense qu’il est possible d’attribuer à cette poésie – qui rappelle à bien des égards celles d’Anne Hébert et d’Alain Grandbois – une portée sociale : « Nos regards écrasés par un silence amer / Il faut chercher une parole nouvelle / Pour une autre lumière pour un autre langage. » La liberté de parole doit se conjuguer avec celle des corps : « Va nue sur la pierre et le sable sur l’été / Donne à la mer un baiser de tout ton corps. » L’immobilisme devient une maladie dont il faut guérir : « Je sais les plaies béantes de l’immobilité indécise »; « Serais-je toujours la proie repentante / De ce vertige dévorant et toujours renaissant de sa défaite »; « Corps broyés il ne reste que des os cassés au fond de nos yeux ».
Dans le poème le plus connu du recueil, « Accord sans passé… », très hexagonien, Pilon décrit la reprise en main d’un peuple :
II n'a fallu qu'un peu de pain sur nos langues sèchesII n'a fallu qu'un soupir vers le lendemain fertilePour comprendre la fin et le risque fragilePour comprendre les cendres amassées de la nuit
II n'a fallu que ton regard triste sur mon corps déchiréII n'a fallu qu'une main levée accueillant ma douleurPour retrouver les routes difficiles très longuesOù veille la Beauté sans voile ni remords
Je te le dis pour l'avenir entre nousJe te le dis pour le cœur battant du printempsLa lourde mémoire nous poursuit au delà de nous-mêmesII faut réapprendre les espoirs nécessaires
Tout le reste du recueil parle de libération, exercice qui passe par l’intime comme ce sera souvent le cas chez les poètes de l’Hexagone : « O baisers sur la gorge / Profonde comme un miroir / Ouvert sur le début du monde ». « O chant de vie libéré / O fantaisie illimitée de nos corps / O toi ma frémissante ». Le dernier poème, « Promesse indéfinie », évoque une renaissance, un recommencement : « Ce sera le commencement de ce qui n’en a pas / Ce sera la main de Dieu ».
Il faut bien réaliser que Les Cloîtres de l’été est l’un des premiers recueils de l’Hexagone. À mon sens, et c’est son grand mérite, Pilon emploie une thématique qui deviendra la marque de commerce de la célèbre maison d’édition. Miron est déjà en grande partie dans Les Cloîtres de l’été : le passé aliénant, le présent agonique, le « nous » fédérateur, l’engagement, le passage obligé de l’amour, l'avenir prometteur. En même temps, Pilon est encore chez Hébert et Grandbois, du moins par le langage. En témoignent ces trois vers, très hébertiens : « Eaux bruissantes à la descente du jour / Vers une fontaine de grande lumière / Ou l’atroce ronce d’un torrent ».
Je vous lis souvent malgré que je laisse peu de traces... Je viens vous visiter ce matin guidé par Lali qui vous dédie un billet. Et elle n'a pas tort.
RépondreEffacerC'est un enchantement pour les yeux.
Merci
A bientôt.