16 février 2024

Race de monde!

Victor-Lévy Beaulieu, Race de monde!, Montréal, Éditions du Jour, 1969, 186 p. (Les romanciers du jour R-47)

La famille de Papa et Maman Dentrifice Beauchemin compte 12 enfants.  Abel dit Bibi La-Gomme, le sixième de la famille, est le narrateur de cette saga. Depuis une vingtaine d’années, Papa Dentifrice a changé sans cesse de métier et la famille a déménagé plus de 15 fois. Elle a végété en Gaspésie et dans le Bas-Saint-Laurent (Trois-Pistoles, Saint-Jean-de-Dieu) avant d’aboutir à Morial Mort (Rivière-des-Prairies) où Papa Dentifrice travaille dans un asile psychiatrique. Leur situation ne s’est pas améliorée pour autant, comme s’en plaint la mère : « Maman Dentifrice, plus particulièrement, était désespérée : les enfants qui devaient jouer dans la ruelle en revenaient affreusement changés : ils y apprenaient notamment à jurer et à se bagarrer. Et Jean-Maurice, qui avait déjà une propension au vice, devint chef d’une bande de blousons noirs qui ne tardèrent pas à semer la panique dans le quartier. »

Jos l’aîné s’est engagé dans l’armée. Charles travaille dans un salon de quilles. Jean-Maurice, dit Machine Gun, est devenu un bum qui va se retrouver en prison. Gisabella s’est entichée de Cardinal, un personnage qui donne dans le mystico-politique, en fait un pervers narcissique. Abel et Steven fréquentent un collège et rêvent d’écrire un roman et surtout pas de la « pouaisie » : « Steven le poète de la famille. Il bretonne. Il éluarde. Il rousselle. Il hugonise. Il baudelairise. Il mironise. Steven m’en veut. Steven est jaloux de moi parce qu’il sait que je serai le romancier de ce siècle … » Entre-temps, Abel arpente les ruelles et couchent avec toutes les filles qui y consentent, jusqu’à ce qu’il rencontre Festa, une très belle fille avec beaucoup de problèmes, qui s’attache à lui.

La famille doit déménager à nouveau, parce que Papa Dentifrice a engueulé et bousculé le propriétaire anglophone de leur logement. Un des enfants meurt, Papa Dentifrice déprime, les parents et les plus jeunes retournent pour un temps en Gaspésie. Comme la famille est plus que jamais dans la dèche, Abel et Steven doivent quitter leur collège et travailler, d’abord dans un petit resto, puis dans une banque. Entre temps Festa, droguée par Cardinal, battue par son père et Abel, finit par perdre la raison. Cardinal se pend. Les portes semblent s’ouvrir pour Steven qui a publié un recueil de poésie. Quant à Abel, durement touché par l’internement de Festa, il s’éloigne de sa famille revenue à Morial-Mort. Il se retrouve, seul et malheureux, dans une petite chambre près du Carré Saint-Louis. 

Tout comme dans Une saison dans la vie d’EmmanuelL’avalée des avalésSalut Galarneau et Jimmy, le problème à la base en est un de famille : « Pour tout dire, c’est Steven qui a raison : nous sommes une famille de fous. Une famille où personne ne se parle, où l’on se défie autant de soi-même que des autres, unefamille de gens maigres de partout, des os comme du cerveau. Faut-il en rire ou bien en pleurer ? comme dit la chanson. Moi, j’ai décidé de m’en crisser. C’est-à-dire que je m’en crisse quatre jours sur sept. Les trois autres jours, je m’interroge, comme maintenant, je m’enrage, j’ai le goût de casser la gueugueule à Papa Dentifrice, de mettre une bombe sous son vieux tacot. Les quatre autres jours, je ne vis pas avec la famille Beauchemin. Je perds mon temps à l’école, chez le Cardinal, dans les ruelles... Dans les ruelles surtout parce que l’école et le Cardinal, ça me fatigue. »

Le roman est très violent et ce sont les femmes qui en sont les premières victimes. Aux yeux d’Abel, elles sont toutes des idiotes qui n’ont rien d’autre à faire dans la vie que de séduire un mâle qui voudra bien assouvir ses/leurs désirs sexuels incontrôlables. « Et pourquoi donc faudrait-il que je cherche à savoir si je suis pornographique quand je fais l’amour, si ma partenaire a trop de poils au cul ou sur les papattes, si elle aura des varices, un visage défait, ridé, maquillé, les seins-seins tombants et le minou éreinté à quarante ans ? Rien de tout ça ne m’intéressera jamais : les filles existent, j’en prends connaissance. Je n’exige pas d’elles la lune ; je leur demande seulement d’avoir un bon minou, de bons réflexes, de bonnes dents, de bons tétons et un peu d’imagination. Cela m’importe guère qu’elles dévannent le sang à peu près tous les mois. Je ne veux rien savoir de ça. Je ne suis pas poète ni gastronome, moi : je n’ai rien pour les œufs. Et rien contre. »

Encore une relecture, quelque 40 ans plus tard, mais cette fois-ci, j’en n’avais gardé aucun souvenir. Je n’ai jamais regardé la série télévisée laquelle, je suppose, était une version édulcorée du roman. Le personnage d’Abel, le narrateur, ne s’en cache pas : il est obsédé par sa sexualité, il aime proférer des obscénités. Le roman en est tout plein. De ce point de vue, on est dans l’univers contre-culturel de l’époque. Beaulieu décrit un monde très dur : aucun des personnages n’est le moindrement attachant. 

Beaulieu déforme les mots, abuse des jeux de mots, ce qui est drôle au début mais lassant à la longue.

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